Intervention de Karim Ben Cheikh

Réunion du lundi 24 octobre 2022 à 14h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKarim Ben Cheikh, rapporteur spécial :

Avec 3,2 milliards d'euros de crédits pour 2023, le budget de la mission Action extérieure de l'État progressera d'un peu plus de 5 % en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), soit une hausse d'environ 160 millions par rapport à la précédente loi de finances. Il devrait également bénéficier de 101 emplois équivalents temps plein (ETP) supplémentaires. En réalité, la hausse des crédits ne correspond qu'à une hausse des dépenses contraintes. Quant à la hausse des ETP, loin de compenser les centaines d'emplois supprimés au cours des cinq dernières années, elle apparaît comme une réponse ponctuelle à la grève historique de nos diplomates et ne s'inscrit dans aucune perspective pluriannuelle.

La mission Action extérieure de l'État représente à peu près la moitié du budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. C'est elle qui porte les moyens de notre action diplomatique et consulaire à travers le monde.

Je commencerai par un paradoxe. Lors de la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2023 et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, le Gouvernement a clairement inscrit le renforcement des moyens de nos politiques régaliennes parmi les priorités budgétaires. Or seuls les ministères des armées, de l'intérieur et de la justice, dont les administrations ont fait l'objet d'états généraux ou d'une loi d'orientation et de programmation, sont concernés. Rien de tel, hélas, pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui a connu des réductions de moyens et d'effectifs continues depuis plus d'une décennie. En quinze ans, il a perdu 2 850 emplois, soit plus de 17 % des effectifs rémunérés. Quinze ans, c'est aussi le temps écoulé depuis la publication du dernier Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France.

Le Gouvernement doit se saisir des états généraux de la diplomatie, annoncés le 1er septembre dernier par le Président de la République lors de la conférence des ambassadeurs, afin d'opérer un véritable réarmement de notre politique étrangère, à l'heure de la brutalisation des relations internationales et du retour de la guerre en Europe. La France a un rôle à jouer dans la « compétition d'universalisme qui est à l'œuvre », selon les mots du chef de l'État, entre la Chine et les États-Unis. Encore faut-il enfin lui donner les moyens de le jouer.

J'en viens aux programmes qui composent la mission. Le programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde bénéficie de la hausse de crédits la plus forte, à hauteur de 6,7 %. Cette progression résulte de l'appréciation du dollar, monnaie dans laquelle la France paie 475 millions d'euros de contributions aux organisations internationales, ainsi que des effets de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique, dès lors que ce programme finance les deux tiers des dépenses de personnel. Ces mêmes facteurs expliquent la hausse de 4,6 % du programme 151 Français à l'étranger et affaires consulaires, qui finance les rémunérations et les bourses scolaires du réseau de l'enseignement français à l'étranger.

Par ailleurs, je constate la stabilité du programme 185 Diplomatie culturelle et d'influence, hormis une augmentation ponctuelle de la subvention allouée à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Le réseau des établissements scolaires français hors de nos frontières bénéficiera de 30 millions d'euros supplémentaires, soit 13 millions au titre de la hausse du point d'indice de la fonction publique, 7 millions pour régulariser le statut des personnels résidents, condamné par la justice administrative et dont la fragilité juridique était la conséquence du manque de moyens de l'AEFE, et 10 millions pour soutenir le réseau en difficulté au Liban, où l'AEFE compte soixante-quatre établissements et 60 000 élèves.

Tout cela m'incite à penser qu'en réalité, aucun effort budgétaire n'est consenti en faveur de la mission Action extérieure de l'État. Pour l'essentiel, les moyens supplémentaires ne reflètent aucune orientation stratégique mais correspondent à des dépenses contraintes. Les programmes ne permettent pas à notre pays de maintenir son rang en matière de contribution au système multilatéral, ni d'intégrer nos bâtiments à l'étranger au mouvement de rénovation thermique des bâtiments publics entamé en France, ni surtout de se doter d'un véritable service public au bénéfice de nos compatriotes les plus vulnérables établis hors de France, notamment en matière de dépendance et de handicap.

Quant à la hausse de 101 ETP, elle n'esquisse aucune tendance. Nos auditions ont confirmé qu'elle est ponctuelle. Nous avons pourtant constaté une situation critique, comme le suggèrent deux indicateurs : pour tenir, le programme 151 consomme à lui seul près de 144 ETP de vacations par an ; en administration centrale, le nombre d'heures supplémentaires effectuées au-delà du plafond légal équivaut à lui seul à une soixantaine d'ETP.

Pour ces raisons et en l'absence d'une perspective pluriannuelle de réarmement de notre diplomatie, j'émets un avis défavorable sur les crédits de la mission.

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