Ce budget n'est pas à la hauteur. Alors que nous traversons de multiples crises, sociale, écologique, sanitaire et diplomatique, l'école doit plus que jamais former des citoyennes et des citoyens éclairés. Pourtant, l'école de la République vacille sur son socle : l'écart de résultats entre élèves favorisés et défavorisés se creuse, les élèves doutent du sens à donner à leur apprentissage, les enseignants sont épuisés moralement, surtout dans l'éducation prioritaire, et les établissements peinent à suivre le rythme frénétique des réformes. Nous pouvons le dire sans exagération : le système éducatif est au bord du précipice.
Or vous ne proposez qu'une suite de mesures anecdotiques. Alors que le candidat Macron avait promis, pendant l'entre-deux-tours, une hausse de 10 % des salaires des enseignants, 635 millions seulement sont affectés à la hausse inconditionnelle, ce qui équivaut à une augmentation de 30 euros par mois pour un enseignant du primaire. Nous sommes loin du choc d'attractivité dont la profession a tant besoin !
Quant à la part variable des salaires, elle constitue un affront pour les enseignants. Une note de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), parue ce matin même, montre que la moitié des enseignants déclarent travailler au moins 43 heures par semaine. Comme cela a été rappelé au Sénat, les enseignants français passent davantage de temps à enseigner que leurs collègues européens. Les hausses de salaires ne sont pas une faveur, monsieur le ministre, elles sont de droit. Dès lors, il n'est pas question qu'elles soient conditionnées à d'autres activités.
Le fonds d'innovation pédagogique, dont la création a été annoncée dans la précipitation à Marseille, est censé permettre aux écoles de devenir des laboratoires innovants. Si l'idée est bonne, l'application laisse à désirer. Les fonds s'élèvent à 150 millions d'euros, ce qui représente 2 500 euros par établissement, alors même que certaines écoles marseillaises ont reçu des sommes allant de 10 000 à 20 000 euros. Comme dans la recherche, le Gouvernement s'apprête à introduire la compétition entre les établissements pour obtenir les fonds, ce qui instaurera un climat de défiance. Nous le réaffirmons avec force : l'école n'est pas un marché, les établissements ne sont pas des start-up innovantes, l'idéologie n'a pas sa place dans l'école de la République !
Ce budget s'inscrit dans la lignée des précédents, et comporte des mesures élitistes comme le renforcement des internats d'excellence, la conditionnalité des salaires, la création de classes européennes supplémentaires, la compétition entre établissements, et surtout la réforme à venir du lycée professionnel.
Notre vision de l'école est tout autre. Nous sommes pour une école ouverte qui n'enferme pas les élèves dans des filières cloisonnées mais qui accompagne toutes les ambitions. Nous sommes pour une école émancipatrice, qui forme des consciences libres et éclairées, et non uniquement des travailleurs. Nous sommes pour une école du bien commun, qui prépare les élèves à devenir des citoyens engagés en leur transmettant le respect de la valeur humaine et du vivant. Nous sommes pour une école bienveillante, qui reconnaît à leur juste valeur les enseignants, les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), les AED, les AESH, les psychologues, les infirmiers et les médecins, loin de la maltraitance institutionnelle actuelle.
Il n'est pas trop tard, monsieur le ministre, pour donner enfin un sens concret aux valeurs républicaines d'égalité et de fraternité.