Je vous remercie de m'avoir invité pour vous présenter les principales conclusions de notre avis sur le deuxième PLFR 2022. C'est en effet la seconde fois, en cinq semaines, que je me présente devant vous en tant que président du Haut Conseil. Précédemment, j'avais présenté les principales conclusions de notre avis sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2023, ainsi que de notre avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
Depuis lors, votre assemblée a rejeté ce dernier projet de loi. Loin de moi l'idée de remettre en cause vos pouvoirs, auxquels je suis très attaché en tant qu'ancien membre de cette assemblée et de cette commission. Je me permettrai néanmoins, au regard des missions qui nous ont été confiées par le législateur organique, de vous faire part de notre interprétation des conséquences potentielles d'une absence de loi de programmation des finances publiques (LPFP) à compter du prochain exercice.
D'abord, l'absence de LPFP priverait le Haut Conseil de certaines missions. Dans sa nouvelle rédaction issue de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit notamment que le Haut Conseil donne son appréciation sur la cohérence des articles liminaires des PLF et PLFSS de l'année, au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel des dépenses des administrations publiques, et qu'à l'occasion du dépôt du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année, il rend un avis identifiant, le cas échéant, les écarts importants entre les résultats d'exécution de l'année écoulée et les orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la LPFP. En l'absence d'une telle loi, cette partie de la loi organique ne pourrait s'appliquer. Le Haut Conseil pourrait donc difficilement exercer ces deux missions et devrait nécessairement se raccrocher à d'autres textes, comme le dépôt d'un projet de LPFP et certaines annexes du PLF, ce qui serait juridiquement peu robuste. En tout état de cause, au titre du droit interne ou du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union européenne, il pourrait en résulter d'éventuelles conséquences juridiques.
Par ailleurs, les financements européens au titre de la facilité européenne pour la relance et la résilience sont conditionnés, entre autres, à l'atteinte de certains jalons, et notamment à l'adoption d'une LPFP, comme le prévoit la décision d'approbation du Conseil de l'Union européenne de juillet 2021. Le risque qu'une partie de ces fonds ne soit pas versée – y compris au titre de 2022 – peut paraître modéré, mais il ne peut être juridiquement écarté, ce qui affecterait les recettes publiques à due concurrence.
Enfin, au regard de la situation de ses finances publiques et notamment de son taux d'endettement supérieur à 110 % du produit intérieur brut (PIB), la France a assurément besoin d'une LPFP, cadre de référence qui définit une trajectoire crédible de recettes et de dépenses, sur une période longue, fondée sur des actions documentées, sur laquelle les agents économiques – et nos partenaires européens – peuvent s'appuyer et fixer leurs anticipations.
Je n'ignore pas les commentaires que peuvent susciter les différentes versions du projet, et le Haut Conseil s'est lui-même exprimé sur différents aspects, mais ce n'est pas le débat. J'estime simplement que nous avons besoin d'une LPFP, puisqu'il s'agit d'une boussole utile pour l'ensemble des députés, quelles que soient leurs orientations. Je tenais à répéter ce message, car je sais que la procédure d'examen n'est pas terminée. Pardonnez-moi cette parenthèse, mais je ne la crois pas totalement inutile.
J'en arrive maintenant à nos deux principaux messages relatifs au PLFR. D'abord, le scénario macroéconomique du Gouvernement est plausible, même si les informations parues depuis la finalisation de notre avis peuvent conduire à estimer que sa prévision de croissance à 2,7 % pour 2022, quoique toujours atteignable, est peut-être un peu élevée. Par ailleurs, la prévision d'un solde public à - 4,9 % du PIB est d'autant plus plausible que notre précédent avis jugeait le chiffre de 5 points quelque peu élevé pour l'exercice 2022.
Pour cet exercice, le Gouvernement continue de prévoir une croissance du PIB en volume de 2,7 %, prévision jugée plausible par le Haut Conseil dans son avis sur le PLF et le PLFSS 2023. Les prévisions économiques publiées depuis la présentation du PLF et du PLFSS et les dernières enquêtes de conjoncture de l'INSEE et de la Banque de France témoignent de la résilience de l'activité et demeurent cohérentes avec une poursuite de la croissance d'ici à la fin de l'année, à un rythme cependant modéré. Dans son avis sur le PLFR rendu avant d'avoir connaissance des comptes nationaux du troisième trimestre, le Haut Conseil estime les prévisions gouvernementales plausibles.
Le Haut Conseil regrette néanmoins que le calendrier de saisine l'ait conduit, contrairement à la pratique des années précédentes, à rendre son avis la veille de la publication des comptes nationaux trimestriels, alors que ceux-ci auraient constitué un élément d'information important pour apprécier les prévisions gouvernementales. Nous avons longuement échangé sur ce point avec le directeur général de l'INSEE, par ailleurs membre du Haut Conseil. Nous avons tenu notre dernière séance jeudi soir pour être en mesure de nous présenter devant vous ce jour, et les comptes nationaux trimestriels sont parus le vendredi matin. Bien entendu, il eût été préférable que le Haut Conseil dispose de toute information utile avant de rendre son avis. Sans dévoiler nos débats, nous nous sommes demandé si nous devions différer notre avis – nous l'avons exclu pour tenir le calendrier – ou publier un avis rectificatif – qui eût été très mince et peu compréhensible. Nous avons donc conservé notre avis initial.
Les comptes nationaux du troisième trimestre publiés le 28 octobre affichent une croissance, conforme aux attentes, de 0,2 % et un acquis de 2,5 % pour 2022. En l'absence de révision – toujours possible – des trimestres déjà connus, une croissance de 0,5 % serait nécessaire au quatrième trimestre pour atteindre 2,7 % de croissance sur l'ensemble de l'année. À la lumière de ces dernières données, nous pensons que la prévision de croissance du Gouvernement demeure atteignable, mais qu'elle est désormais un tout petit peu élevée. Le Gouvernement prévoit toujours, pour 2022, une hausse de l'indice des prix à la consommation de 5,3 % en moyenne annuelle. Depuis la présentation du PLF 2023 à la mi-septembre, les tensions sur les prix de l'énergie et les difficultés d'approvisionnement ont légèrement faibli, dans un contexte de tassement de l'économie mondiale, tandis que le cours du Brent s'est stabilisé autour de 90 dollars, contre 110 dollars en moyenne sur les trois premiers trimestres. Les prix du gaz et de l'électricité ont également nettement reflué, tandis que les tensions sur les chaînes d'approvisionnement continuent de s'atténuer. Néanmoins, les difficultés de recrutement se maintiennent à un niveau historiquement élevé, et la transmission des hausses de coûts de production aux prix à la consommation se poursuit, notamment à ceux des produits alimentaires, qui continuent d'augmenter fortement.
Dans ce contexte, la prévision d'inflation du Gouvernement pour 2022 demeure crédible, puisqu'elle est proche des autres prévisions disponibles et cohérente avec l'acquis enregistré du mois d'octobre (5,3 %). Celle-ci reste toutefois dépendante de l'évolution des prix énergétiques, particulièrement volatils depuis le début de la guerre en Ukraine. Le Gouvernement maintient sa prévision d'une progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles de 8,6 % en 2022, qui demeure plausible au regard des données mensuelles – parues depuis la rédaction de l'avis du Haut Conseil sur le PLF et le PLFSS 2023 – de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) pour les mois de juillet et août.
En résumé, le Haut Conseil estime que la prévision de croissance pour 2022 est atteignable, mais qu'elle peut être considérée un peu élevée au vu des informations parues depuis la rédaction de son avis. Les prévisions d'inflation et de masse salariale restent crédibles.
J'en arrive aux prévisions en matière de finances publiques. Le Haut Conseil s'est attaché à apprécier le réalisme des prévisions de recettes, de dépenses et de solde public sur la base des informations à sa disposition.
Selon le Gouvernement, les recettes de prélèvements obligatoires atteindraient 1 195 milliards d'euros en 2022, en hausse de 7,9 % par rapport à 2021, soit une croissance sensiblement supérieure à celle de la valeur du PIB (5,6 %). Le ratio de prélèvements obligatoires augmenterait ainsi de 0,9 %par rapport à 2021, pour atteindre 45,2 %du PIB en 2022. Le montant des prélèvements obligatoires a été légèrement révisé à la hausse dans le deuxième PLFR, à hauteur de 800 millions d'euros supplémentaires par rapport à celui affiché dans le PLF 2023. Par rapport à la prévision inscrite dans le PLF 2023, les informations sur les encaissements et les émissions de rôle conduisent à réviser à la hausse – +1,3 milliard d'euros – les revenus des prélèvements sociaux sur le capital, principalement du fait d'une progression des plus-values mobilières 2021 plus importante qu'escomptée en septembre et des recettes d'impôt sur le revenu (IR) – +600 millions d'euros. La croissance de l'IR atteindrait 11,21 % en 2022, chiffre plausible au vu des données des neuf premiers mois et des dernières informations communiquées par l'administration fiscale.
À l'inverse, les recettes issues de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – dont la croissance excédait jusqu'ici celle estimée des emplois taxables – ont été décevantes en août et septembre. Le Gouvernement a réduit sa prévision de croissance des recettes de TVA à 9 % en 2022, soit une baisse de 1,9 milliard d'euros par rapport au montant affiché dans le PLF 2023. Ces prévisions apparaissent également plausibles, en cohérence avec la croissance attendue des emplois taxables (9,4 %).
Le Gouvernement n'a pas modifié sa prévision de recettes d'impôt sur les sociétés. Comme chaque année, les aléas portant sur cette prévision sont importants, du fait du rendement incertain du cinquième acompte versé en décembre. Rappelons d'ailleurs que l'année 2021 avait donné lieu, en exécution, à un écart de prévision de près de 10 milliards d'euros par rapport à la dernière LFR.
Enfin, d'importantes incertitudes entourent le montant des recettes issues du reclassement en prélèvements obligatoires des charges de service public de l'énergie. Le Gouvernement a maintenu son estimation d'un surcroît de prélèvements obligatoires de 9,6 milliards d'euros dû aux reversements des producteurs d'énergies renouvelables, en raison de prix de marché désormais supérieurs au prix de référence ; leur montant demeure tributaire de l'évolution des prix de l'énergie au cours des prochains mois.
De leur côté, les dépenses publiques augmenteraient de 4,1 % en valeur en 2022, soit une légère révision à la baisse de 0,9 milliard d'euros par rapport à la prévision de 4,2 % du PLF. En volume, elles progresseraient de 1,3 %, corrigées du déflateur du PIB. La dépense publique devrait atteindre 57,6 % du PIB en 2022, soit un niveau très supérieur à celui atteint avant la crise sanitaire – 53,8 % du PIB en 2019. Cela confirme la leçon constatée à chaque crise : le niveau des dépenses publiques augmente très fortement, avant de redescendre, mais avec un effet de cliquet de près de 2 %. Nous pouvons sans doute revenir autour de 56 %, mais peut-être faudrait-il des PLF quelque peu différents de celui-ci pour revenir au niveau de 2019. En excluant les dépenses exceptionnelles de soutien face aux crises sanitaire et énergétique et les dépenses de relance, la dépense publique progresserait de 3,4 % déflatée par les prix du PIB.
L'ajustement de la prévision de dépenses publiques porte sur les dépenses de l'État. En effet, un surcroît de dépenses lié au plan de relance de 2,1 milliards d'euros serait plus que compensé : par la révision à la baisse des crédits des ministères dans le cadre du schéma de fin de gestion à hauteur de 1,8 milliard d'euros ; par de moindres versements à l'Union européenne de 0,7 milliard d'euros ; par le coût plus faible qu'anticipé – également pour 0,7 milliard d'euros – de la constitution du stock de sécurité de gaz. L'économie sur les versements à l'Union européenne pourrait toutefois se révéler moins forte que prévu si de nouvelles aides à l'Ukraine – en cours de discussion – venaient à être décidées et effectuées avant la fin de l'année. Par ailleurs, l'évolution du prix du gaz fait toujours peser des risques – à la hausse comme à la baisse – sur les dépenses.
Au total, le solde public s'établirait à 4,9 %de PIB selon le Gouvernement, en légère amélioration par rapport à la prévision du PLF 2023 (5 %, que le Haut Conseil estimait un peu élevée. Compte tenu des éléments d'appréciation énoncés, tant en recettes qu'en dépenses, la prévision de solde du Gouvernement apparaît plausible, voire solide. Il est cependant important de relever que l'amélioration du solde public entre 2021 (où il s'établissait à - 6,5 %du PIB) et 2022 résulte surtout du dynamisme des recettes et non d'un effort de maîtrise de la dépense publique : l'extinction des mesures d'urgence liées à la crise sanitaire a été plus que compensée par les dépenses nouvelles des ministères et par les dépenses de lutte contre l'inflation et la hausse des prix de l'énergie.
En conclusion, je m'attarderai sur la cohérence entre le solde structurel pour 2022 et les orientations pluriannuelles de la loi de programmation en vigueur, sur laquelle le Haut Conseil doit se prononcer. Selon le Gouvernement, le solde structurel s'établirait à -3,6 %du PIB potentiel en 2022, après -4,5 %en 2021, soit des niveaux très éloignés des cibles fixées par la LPFP 2018-2022 – -1,2 %pour 2021, -0,8 %pour 2022. Il serait encore plus éloigné de l'objectif de moyen terme de 0,4 %PIB que la France s'est fixé dans cette loi.
Comme vous le savez, la trajectoire de référence de la LPFP pour les années 2018 à 2022 est devenue obsolète avec la crise sanitaire. Avec la nouvelle estimation de PIB potentiel proposée par le Gouvernement dans son projet de LPFP pour les années 2023 à 2027, qui est à juste titre moins favorable que celle de la précédente LPFP, le solde structurel s'établirait à -4,2 % du PIB potentiel en 2022 et serait ainsi encore plus éloigné de l'objectif de moyen terme.
L'ajustement structurel – la variation du solde structurel par rapport à 2021 – serait de +0,9 % du PIB, quelle que soit la trajectoire de PIB potentiel retenue. Cette amélioration nette du solde structurel résulte exclusivement de l'impact favorable de l'élasticité des prélèvements obligatoires à la croissance. L'effort structurel – qui reflète mieux l'action du Gouvernement – est même légèrement négatif, en dépit de l'extinction des mesures d'urgence liées à la crise sanitaire, dont le coût diminue de 62 à 15 milliards d'euros entre 2021 et 2022.
Le ratio de dette publique par rapport au PIB serait quant à lui en baisse de 1,3 % en 2022, à 111,5 %, grâce à la forte croissance économique de 2022 – qui influe sur le dénominateur – et à une diminution de la trésorerie de l'État – qui réduit le besoin d'émission de nouvelles dettes. Il s'agit d'une baisse assurément faible, et la France figure toujours parmi les pays les plus endettés de la zone euro. Le retour à des niveaux de dette garantissant à la France de disposer de marges de manœuvre suffisantes et nécessaires pour faire face à des chocs macroéconomiques et financiers et aux besoins d'investissements publics massifs de notre pays demeure un impératif. C'est un message que je ne cesse de répéter, et que je crains de devoir répéter durant plusieurs années.