Madame la présidente, madame la ministre, c'est avec une colère contenue que je m'adresse à vous. Ce qui se passe aujourd'hui est particulier : nous feignons tous ici de débattre d'un sujet que nous ne pourrons examiner, nous dépossédant nous-mêmes de notre mandat et le Parlement de son pouvoir. Dans un cadre constitutionnel qui acte la séparation des pouvoirs, l'exécutif prend le pas sur le législatif ; nous avons tous, chers collègues, une responsabilité partagée à assumer. Ce ne sont pas seulement les députés que l'on dépossède mais les électeurs qui, dans chaque circonscription, ont exprimé leurs suffrages en toute connaissance de cause. Ce n'est pas le ronron sous les ors de la République que nous perturbons ; ce qui est perturbé, c'est le vote des électeurs, de nos concitoyens qui ont fait le choix conscient, démocratique et protégé par le droit de faire s'exprimer dans cette Assemblée des visions différentes de l'avenir de la France. Même si nous n'étions très souvent pas d'accord, nous avons jusqu'à présent eu dans cette commission, sous votre présidence, madame Rauch, un débat pacifique.
Je vous parle avec une certaine solennité, parce que cette commission n'aura pas le loisir de parler de l'école, des territoires, de l'Université – puisque école, territoire et Université sont une seule et même question.
Le Président de la République a justifié le recours à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution par le fait qu'il ne souhaitait pas que le Parlement engage des milliards d'euros sur « rien ». Mais ce n'est pas « rien » de parler du salaire des enseignants. Ce n'est pas « rien » de parler du rôle central des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Ce n'est pas « rien » de parler des psychologues de l'Éducation nationale. Ce n'est pas « rien » de dire que le niveau de rémunération des personnels de l'enseignement élémentaire, secondaire et supérieur ne sera pas suffisant pour rattraper le coût de la vie réel, ce dont nous aurons tous à subir les conséquences dans les années à venir : aussi longtemps que les lois et les budgets seront déconnectés du coût de la vie réel, que celles et ceux qui sont chargés de fabriquer des citoyens n'auront pas les moyens de faire leur métier parce que ce n'est pas un emploi que d'être enseignant, nous assisterons tous au décrochage de la France sur la scène internationale.
Ce n'est pas « rien » de parler de gratuité scolaire, de cantine gratuite, de fournitures scolaires, mais nous n'aurons pas le loisir d'examiner les amendements à ce sujet. Ce n'est pas « rien » non plus de parler d'un revenu étudiant. Le groupe LFI considère que le travail d'un étudiant est d'étudier, ce dont la France a besoin. Il n'y a aucune gloire à leur demander de faire des petits boulots pour payer leurs études, quelle que soit leur classe sociale, car l'enfant d'une famille aisée a aussi le droit de s'affranchir de ses parents et de choisir la formation que, parfois, sa famille lui interdit.
Enfin, ce n'est pas « rien » de parler du Crous, dont les bâtiments sont des passoires énergétiques abritant des chambres si exiguës que les étudiants ne peuvent y travailler sereinement. Je sais que nous sommes d'accord sur ce point, mais le budget que vous avez présenté ne répond pas au niveau des exigences dont la France a besoin.
Donc, ce n'était pas « rien » d'aborder un débat qui n'aura pas lieu et je trouve curieux que nous fassions comme si de rien n'était. Le Gouvernement nous mettant dans une situation ubuesque, le groupe LFI prend congé de cette commission, en espérant qu'à l'avenir nous pourrons tenir un débat démocratique dans lequel le Parlement sera respecté et par lequel la diversité de nos rangs sera prise en compte dans les politiques nouvelles.