Intervention de François Cormier-Bouligeon

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : forces terrestres) :

Alors que nous entamons l'examen du premier budget de la législature, je suis fier d'être rapporteur pour avis des crédits d'un budget qui, pour la cinquième année consécutive, traduit une LPM ambitieuse et rigoureusement exécutée. Porté à 32,3 milliards d'euros en 2017, le budget de la défense atteint aujourd'hui 43,94 milliards, concrétisant le franchissement d'une nouvelle marche de 3 milliards, dont 213 millions de CP supplémentaires pour l'armée de terre. Le montant du budget opérationnel du programme Terre est ainsi porté à 1,88 milliard d'euros en CP afin de financer la hausse de l'activité et le renforcement du niveau des stocks.

Le PLF 2023 est capital dans la poursuite de la modernisation engagée par l'armée de terre. 18 % de la cible Scorpion devrait être réalisée d'ici la fin 2022, et 25 % en 2023. Des commandes cruciales seront passées cette année, notamment 420 véhicules Serval supplémentaires, tandis que 123 Griffon, 119 Serval et 22 Jaguar seront réceptionnés. Les crédits permettront à l'armée de terre de tenir l'objectif d'une brigade interarmes Scorpion projetable en 2023. L'exercice majeur Orion 2023 permettra de franchir une étape décisive dans la préparation des forces terrestres renforcées, conformément à la vision stratégique du chef d'état-major de l'armée de terre.

Cette modernisation s'accompagne de ressources en hausse. Parmi elles, une priorité clairement affichée dans ce budget est l'augmentation de 18 % des crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle (MCO) par rapport à la loi de finances initiale 2022, soit une hausse de 184 millions d'euros en CP. La hausse des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels contribuera à améliorer la disponibilité des matériels. Cette augmentation prendra principalement en compte la prise en charge depuis juillet 2022 du soutien du Griffon par le programme 178, le soutien simultané des parcs d'anciennes générations, les effets de l'inflation et la pérennisation du char Leclerc.

Par ailleurs, le budget des équipements d'accompagnement et de cohérence, retracé dans le programme 178, est lui aussi en hausse de 3 %. Il reflète l'effort consenti dès 2023 en faveur de l'achat de munitions supplémentaires pour couvrir les besoins de la haute intensité. Les crédits permettront principalement l'acquisition de roquettes AT4F2 et d'obus éclairants de mortier de 120 millimètres.

Je me réjouis que l'armée de terre ait pu remplir ses objectifs de recrutements en 2022, étant ainsi l'une des rares armées en Europe capable d'attirer environ 14 000 recrues chaque année. Ces efforts, combinés à ceux de l'ensemble du ministère dans le cadre du plan « famille » et à des mesures volontaristes, comme la prime de lien au service, parviennent à fidéliser davantage de militaires.

Enfin, pour atteindre ces objectifs dans la durée, l'armée de terre développe une offre de formation innovante. Ainsi, je suis très attaché à l'ouverture de l'école militaire, préparatoire et technique (EMPT) de Bourges, qui permettra de recruter et de former les compétences nécessaires pour les métiers en tension, comme la maintenance aéronautique et terrestre, ainsi qu'à celle du BTS cyber à Saint-Cyr-l'École.

Autre indicateur à saluer, 79 % des soldats de l'armée de terre jugent leur moral bon, voire excellent, grâce aux livraisons d'équipements, au style de commandement et au sens donné à leur métier. L'engagement opérationnel soutenu suscite toutefois des défis accrus pour la conciliation avec la vie personnelle – notamment la vie familiale – des militaires et diminue le temps disponible pour la préparation opérationnelle. Aussi l'armée de terre doit-elle encore poursuivre ses efforts dans ce domaine.

Enfin, au regard de la forte inflation et des surcoûts qui n'avaient pu être anticipés lors du vote de la loi de finances pour 2022, je demeurerai vigilant à ce que le niveau d'activité des forces terrestres soit préservé en gestion et lors des prochains exercices.

L'exercice budgétaire 2023 ne peut être décorrélé du tournant stratégique de la guerre en Ukraine. Les conséquences sur les forces terrestres sont à la fois budgétaires et opérationnelles, marquées par des cessions de matériel emblématiques et de nouveaux déploiements visant à renforcer la posture dissuasive et défensive de l'Otan sur le flan est de l'Europe. J'ai donc choisi de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire aux conséquences de l'effort consenti en faveur de la nation ukrainienne et de son armée et aux premières leçons tirées de la guerre en Ukraine pour la préparation et l'emploi des forces terrestres. En effet, l'effort consenti par notre défense nationale doit être pris en compte et compensé afin de trouver un juste équilibre entre l'aide apportée et la préservation des intérêts de nos forces terrestres – même s'il convient de rappeler que les deux parties de l'équation ne sauraient être opposées tant l'aide apportée aux forces ukrainiennes contribue à notre propre défense. Dans le cadre de mes travaux, je suis allé à la rencontre du 27e bataillon de chasseurs alpins à Annecy qui revenait de l'opération Aigle en Roumanie, et en Estonie, auprès des forces participant à l'opération Lynx. J'ai pu mesurer la réactivité avec laquelle les militaires se sont déployés sous très court préavis et constater sur le terrain l'importance de leur présence pour assurer la crédibilité de la France vis-à-vis de ses alliés et renforcer l'interopérabilité de nos armées.

Toutefois, j'ai souligné dans mon avis budgétaire la nécessité de compenser en gestion les efforts consentis par les forces terrestres au risque de compromettre leur capacité à assurer l'ensemble de leurs missions. De la même manière, il serait souhaitable que les missions opérationnelles de l'armée de terre puissent faire l'objet d'une prise en charge ad hoc au même titre que les Opex, afin de se prémunir contre les risques d'éviction.

Par ailleurs, j'ai tenu à présenter dans mon avis budgétaire les premières leçons que les forces terrestres ont tirées de la guerre en Ukraine. Le conflit étant en cours, le retour d'expérience ne peut être que partiel, même si je le considère comme nécessaire dans la perspective de la prochaine LPM. Le retour de la haute intensité en Europe confirme le bien-fondé du durcissement de la préparation opérationnelle entrepris par l'armée de terre et la pertinence de la modernisation en cours.

J'identifie trois grands axes d'amélioration. Il s'agit premièrement de compléter nos stocks et d'acquérir les équipements qui permettront aux forces terrestres de gagner la guerre de ce soir, mais aussi celle de demain. En effet, les cessions de matériel ont mis en lumière des capacités dimensionnées au plus juste qui conduisent à écarter pour l'instant de nouvelles cessions importantes prélevées directement sur les stocks des forces terrestres. À ce titre, je salue la décision du Président de la République d'annoncer un fonds de 100 millions d'euros qui permettra aux autorités ukrainiennes de s'approvisionner directement auprès de nos industriels. Passer d'une logique de cession à une logique de production suppose néanmoins de renforcer la réactivité des industriels de la BITD. Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, s'y emploie.

Deuxièmement, nous devons renforcer notre capacité à durer. La guerre en Ukraine a en effet démontré la nécessité de rechercher dès maintenant une plus grande efficacité des soutiens couplée à une plus grande profondeur logistique. Cela suppose de renforcer le niveau des stocks de pièces de rechange et de prendre davantage en compte la problématique du MCO de guerre dans les travaux en cours sur l'économie de guerre, tout en poursuivant le réhaussement engagé du niveau de nos stocks de munitions.

Enfin, cette guerre a rappelé la nécessité de consolider les forces morales. Cela passe évidemment par l'objectif de doublement des réserves affiché par le Président de la République. Nous ne pouvons en parallèle nous dispenser d'une réflexion sur le format des forces opérationnelles terrestres. Je formule ainsi dans mon avis un certain nombre de constats et de propositions qui, je l'espère, constitueront autant de pistes de réflexion dans la perspective de la prochaine LPM.

Je salue enfin la disponibilité des différentes directions que nous avons sollicitées, ainsi que celle des bataillons auprès desquels nous nous sommes rendus. J'exprime un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense pour 2023.

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