Intervention de Mounir Belhamiti

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMounir Belhamiti, rapporteur pour avis :

Au lendemain de l'invasion de l'Ukraine, des Rafale équipés de missiles Meteor et Mica, appuyés par des avions ravitailleurs Phénix A330-MRTT, décollaient de la base de Mont-de-Marsan pour des missions de police du ciel en Pologne. Les avions A400M transportaient matériel et munitions en Roumanie pour le bataillon Aigle. Dans le même temps, le groupe aéronaval, composé notamment du porte-avions, des frégates multimissions (Fremm), de frégates à capacité aérienne renforcée et d'avions de patrouille maritime, croisait en Méditerranée. Parallèlement, sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) de la force océanique stratégique et aéronefs des forces aériennes stratégiques (FAS) assuraient la posture permanente de dissuasion nucléaire. Enfin, à quelques milliers de kilomètres de là, en bande sahélo-saharienne, les véhicules blindés du programme Scorpion (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l'infovalorisation) continuaient leurs actions pour lutter contre les groupes armés terroristes.

Tous ces équipements qui permettent à nos forces armées d'assurer leurs missions au quotidien ont été financés par le programme 146. Il s'inscrit dans le cadre d'une loi de programmation militaire respectée à l'euro près depuis 2019, fait inédit – on ne le rappellera jamais assez – depuis des décennies. Ce texte avait été adopté dans un esprit de coopération transpartisane entre la majorité de notre Assemblée et celle du Sénat, il y a quatre ans. Je ne doute pas que le même esprit animera aujourd'hui ceux qui ont contribué hier à définir ce cap pour notre défense.

La modernisation des équipements de nos forces armées est au cœur de l'ambition de la LPM : depuis 2017, les crédits du programme sont passés de 10 à 15,4 milliards d'euros, soit l'équivalent des crédits alloués à l'ensemble de la mission Sécurités. Au total, le programme représente plus de 35 % des crédits de la mission Défense.

Le budget que nous examinons poursuit et accélère le renouvellement de l'ensemble de notre spectre capacitaire. Il contribue au renouvellement de nos capacités de dissuasion, grâce aux travaux en cours sur les futurs missiles nucléaires ou le sous-marin nucléaire de troisième génération. Il renforce nos capacités de combat, avec, pour 2023, la commande de quarante-deux nouveaux Rafale, la création d'une brigade interarmes Scorpion d'ici à la fin de l'année, la livraison du deuxième sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) de type Barracuda, ou encore la poursuite des travaux préparatoires sur le porte-avions de nouvelle génération. Il modernise nos capacités de commandement, de communication et de renseignement, avec le lancement en 2023 du deuxième satellite de télécommunication Syracuse IV et du troisième satellite CSO (composante spatiale optique) d'observation de la constellation, ou encore les travaux sur les successeurs de l'avion radar Awacs (Airborne Warning And Control System), que j'ai eu l'occasion de voir sur la base d'Avord. Enfin, il amplifie nos capacités de projection, comme en témoigne le renouvellement de notre flotte de transport tactique et stratégique grâce aux A400M et A330-MRRT Phénix, qui offre une capacité d'élongation inédite à notre armée de l'air et de l'espace.

Au-delà de la poursuite des grands programmes structurants, les crédits tiennent naturellement compte du contexte stratégique. Un effort particulier est ainsi prévu, à hauteur de 2 milliards d'euros en autorisations d'engagement – 1,1 milliard en crédits de paiement –, pour la nécessaire reconstitution de nos stocks de munitions : missiles moyenne portée pour l'armée de terre, missiles Exocet pour la marine, missiles Aster pour nos systèmes de défense antiaérien, missiles Scalp.

Cet effort doit être poursuivi et amplifié. Il y va de notre capacité à durer dans le cadre d'un conflit. Car le budget que nous examinons n'est pas seulement la traduction fidèle d'une programmation largement adoptée : il constitue également la base de la programmation pluriannuelle à venir de nos dépenses militaires.

Les coopérations européennes les plus emblématiques connaissent des difficultés. Elles ont cependant du sens, non seulement opérationnellement, en favorisant l'interopérabilité, mais aussi financièrement, car elles permettent le partage des coûts. Notre première responsabilité est donc de tout faire pour les concrétiser dès lors qu'elles satisfont un certain nombre de principes, notamment celui du best athlete. En revanche, ne soyons pas naïfs : pour certains de nos partenaires, privilégier la sécurité du parapluie américain plutôt que la construction, patiente et nécessairement plus longue, d'une souveraineté européenne est une tentation certaine et qui n'est pas nouvelle. Elle n'a pas empêché l'esprit de coopération d'avancer, mais elle a parfois ralenti sa progression et a pu avoir raison de certains programmes. Notre volontarisme ne doit donc pas nous amener à ignorer les risques d'échec des coopérations engagées, a fortiori lorsqu'elles se heurtent à des blocages qui se multiplient. Tout plan A doit être assorti d'un plan B ; je retiens des contacts établis dans le cadre du présent avis budgétaire que nos industriels et états-majors en ont pleinement conscience.

Les crises que nous traversons imposent une forme d'économie de guerre, qui nous permette de produire plus et plus vite ce qui est essentiel à leur résolution.

Sur le plan militaire, la guerre en Ukraine a servi d'électrochoc. Elle rappelle que les guerres de haute intensité sont caractérisées par une forte attrition du matériel et consommation de munitions. Bien plus, nous avons pris conscience à l'occasion de ce conflit que nos industriels n'avaient pas la capacité de recompléter rapidement des stocks ponctionnés par les livraisons indispensables au bénéfice de l'Ukraine. Comment faire, alors, pour produire plus et plus vite ?

D'abord, simplifier nos processus, en premier lieu l'expression des besoins de nos armées. Nos flottes et nos parcs d'équipements sont trop hétérogènes et un même système d'armes est souvent produit en plusieurs versions ayant chacune sa spécificité. Il nous faut rechercher l'homogénéisation de nos équipements, sur le modèle de l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard.

Il nous faut également simplifier la conduite des opérations d'armement. Les forces et la DGA doivent associer les industriels le plus en amont possible, dès la phase de l'expression des besoins, pour identifier les spécifications génératrices de coûts ou de délais. Au stade du développement, la démarche incrémentale – la fameuse méthode agile – doit être privilégiée, pour favoriser l'appropriation progressive du système d'armes par les forces, ainsi que la possibilité de prendre en compte au plus tôt le retour d'expérience du terrain en vue des développements à venir. Au stade de la qualification, la mutualisation des essais doit permettre de gagner du temps et de mettre un terme aux duplications entre DGA et industriels.

La simplification vaut aussi pour les normes. Il faut cesser d'appliquer mécaniquement des normes issues du monde civil sans tenir compte des conditions d'emploi de nos équipements et matériels. Les travaux en cours sur la réforme des règles de navigabilité ou de la certification des drones vont dans le bon sens. Dans ce débat sur les normes spécifiques à l'armement militaire, il nous faut aussi distinguer et prioriser les combats, en conservant à l'esprit que si un monde en paix est loin d'être une condition suffisante pour des solutions efficaces face aux crises écologiques, on perdrait assurément le combat climatique dans un monde en proie au chaos et à la guerre.

Le deuxième axe permettant d'adapter la BITD à l'économie de guerre consiste à renforcer notre autonomie, notamment en sécurisant les chaînes d'approvisionnement.

Cela exige de constituer des stocks de matières premières ou de composants critiques qui pourraient être mutualisés entre les entreprises de défense. Cela passe également par la réduction de nos dépendances à l'égard de certains pays étrangers, par exemple en relocalisant certaines filières critiques, telles que la filière poudre. L'anticipation des approvisionnements sera par ailleurs favorisée si l'État donne à nos industriels, notamment aux PME, davantage de visibilité concernant ses commandes, par exemple grâce à de nouveaux mécanismes contractuels.

La troisième et dernière piste consiste à se mettre en capacité de résister.

Une plus grande résilience de la BITD exige tout d'abord de pouvoir mobiliser des ressources humaines en nombre suffisant en cas de crise. Je soutiens à cet égard la proposition du patron de Nexter de créer une réserve industrielle de défense. Le même réflexe doit permettre de mobiliser, lors de conflits, les ressources matérielles indispensables au fonctionnement de la BITD. Des réflexions sont en cours pour adapter et rendre plus agiles nos régimes juridiques de réquisition et de priorisation, au bénéfice des besoins de défense.

Enfin, outre la nécessaire protection de nos entreprises face à des actes de sabotage, matériels ou immatériels, un pan qui me semble trop négligé dans les réflexions actuelles sur l'économie de guerre est le maintien en condition opérationnelle de nos équipements en cas de conflit. Au-delà des moyens financiers, comment adapter notre organisation industrielle afin qu'elle soit suffisamment résiliente et réactive pour régénérer le matériel usé par des dommages de guerre ? C'est une question majeure qu'il me semble nécessaire d'anticiper.

Notre défense passe par des moyens et par un état d'esprit. Ce budget dégage des moyens utiles ; ensemble, au-delà des limites de nos groupes politiques et avec tous les acteurs de la défense nationale, nous avons également à créer et à cultiver un état d'esprit que ce moment si particulier de notre histoire rend essentiel.

Je vous invite évidemment à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146.

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