Il me revient de vous présenter les crédits demandés dans le projet de loi de finances pour 2023 pour la recherche dans le domaine du développement durable. Vous avez déjà reçu mon projet de rapport, je ne reviendrai donc que sur les éléments les plus importants.
L'objectif fixé à l'article 1er de la loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030 est de consacrer, d'ici à 2030, au moins 3 % du PIB à la recherche et développement, administrations et entreprises confondues. Actuellement, la France n'y consacre que 2,2 % de son PIB, contre en moyenne 2,95 % pour les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous sommes donc encore loin du compte alors que nous avons cruellement besoin de la recherche pour répondre aux défis environnementaux qui s'annoncent.
Trois programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur » relèvent de cet avis budgétaire.
Le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » est le programme pilote de la recherche française. Il est à nouveau revalorisé, comme prévu par la LPR, ce qu'il faut saluer. Une grande partie des crédits alloués accompagnent la montée en puissance de l'Agence nationale de la recherche (ANR) : cet effort traduit la volonté d'inscrire le financement de la recherche dans une logique compétitive, avec le format des appels à projets. L'action 02 du programme 172, où est imputée la subvention pour charges de service public de l'ANR, augmente de 163,5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 76,4 millions en crédits de paiement (CP). Le soutien budgétaire à l'ANR a permis de relever le taux de succès de l'appel à projets générique, passé de 17 % en 2020 à 23,1 % en 2021. Afin de renforcer le financement des laboratoires, le taux du préciput a été porté à 25 % en 2021, contre 19 % en 2020.
Le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » est au cœur des travaux de notre commission. À première vue, les crédits y sont en légère hausse, de 4,15 % en crédits de paiement, par rapport au projet de loi de finances (PLF) pour 2022. Toutefois, c'est un trompe-l'œil résultant de mouvements de crédits qui se produisent depuis quelques années entre le plan « France relance », le plan « France 2030 » et ce programme. Il est nécessaire d'améliorer la lisibilité du PLF, en particulier l'articulation entre les crédits des programmes classiques et ceux des plans conjoncturels tels que France 2030. Le reproche est récurrent pour la mission « Recherche et enseignement supérieur », mais aucun effort de clarté n'a été fait.
Le programme 193 « Recherche spatiale » connaît une relative stabilité. Il se caractérise par un effort en faveur de la politique spatiale, avec des moyens supplémentaires alloués au Centre national d'études spatiales (Cnes).
J'aimerais m'attarder quelques instants sur les difficultés que les opérateurs rencontrent du fait de l'explosion des prix de l'énergie et de l'inflation.
D'une manière générale, l'augmentation du coût de l'énergie affecte la situation financière de toutes les structures. Certains organismes de recherche nous ont déjà indiqué être dans une situation alarmante ; ainsi, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) évalue le surcoût à 4,5 millions d'euros cette année. Pour 2023, la situation s'annonce pire encore et les représentants des organismes nous ont dit lors des auditions à quel point ils étaient inquiets. À titre d'exemple, la facture d'énergie du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui est de 70 millions d'euros, pourrait être multipliée par trois.
Or le budget que nous examinons ne prévoit aucune mesure d'accompagnement pour les organismes de recherche. En réponse à leurs inquiétudes, le ministère annonce des mesures de fin de gestion qui ne me paraissent pas à la hauteur des difficultés qu'ils rencontrent. Les dégels de crédits et l'utilisation du fonds de roulement sont des mesures très incertaines. La situation est grave.
Tous les organismes de recherche prévoient des plans de sobriété visant à réduire de 10 % leur consommation d'énergie, mais la hausse des prix les amène à douter de leur capacité à assurer la continuité de leurs travaux. Vous conviendrez que la situation est préoccupante. L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) a d'ores et déjà indiqué qu'en l'absence de complément de financement, la moitié de ses campagnes scientifiques pourraient être annulées.
Les organismes de recherche sont également touchés par l'inflation. Malgré la revalorisation des salaires esquissée par la LPR et l'augmentation du point d'indice, de fortes revendications salariales demeurent et la question de l'attractivité de nos organismes de recherche est à nouveau posée.
Dans mon rapport, j'ai souhaité me pencher plus particulièrement sur les travaux de recherche sur l'hydrogène et le changement climatique.
La décarbonation de l'énergie est un enjeu stratégique pour la transition vers un modèle plus respectueux de l'environnement. L'hydrogène est souvent présenté comme une solution d'avenir, dans laquelle les pouvoirs publics investissent massivement depuis 2018. Le plan Hydrogène lancé en 2018 a été décevant : outre que l'engagement financier de l'État n'a pas été à la hauteur de ce qui avait été annoncé, ce plan ne comportait ni objectif, ni stratégie, ni méthode d'évaluation.
Au mois d'octobre 2020 a été présentée une stratégie nationale pour la recherche sur l'hydrogène, dotée de 9 milliards d'euros d'ici à 2030. L'objectif est d'installer 6,5 gigawatts d'électrolyseurs d'ici à 2030 et d'être souverain sur toute la chaîne de valeur. La stratégie se décline autour de quatre grands projets : le programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) « Hydrogène décarboné », financé à hauteur de 80 millions d'euros, pour la recherche en amont ; l'appel à projets « Briques technologiques et démonstrateurs », doté de 350 millions d'ici à 2030, pour débuter le processus d'industrialisation des technologies ; l'appel à projets « Hubs territoriaux d'hydrogène », doté de 475 millions, pour accompagner les collectivités dans leurs projets liés à l'hydrogène ; et le projet important d'intérêt européen commun (Piiec) sur l'hydrogène, financé à hauteur de 3 milliards d'euros, pour accompagner la production industrielle d'hydrogène en Europe.
Les moyens pour financer la recherche sur l'hydrogène existent et traduisent une réelle ambition. Il y a toutefois des axes à renforcer.
L'objectif fixé est très ambitieux : être souverain sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Cela conduit indirectement à répartir les moyens entre tous les acteurs de la chaîne au lieu de les concentrer sur les technologies les plus prometteuses. L'objectif ne devrait-il pas être d'être souverain à l'échelle européenne ?
Par ailleurs, il est indispensable de poursuivre la réflexion sur le prix de l'hydrogène décarboné. Il n'existe pas à ce jour de prix de marché, mais le coût de production d'un kilo d'hydrogène se situe entre 6 et 8 euros quand il provient des énergies renouvelables, contre 2 euros quand il provient d'énergies fossiles. La compétitivité de l'hydrogène décarboné par rapport aux autres énergies est un paramètre déterminant pour le succès de la filière.
Enfin, le développement de la filière hydrogène nécessite une main-d'œuvre qualifiée. Il faut donc veiller à adapter les cursus de formation afin de disposer de suffisamment d'ingénieurs compétents.
En raison de la multiplication des événements climatiques extrêmes, j'ai aussi souhaité m'intéresser de plus près au financement de la recherche dans le domaine du changement climatique.
La France dispose d'un nombre important d'organismes de recherche dotés d'une expertise reconnue en la matière, qui produisent des connaissances précieuses et apportent un soutien tout aussi apprécié lors des événements extrêmes. Par exemple, Météo-France a mobilisé plus de 950 personnes par jour et réalisé plus de 1 200 bulletins pour aider les pompiers dans les zones touchées par des incendies.
Au-delà de ces organismes, la recherche est principalement financée par les appels à projets de l'ANR sur la manière de s'adapter au changement climatique ou d'atténuer ce dernier, ainsi que par le plan « France 2030 ». On constate par ailleurs une multiplication des PEPR exploratoires, qui ciblent les financements sur des thématiques plus précises comme l'eau ou le carbone.
Si les initiatives sont nombreuses, il est important que la multiplication des acteurs ne génère pas de complexité administrative. Par ailleurs, la multiplication des programmes de financement contribue à l'éparpillement des crédits alloués et ne permet pas au Parlement de connaître avec précision l'effort budgétaire consacré à cette thématique.
Je reconnais bien volontiers que le budget présenté s'efforce de décliner les objectifs de la LPR et d'en respecter la trajectoire, mais il n'en est pas moins entaché d'une impasse de taille puisqu'il ne donne pas aux organismes de recherche les moyens financiers pour faire face aux surcoûts de l'énergie, ce qui risque de mettre en péril la continuité de leurs travaux. Vous conviendrez que c'est fort regrettable, puisqu'une estimation sincère des dépenses est le b.a.-ba de la prévision budgétaire. À regret, j'émets donc un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».