L'attractivité est le principal défi à relever pour nos territoires, notamment ruraux, afin de maintenir et de développer l'activité économique et les services aux populations qui sont nécessaires à leur revitalisation. Comme l'a souligné Mme Marie-Cécile Tardieu, directrice générale déléguée de Business France, lors de son audition, « l'attractivité commence et se termine dans les territoires ». C'est dire l'importance d'une politique d'aménagement équilibrée, durable et concertée. L'aménagement du territoire constitue l'une des deux jambes de notre commission et, en tant qu'élu local, c'est un sujet qui me tient particulièrement à cœur.
La mission « Cohésion des territoires » comporte six programmes. Mon avis budgétaire porte sur les deux qui relèvent de notre commission : le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et le programme 162 « Interventions territoriales de l'État ».
Le programme 112 sera doté en 2023 de 329 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 323 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Il concourt à la réalisation de trois objectifs : le soutien à la compétitivité et à l'attractivité des territoires, le renforcement de la cohésion sociale et territoriale, et le renforcement des capacités stratégiques et techniques des collectivités territoriales.
Derrière ces grands principes se trouvent plusieurs programmes bien connus des élus locaux : Action cœur de ville, Petites villes de demain ou encore Territoires d'industrie. Le programme 112 finance aussi les contrats de plan État-région (CPER) et les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), dont la conclusion fut un enjeu majeur des années 2021 et 2022 dans nos territoires.
Le programme 162, plus modeste, est doté de 85 millions d'euros en AE et de 61 millions d'euros en CP. Il permet de mener huit politiques publiques interministérielles ayant un périmètre géographique spécifique et non une dimension nationale, comme le fonds interministériel pour la transformation de la Guyane et les plans d'investissement pour la Corse, sur lesquels j'ai choisi de centrer mes travaux.
Lors de mes auditions, j'ai rencontré non seulement des acteurs institutionnels habitués aux couloirs de l'Assemblée nationale mais aussi et surtout des acteurs locaux – des maires et des présidents d'intercommunalité ou de région, issus du territoire métropolitain comme de l'outre-mer. Nous avons ainsi reçu des représentants de la collectivité territoriale de Mayotte. Il s'agissait de faire un bilan du fonctionnement des dispositifs, de réfléchir à leur efficacité et de proposer le cas échéant des évolutions.
Le premier point que les auditions ont permis de mettre en lumière concerne la politique contractuelle de l'État dans les territoires.
Les CPER sont des outils de cadrage pluriannuel qui visent à coordonner les politiques publiques de l'État au sein des régions. Après les contrats 2015-2021, le Gouvernement a souhaité faire évoluer en profondeur la méthode d'élaboration de la nouvelle génération, qui couvre la période 2021-2027, afin d'avoir une démarche plus ascendante et différenciée selon les territoires. Trois thématiques sont présentes dans tous les CPER, l'emploi, la transition écologique et l'enseignement supérieur, mais des thématiques nouvelles et spécifiques aux territoires ont également été intégrées.
Toutes les régions disposent aujourd'hui d'un CPER, à l'exception de la Normandie et de la Corse. Les échanges avec la préfecture de Corse ont permis d'élucider les raisons de ce retard, qui tiennent largement aux tensions que l'île a connues en mars 2022.
À l'échelle infrarégionale, la politique contractuelle de l'État a récemment été rénovée par l'établissement des CRTE. Ces « mini-CPER », pour reprendre l'expression de Mme Jacqueline Gourault, avaient vocation à rassembler l'ensemble des contrats préexistants. Dans la mesure où ils se fondent sur un projet de territoire concerté, ils permettent d'établir des priorités en matière d'investissement et de développement. Toutefois, les CRTE ont parfois pu agréger toutes les politiques d'un territoire dans un « fourre-tout », surtout lorsqu'un projet de territoire n'avait pas été établi en amont. Par ailleurs, les élus que j'ai rencontrés ont souligné à plusieurs reprises la difficulté de mener à bien les projets formés dans le cadre des CRTE en l'absence d'engagement financier de la part de l'État et de visibilité pluriannuelle des crédits.
Je me suis également intéressé à la politique contractuelle de l'État dans les territoires ultramarins. Depuis 2017, les CPER y ont été remplacés par les contrats de convergence et de transformation. Les auditions m'ont alerté sur les défis auxquels Mayotte fait face en matière d'aménagement, de besoin de différenciation mais également de climat, du fait des conséquences dramatiques qu'aura la montée du niveau des eaux. Je suis néanmoins convaincu que si les difficultés sont nombreuses dans ce territoire, les potentialités y sont tout aussi importantes.
J'en viens aux programmes d'aménagement du territoire – Action cœur de ville, lancé en 2017, Territoires d'industrie, mis en œuvre à partir de 2018, et Petites villes de demain, qui date de 2020. Le constat est quasiment unanime : ces programmes ont contribué à la revitalisation des territoires en accompagnant les collectivités dans leur transformation écologique, démographique et productive. Ils ont ainsi participé au dynamisme du tissu économique local.
Près de 234 municipalités labellisées Action cœur de ville et 1 642 communes labellisées Petites villes de demain ont bénéficié de crédits pour réhabiliter un quartier et développer leur attractivité – une majorité d'entre vous doit en connaître. Preuve de son succès, le programme Action cœur de ville devrait être prolongé jusqu'en 2026.
Toutefois, ces programmes souffrent d'un certain nombre de faiblesses qui ont presque systématiquement été évoquées lors des auditions.
La première est le manque de lisibilité des critères d'éligibilité et des modalités de sélection. La participation aux programmes dépend des services déconcentrés de l'État, dont les choix et les orientations peuvent parfois sembler dépendre de critères non objectifs et non uniformes sur le territoire. Cela crée un sentiment de frustration chez les élus locaux, qui s'engagent financièrement et personnellement dans la constitution des dossiers.
Par ailleurs, la logique d'appel à projets conduit à avantager, implicitement, les villes disposant de l'ingénierie nécessaire pour répondre aux appels. Quelle petite collectivité pourrait avoir les ressources nécessaires pour constituer rapidement un dossier en mode projet ?
Le défaut de lisibilité concerne également la nature des crédits accordés. Les élus ont pu croire que les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain leur donneraient accès à des enveloppes dédiées, sous forme de subventions aux projets. Or les dotations de l'État dans le cadre d'Action cœur de ville ne représentent que 600 millions d'euros sur les 5 milliards de l'enveloppe.
Face à ces constats, que beaucoup d'entre vous partagent, j'appelle votre attention sur la nécessité d'une réforme incluant une objectivation des critères d'éligibilité. Cela permettrait, pour les programmes Action cœur de ville, Petites villes de demain et Territoires d'industrie, de mettre à disposition des porteurs de projet une check-list. Il serait également plus facile pour eux d'identifier en amont le niveau d'intervention de l'État, et cela éviterait une confusion avec la dotation de soutien à l'investissement local et la dotation d'équipement des territoires ruraux, fréquemment relevée par les élus locaux.
Une autre faiblesse est liée au fait que les collectivités souffrent d'un manque de visibilité pluriannuelle sur les financements. Cela entrave leur capacité à mener de véritables projets de long terme, faute de certitude sur le montant des crédits futurs.
L'aménagement du territoire est par essence une œuvre de planification. L'introduction de la pluriannualité dans les programmes donnerait corps au nécessaire pacte de confiance entre l'État et les territoires, et éviterait également des effets inflationnistes. Les porteurs de projets ne se présenteraient plus simultanément auprès des collectivités, ce qui éviterait des problèmes de recrutement et de manque de soumissionnaires aux appels d'offres. Enfin, la logique de pluriannualité permettrait de sortir de l'indicateur de consommation budgétaire annuelle, selon lequel l'entière consommation d'une enveloppe de crédits constitue un indicateur de bonne gestion. Les fonds non consommés de l'année n devraient ainsi être reportés sur l'année n+1 sans remettre en cause l'enveloppe initialement prévue.