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Intervention de Mathilde Touvier

Réunion du jeudi 22 septembre 2022 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mathilde Touvier, directrice de recherche à l'Inserm et directrice de l'Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN) :

. – Ma présentation vise à faire un état de ce que l'on sait sur les impacts de l'AUT et de ses effets sur la santé. Malgré les progrès évidents de la transformation des aliments au fil des siècles, et leurs bénéfices au niveau tant de la microbiologie que de la praticité d'utilisation ou de l'accessibilité, est-on allé trop loin, au mépris de la santé ?

Du point de vue de la composition nutritionnelle, les produits ultra-transformés onten moyenne une plus forte teneur en sucre ou en sel, et contiennent moins de fibres, de vitamines et de minéraux ; ils sont généralement associés à des additifs alimentaires, posant des questions de santé à long terme. Certaines études, bien qu'elles soient encore expérimentales, in vitro ou in vivo, sont alarmantes, d'autant plus que les contaminants peuvent être liés aux procédés de transformation eux-mêmes ou provenir des matériaux d'emballage.

Les études internationales portant sur les liens entre ultra-transformation et santé ont, pour la plupart, été fondées sur la classification NOVA. Les aliments en question ont subi d'importants procédés de transformation, à la fois physiques et chimiques : traitement par friture, hydrolyse, extrusion, additifs alimentaires, etc. Une banane ultra-transformée a la forme, l'odeur et le goût de la banane, mais ne contient pas un gramme de banane…

Tous les produits industriels ne sont pas nécessairement ultra-transformés. Une soupe complètement industrielle peut avoir une composition tout à fait similaire à celle que l'on aurait faite à la maison ; une soupe au sirop de glucose déshydraté sera par contre ultra-transformée.

Dans les études épidémiologiques, la France se situe dans la moyenne : les aliments ultra-transformés représentent entre 30 % et 35 % des apports énergétiques totaux moyens, d'après l'étude nationale nutrition santé (ENNS), représentative de la population globale ; aux États-Unis, il s'agit plutôt de 57 à 58 %.

La cohorte NutriNet-Santé a permis de se pencher plus avant sur les enjeux sanitaires. Lancée en 2009, cette étude représente, dans le monde, la première web-cohorte d'une telle taille consacrée aux relations entre nutrition et santé. Elle réunit actuellement plus de 173 000 adultes participants, lesquels remplissent régulièrement des questionnaires pour étudier leurs comportements alimentaires. Les expositions liées à l'alimentation sont ainsi évaluées très finement, tout en prenant en compte d'autres paramètres liés au mode de vie : tabagisme, prise de médicaments... Ces informations importantes permettent d'ajuster nos modèles et de prendre en compte ces différences de comportement associées également aux consommations alimentaires et au risque de pathologies.

Durant ces treize années de suivi, plus de 5 000 cas de cancers sont apparus, ainsi que 1 600 maladies cardiovasculaires, sans compter les autres pathologies. Un comité médical valide ces événements de santé, en lien avec les bases de données de l'assurance maladie. Nous disposons par conséquent des informations nécessaires pour analyser les effets sanitaires des aliments selon leur degré de transformation, et, pour aller plus loin encore, leur composition en additifs, à l'aide du scan de code-barres permettant d'établir un lien avec la base Open Food Facts.

Pour ne citer qu'un exemple, l'étude portant sur le diabète de type 2 permet d'observer une relation entre la part d'aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire et l'augmentation, au fil du suivi, du risque de diabète. L'augmentation était quasi linéaire : plus la part des aliments ultra-transformés augmentait, plus le risque de diabète de type 2 au cours du suivi augmentait également. Même chose pour les trajectoires de poids et l'apparition de surpoids et d'obésité. La plus forte augmentation de poids au cours du suivi était celle des participants qui avaient la plus forte part d'aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire. Le lien avec le risque de cancer, globalement, apparaît aussi dans cette étude, notamment pour le cancer du sein. Une corrélation est également établie avec le risque de maladies cardiovasculaires, coronariennes, cérébrovasculaires tels que l'AVC, etc. Peuvent de même être mesurés au fil de l'étude le taux de mortalité associé à cette alimentation, le risque de symptômes dépressifs, les troubles fonctionnels digestifs, etc.

Ces conclusions de l'étude NutriNet-Santé ont été synthétisées dans les Cahiers de Nutrition et de Diététique ; leur publication dans de grands journaux a fait l'objet de multiples évaluations par les pairs. Les analyses de sensibilité dans ces articles montrent la robustesse des résultats. Cela a permis d'intégrer la limitation des aliments ultra-transformés dans le PNNS.

Avant que l'on commence à travailler sur l'étude NutriNet-Santé en 2018 d'un point de vue étiologique, il existait seulement quelques études prospectives, c'est-à-dire suivant les participants dans le temps pour mesurer l'apparition des maladies, qui portaient uniquement sur la dyslipidémie et la variation de poids ; le constat vaut pour le monde entier. Depuis notre étude, les recherches ont connu un développement très important au niveau international, venant pour beaucoup confirmer les résultats observés dans NutriNet-Santé sur certaines pathologies, tout en en étudiant d'autres, au travers de plus de cinquante études prospectives établissant les relations entre aliments ultra-transformés et santé. L'ensemble de ces études épidémiologiques a été synthétisé dans un article du Lancet Gastroenterology and Hepatology publié cet été : « The global burden of cancer attributable to risk factors, 2010–19 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2019 ».

Lorsque nous pressentons, ce qui est le cas, les conséquences délétères de la consommation d'aliments ultra-transformés sur la santé, nous n'avons pas la possibilité de mettre en place ce qu'on appelle des essais contrôlés randomisés à long terme, lors desquels on donnerait pendant des années de tels aliments à un groupe de personnes et des aliments considérés comme « sains » à un autre : il ne resterait qu'à regarder qui meurt le plus vite, qui a le plus de cancers, etc. Éthiquement, c'est totalement impossible ! En revanche, des essais de très court terme, qui ne mettent pas en danger la vie des participants, sont réalisables : l'équipe du docteur Kevin Hall a ainsi démontré que, en quinze jours à peine, les aliments ultra-transformés avaient des conséquences sur le métabolisme, sur la prise de poids, grâce à un tel essai randomisé.

En termes de perspectives, depuis maintenant deux ou trois ans, nous essayons de tirer la ficelle de cette pelote complexe que sont les aliments ultra-transformés, pour tenter de comprendre les liens de cause à effet avec la santé. Les études, nombreuses, présentent les conclusions des plus cohérentes ; toutefois, pour vraiment conclure à une association causale, il faut aller plus loin dans la compréhension des mécanismes. Un important projet de recherche, financé notamment par l'Union européenne, l'Institut national du cancer et le ministère de la santé, permet d'aller plus avant : les additifs sont-ils la cause recherchée ? Quels additifs ? Agissent-ils seuls ou en cocktail ? Le projet « Additives », financé par l'ERC (European Research Council) permettra également d'aller plus loin.

Avec NutriNet-Santé, nous avons la chance d'accéder à une information très fine sur les aliments, au point de disposer du nom et de la marque des produits : un tel niveau de détail, unique dans le monde, permet d'aller jusqu'à prendre en compte la composition en additifs. Ainsi, nous avons pu étudier, au niveau de la population française, quels étaient les additifs les plus consommés, les cocktails les plus fréquemment consommés, pour quels liens avec les pathologies chroniques, par exemple au sujet des nitrites, des nitrates et du cancer. Une publication datant du printemps 2022 établit une corrélation entre consommation intense d'édulcorants et risque de cancer ; le 8 septembre 2022, dans le British Medical Journal, une analyse est parue sur les rapports entre les maladies cardiovasculaires et, à la fois, l'aspartame, l'acésulfame K et la sucralose. Ces études méritent confirmation dans d'autres populations et par des travaux expérimentaux.

Du fait de ces preuves épidémiologiques de plus en plus nombreuses et malgré des résultats restant à confirmer, suffisamment d'éléments sont à disposition pour que les pouvoirs publics décident d'inclure ces aliments ultra-transformés dans leurs recommandations sanitaires : France, Brésil, Israël l'ont fait. Un levier d'action est l'information des consommateurs, qui peut passer par l'étiquetage.

Pour conclure, il ne faut pas perdre de vue la vision multidimensionnelle de l'alimentation. En ce qui concerne l'aspect nutritionnel, manger trop gras, trop sucré, trop salé et pas assez de fibres a des effets délétères sur le cardiométabolisme, les cancers et toutes les pathologies chroniques : c'est prouvé. Le Nutriscore apporte l'information sur la qualité nutritionnelle globale des aliments. Un logo tel que celui du label Agriculture Biologique informe sur les contaminants liés au mode de production, par exemple les pesticides. Un essai randomisé est actuellement conduit dans NutriNet pour tester l'ajout d'une mention graphique au Nutriscore, avec un cadre noir par exemple, qui permettrait d'indiquer, s'il est présent, que l'aliment est ultra-transformé. Le consommateur aurait sur l'emballage l'ensemble des informations pour prendre une décision éclairée par rapport à l'impact sur la santé des aliments qu'il consomme.

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