L'édifice français de l'enseignement supérieur et de la recherche observé globalement mérite considération et respect, et votre projet de budget s'efforce d'encourager son développement. Personne ne doute ici que les personnels de l'Université, des opérateurs et des grands établissements tendent quotidiennement à l'excellence. Mais ce satisfecit ne doit pas occulter les faiblesses, voire la ligne de fracture que l'on constate à la lecture des documents budgétaires. Nous voulons donc attirer votre attention sur des indices, préoccupants dans un environnement international de concurrence exacerbée, d'affaiblissement de notre appareil d'enseignement supérieur et de recherche.
Le taux de réussite au baccalauréat, premier diplôme universitaire, avoisine 98 %, et la plupart des lauréats obtiennent, en plus, une mention. Mais, quelques mois plus tard, cette glorieuse cohorte est en pleine débandade : la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), dans sa publication Repères et références statistiques 2021, indique que 21,3 % des étudiants abandonnent leurs études supérieures après la première année et que 41 % seulement des étudiants inscrits en licence l'obtiennent en trois ou quatre ans, les autres disparaissent dans le vortex. Cela fait s'interroger sur l'efficacité, voire la pertinence du système d'affectation Parcoursup, et sur l'organisation et la qualité pédagogique des enseignements des trois années de licence ; nous aurions proposé des amendements visant à remédier à ces sources de dysfonctionnement. Il faut notamment remplacer Parcoursup par un système permettant aux universités d'accueillir et d'orienter correctement les bacheliers, c'est-à-dire une propédeutique.
Á l'autre extrémité du dispositif, la question des doctorants est aussi préoccupante. Leur nombre stagne, voire diminue depuis 2012 : ils étaient 13 686 cette année-là et 12 988 en 2019. Il convient donc d'augmenter sensiblement le budget consacré aux études doctorales.
La misère de la condition étudiante n'est pas vraiment digne de la sixième puissance mondiale. Un étudiant sur trois connaît des conditions de logement précaires, un quart des doctorants ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins et se trouvent donc contraints d'accepter des emplois précaires. M. Macron avait annoncé un plan de 60 000 logements étudiants ; seuls 11 000 ont été livrés. Il convient donc d'augmenter aussi, et sérieusement, les crédits consacrés à la vie étudiante.
Nous sommes également très préoccupés par le comportement de certains enseignants de l'Université au regard de la rigueur scientifique et du respect du principe de neutralité. Après avoir vainement demandé une étude sur ce phénomène au CNRS, Mme Frédérique Vidal, votre prédécesseure, déclarait : « L'islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et l'Université n'est pas imperméable (…) On observe que dans les universités, des gens utilisent leur titre et leur aura – ils sont minoritaires – pour porter des idées radicales ou militantes ». Et je ne parle même pas des prises de position politiciennes de certains présidents d'université, sujet à propos duquel je vous ai posé une question écrite, madame la ministre. Le wokisme fermement dénoncé par M. Blanquer, l'écriture inclusive, le racialisme et le genrisme ne peuvent en aucun cas prétendre relever du champ des sciences alors que ce sont des idéologies politiques. Le ministère devrait mettre un terme à ces dérives qui, si l'on n'y prend garde, peuvent porter gravement atteinte à la réputation de rigueur scientifique de certaines universités et de certaines formations universitaires.
La LPR contribue incontestablement au réarmement de la recherche française : elle aura notamment permis d'augmenter le nombre d'équivalent temps plein pour la recherche et de revaloriser la rémunération des chercheurs. Toutefois, certains indicateurs sont préoccupants. Nous sommes encore éloignés de l'objectif de Lisbonne, qui est de consacrer 3 % du PIB à la recherche et au développement. La part des productions scientifiques nationales dans les productions européennes et internationales dans les domaines du climat, de l'énergie, de la mobilité et de la santé stagne, voire baisse depuis des années ; il est urgent d'inverser cette tendance. Enfin, il est plus que nécessaire de mieux protéger notre patrimoine scientifique d'influences étatiques étrangères, comme le recommande un rapport sénatorial de septembre 2021. Cet aspect défensif et sécuritaire de notre politique de recherche est encore trop absent de votre projet de budget, que nous aurions proposé d'amender afin d'y remédier.