La France est une grande nation maritime. Elle dispose du deuxième domaine maritime mondial, avec plus de 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE). Les armateurs français sont présents sur l'ensemble du globe et sur l'essentiel des segments des transports et services maritimes. L'excellence de la formation maritime française est reconnue dans le monde entier.
En comparaison des enjeux, le budget des affaires maritimes semble faible. Toutefois, il permet d'apporter un soutien indispensable à un secteur clé pour la défense de la souveraineté de la France.
Les crédits de paiement de l'action 43 du programme 203 servent essentiellement à financer le dragage nécessaire pour assurer la compétitivité des grands ports maritimes. Ils représentent dans le projet de loi de finances un montant de près de 93 millions d'euros et ils restent stables dans le temps.
Les crédits de paiement du programme 205 affectés aux affaires maritimes concernent surtout la marine marchande. Ils représentent un peu plus de 190 millions d'euros et restent relativement stables par rapport à 2022. Cette stabilité est satisfaisante. Toutefois, au vu des défis que la France doit relever, il est nécessaire d'aller plus loin.
Au sein du programme 205, on recense trois principaux postes de dépenses.
Près de 16 % des crédits des affaires maritimes servent à financer l'action de l'État dans les domaines de la sécurité et de la sûreté maritimes. Ils contribuent notamment à financer, à hauteur de 10,5 millions d'euros, la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) qui assure un peu plus de la moitié du sauvetage en France. Dans la majorité des cas, il s'agit de porter secours à des navires de plaisance.
Toutefois, lors de nos auditions, nous avons constaté que la pression des flux migratoires clandestins, qui connaît son paroxysme dans la Manche, vient perturber le fonctionnement de l'association. Dans le Pas-de-Calais, des traversées sont tentées dans des conditions dangereuses, à l'issue parfois mortelle, sur des embarcations totalement inadaptées. En 2021, 85 % de l'activité de la station de la SNSM de Calais a concerné ces opérations de secours. Une forte pression pèse sur les bénévoles, qui sont en nombre insuffisant et se retrouvent confrontés à des situations humaines très difficiles et dangereuses. Je m'inquiète de ce que la SNSM se voie détournée de ses missions traditionnelles de sauvetage. Pour régler cette situation difficile, l'État doit prendre ses responsabilités, avec des moyens régaliens. C'est pourquoi j'appelle le Gouvernement à augmenter les crédits alloués à la Marine nationale, qui fait déjà partie du dispositif d'intervention en mer mais qui ne réalise que 2 % des opérations de secours nécessitant des moyens nautiques sur l'ensemble de l'espace maritime français.
Le programme 205 contribue non seulement à financer les actions relatives à la sécurité et à la sûreté maritimes mais aussi à la formation maritime. Un peu plus de 18 % des crédits des affaires maritimes contribuent au financement de cette formation, notamment des lycées professionnels maritimes et de l'École nationale supérieure maritime
La marine marchande française a un besoin vital de recruter davantage d'officiers. Lors des assises de l'économie de la mer de 2021, l'État a confirmé ce besoin en annonçant que le nombre d'officiers sortant de l'École nationale supérieure maritime (ENSM) devait doubler d'ici à 2027. Si les crédits budgétaires semblent suffisants pour atteindre cet objectif, l'ENSM manque de ressources humaines. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement tendant à augmenter le nombre d'équivalents temps pleins annuels travaillés (ETPT) de l'ENSM.
Un peu plus de 45 % des crédits des affaires maritimes servent à financer des dispositifs de soutien à la flotte de commerce, essentiels à la compétitivité du pavillon français. Ils financent notamment le dispositif d'exonération de cotisations sociales patronales dit netwage. L'arsenal législatif au service de la compétitivité du pavillon français comprend également un régime d'imposition forfaitaire dit « taxe au tonnage » et un dispositif de crédit-bail, qui facilite l'acquisition de nouveaux navires. Le registre international français (RIF) permet également de défendre le pavillon français dans le cadre d'une concurrence mondiale exacerbée.
La préservation de ces dispositifs est indispensable, car la marine de commerce joue un rôle crucial dans la protection des intérêts stratégiques de la France et la préservation de sa souveraineté. En particulier, elle garantit la sécurité des approvisionnements en produits manufacturés et en matières premières, en particulier en hydrocarbures.
De nouvelles problématiques émergent, auxquelles il est nécessaire de répondre au plus vite. En particulier, les lignes de ferries font face à un dumping social qui menace l'emploi français, l'économie maritime française et la souveraineté de la France. Il affecte depuis un certain temps les liaisons entre la Corse et le continent, indispensables à la garantie de la continuité territoriale. Corsica Linea et La Méridionale, les deux compagnies françaises opérant sur ces liaisons, utilisent des navires immatriculés au premier registre. Elles emploient donc des marins français auxquels les règles en matière d'emploi et de protection sociale françaises s'appliquent. En revanche, les navires de leur concurrent italien Corsica Ferries sont immatriculés au registre international italien, ce qui leur permet d'assurer les liaisons à moindre coût.
Les ferries qui assurent le lien entre le continent et la Corse n'ont pas le droit de bénéficier du dispositif de soutien aux entreprises d'armement maritime (Seam), au motif qu'ils opèrent dans le cadre d'une délégation de service public. Ce dispositif, financé par le programme 205, est mis en place pour trois ans, de 2022 à 2024. Il consiste en un reversement aux armateurs des montants versés au titre des cotisations personnelles des marins au régime d'assurance vieillesse, de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale. Il est indispensable d'étendre le Seam à ces navires pour lutter contre le dumping social sur les lignes entre la Corse et le continent.
La question se pose également pour les navires qui assurent la desserte Dieppe-Newhaven dans le cadre d'une délégation de service public. De manière plus générale, la situation des ferries transmanche est gravement mise en péril depuis un peu plus d'un an. Les deux compagnies françaises, qui exploitent des navires immatriculés au premier registre, affrontent désormais la concurrence agressive d'une compagnie irlandaise, Irish Ferries, et d'une compagnie anglaise, P&O Ferries. Cette dernière a licencié ses 800 marins et fait appel à une société de placement de marins basée à Chypre pour recruter des marins originaires d'États en développement peu formés, très peu rémunérés et soumis à une cadence de travail particulièrement intense.
Alors même que le secteur des ferries se remet difficilement de la crise du covid, son activité se voit à nouveau mise en péril. C'est pourquoi j'appelle les pouvoirs publics à prendre la situation en main pour défendre le modèle maritime français contre la concurrence intracommunautaire.
Pour défendre le pavillon français et garantir la souveraineté maritime de la France, il est également indispensable de reprendre le chantier de la flotte stratégique. Ses fondations ont été posées par la loi du 20 juin 2016 sur l'économie bleue, dite « loi Leroy ». Or les travaux de préparation des textes d'application sont à l'arrêt depuis plusieurs années. Cette situation est inacceptable dans un contexte où les crises politiques, sanitaires et environnementales se multiplient.
Par ailleurs, la plaisance m'est apparue comme étant loin de faire partie des priorités d'action du Gouvernement. Pourtant, elle joue un rôle économique moteur pour certains territoires littoraux, notamment dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Elle est pourvoyeuse d'emplois directs comme indirects, en particulier la plaisance professionnelle. L'ouverture du registre international français aux navires compris entre 15 et 24 mètres, due à la loi du 20 juin 2016, a permis d'immatriculer soixante-huit navires de cette longueur. Pour poursuivre et amplifier cette dynamique, je propose de permettre aux navires de plus de 12 mètres d'être immatriculés au RIF.
L'État doit aussi renforcer son action pour appuyer les ports de plaisance dans leur effort de transition écologique. Il ne faut pas opposer la protection de l'environnement et le développement du secteur maritime. Il est indispensable d'unir nos efforts pour que la mer, espace de liberté, soit un espace à la fois accueillant pour tous les usagers et protégé.
La stratégie maritime de la France est insuffisamment ambitieuse. Le budget demeure un instrument de gestion et non un programme d'action. Dans ces conditions, nous nous abstiendrons sur le vote des crédits de la mission.