. – J'ai été marqué par la formule de « reste à vivre », car, à mon sens, cette notion traduit nos préférences. L'alimentation n'est pas seulement une fatalité subsidiaire ; c'est le résultat des choix, explicites ou implicites, de chacun de nous.
Le numérique, par exemple, représente, dans le budget des particuliers, un poste considérable. De même, l'immobilier est l'expression d'un choix de vie. Je suis rapporteur spécial de la commission des finances pour l'éducation nationale ; les salaires des enseignants sont les mêmes, quelles que soient les régions, alors que les prix de l'immobilier varient de 1 à 10.
Or ce ne sont pas les régions les plus chères qui sont évitées, au contraire – c'est d'ailleurs pour cela qu'elles sont plus chères –, donc ce sacrifice se traduit par un reste à vivre modeste, voire négatif, mais le particulier a fait son choix. Certes, certains choix sont imposés : on ne peut enseigner que dans les villes où se trouvent les établissements d'enseignement, mais il faut accepter l'idée que chacun de nous arbitre et, parfois, privilégie la localisation, le mode de loisir, le logement ou le numérique par rapport à la nourriture.
L'ultra-transformation aboutit à une simplicité et à une marginalisation, c'est vrai. Je suis d'accord avec ce qui a été dit en ce qui concerne son impact sur la diminution du goût, sur l'artificialisation ou sur la dépendance. Il y a en effet des assuétudes inquiétantes à certaines nourritures – je pense par exemple aux sodas –, mais il faut reconnaître qu'elles apportent la paix dans les familles : les enfants « commandent », si j'ose dire, puisque, si on les chatouille là où cela leur fait plaisir, ils imposent, logiquement, certaines décisions aux parents, fussent-elles regrettables.
Bref, tout cela est très compliqué. Les gens font un arbitrage largement conscient, en tout cas plus important que ce que l'on croit, dans leurs choix d'utilisation de leur revenu. Sans doute, il serait préférable que le numérique soit remplacé par la lecture, crayon à la main, des grands ouvrages, mais, dans la vraie vie, cela ne se passe pas ainsi. De même, la pizza surgelée est catastrophique, mais, le dimanche soir, quand tout est fermé, c'est pratique.
Il faut accepter l'idée que les produits et les services qui existent ne résultent pas d'un complot, mais constituent une réponse simple aux problèmes qui se posent aux gens et que ces derniers résolvent de manière plus libre que ce que l'on croit.
Le témoignage sur les pratiques alimentaires des étudiants est intéressant : ceux qui font du sport s'intéressent aussi à leur alimentation ; c'est cohérent ! En revanche, si l'on ne s'intéresse pas à son corps, il en découle toutes sortes de conséquences logiques, notamment pour son alimentation. C'est cette diversité que je veux évoquer. Nous avons tous envie de gastronomie, mais pas forcément tout le temps et, surtout, nous souhaitons ne pas avoir faim quand nous n'avons rien préparé.
Face à ces arbitrages complexes de la vie, les industriels agroalimentaires ont compris qu'il y avait une place pour leur activité. Manipulent-ils les consommateurs ? Les enfants, sans doute ; les adultes, moins.
Dans ce contexte, l'école peut-elle faire quelque chose ? Je suis sensible à votre confiance dans l'éducation nationale, mais elle a déjà du mal à enseigner l'écriture, la lecture et les mathématiques, et je ne parle même pas de l'instruction civique…