J'ai exposé devant vous, quelques semaines après ma nomination, les différentes politiques publiques que j'entends mener à la tête du ministère des armées. Ce nouveau rendez-vous donne un caractère plus opérationnel à ces éléments, en les replaçant dans le contexte du projet de loi de finances.
Avant d'évoquer les chiffres, je voudrais saluer l'engagement des forces armées pour assurer, au quotidien, la sécurité de notre pays et avoir une pensée particulière pour les soldats tués ou blessés et pour leurs familles. Je souhaiterais également rendre hommage aux grands dirigeants du ministère, qu'ils soient civils ou militaires – la plupart sont présents aujourd'hui –, sans leur travail, il ne serait pas possible de vous présenter cette maquette budgétaire.
Nous avons une grande armée, qui est au service d'une démocratie. Pour cette raison, nous devons vous rendre compte. La présence des grands subordonnés, comme les désigne la terminologie du ministère des armées, vise à revenir à l'esprit de la Constitution. La Première ministre et moi-même sommes ordonnateurs principaux des dépenses et, à ce titre, engageons la responsabilité politique du Gouvernement. Toutefois, dans le cadre des responsabilités que le Président de la République, en tant que chef des armées, leur a confiées, certains ordonnateurs délégués peuvent également engager des sommes importantes.
La présence de ces ordonnateurs délégués m'a semblé importante, car je ressens, depuis pratiquement cinq mois que je suis ministre des armées, un grand besoin de transparence. Les crédits augmentent. Pour permettre l'acceptabilité sociale de cette décision, nous devons expliquer les raisons qui nous poussent à consentir un effort financier budgétaire aussi important pour la défense de notre pays et, pour reprendre la jolie expression calédonienne, rendre compte devant vous « avec humilité et respect ».
Il existe parfois une forme de fétichisme vis-à-vis des lois de programmation. Néanmoins, ce sont les lois de finances, avec les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP), qui permettent aux armées de fonctionner au quotidien. Par le passé, certaines lois de programmation prévoyaient des chiffres qui ne se retrouvaient pas dans les lois de finances. Désormais, nous tenons parole, ce qui donne de la visibilité en matière de recettes.
La maquette budgétaire que nous proposons pour 2023 prévoit 43,9 milliards de CP. Nous étions en 2017 à 32,3 milliards, soit une augmentation de 36 %. S'agissant des AE, la proposition faite au Parlement sera de 52,8 milliards. Les engagements pris sont donc tenus, ce qui constitue une rupture avec le passé et représente un gage de confiance pour la construction de la prochaine LPM. Le Président de la République et le Gouvernement ont tenu parole. Je remercie l'ensemble des députés, quelle que soit leur sensibilité politique, d'en avoir pris acte.
La particularité de ce budget est qu'il prévoit, pour la première fois, une première marche de 3 milliards d'euros, soit une augmentation de 7,4 % par rapport à 2022.
Les questions sont fréquentes sur les réserves de précaution imposées par Bercy à certains ministères. Nous avons démontré, notamment avec les décrets d'avance et les projets de loi de finances rectificatives, que celles-ci ne remettaient pas en cause la parole donnée devant le Parlement.
Vous avez également des questions légitimes sur l'inflation, qui pourrait atténuer l'effet des 3 milliards supplémentaires. M. Christophe Mauriet, nouveau secrétaire général pour l'administration (SGA), ancien directeur des affaires financières du ministère, reviendra sur le sujet et détaillera les solutions que nous proposons pour amortir le choc de l'inflation.
Même si l'exercice est tentant, les comparaisons avec les autres pays en se fondant sur des pourcentages de PIB ou le nombre de milliards engagés sont souvent hasardeuses. Une armée ne ressemble pas à une autre, pour des raisons qui tiennent à la géographie et à l'histoire. Le fait de disposer de la dissuasion nucléaire et de devoir protéger des outre-mer influe forcément sur le modèle d'armée. Nous respectons néanmoins le standard de l'Otan et, en tant que puissance fondatrice de l'Alliance atlantique, consacrons 2 % de notre PIB aux dépenses militaires.
Nous faisons preuve de continuité et de prévisibilité dans les recettes comme dans les dépenses. Depuis 2017, l'accent est mis sur la modernisation des équipements majeurs, qui mobilise l'essentiel des augmentations de crédits. Les exemples ne manquent pas et les chefs d'état-major pourront les évoquer ici.
Les CP pour de nouveaux équipements majeurs s'élèvent à 8,5 milliards, soit une progression de 5,6 % par rapport à 2022. Il s'agit de livraisons, et non de commandes : 8 660 fusils d'assaut HK, un lot de missiles Exocet, un sous-marin nucléaire d'attaque de classe Barracuda, un satellite Syracuse IV, treize Mirage rénovés, treize Rafale neufs, dix-huit chars Leclerc rénovés.
Nous avons prévu 14,2 milliards d'AE, qui permettront de financer 420 véhicules blindés légers Serval, des capacités d'exploration des fonds marins, des stations navales de communication ou quarante-deux nouveaux Rafale. Je réponds ainsi à la question qui m'a été posée il y a quelques jours dans le cadre d'une autre commission sur les cessions éventuelles de Rafale dans le cadre de contrats d'exportation.
Ces investissements capacitaires n'auraient pas été possibles sans l'augmentation des crédits. Ils montrent que les marches produisent des effets très directs.
La dissuasion nucléaire constitue un autre bloc de dépenses important, puisqu'il mobilise 5,6 milliards de CP pour 2023, avec une augmentation de 318 millions.
Si nous nous inscrivons dans la continuité des efforts engagés précédemment, ce PLF traduit tout de même des inflexions ou des adaptations. Certaines étaient prévues dans la trajectoire mais d'autres sont la conséquence de la guerre en Ukraine. Pour 2023, les programmes d'armement que je viens d'évoquer représenteront globalement 15 % des ressources supplémentaires, sans la dissuasion nucléaire – 25 % en l'intégrant.
Les ressources humaines sont l'un des volets sur lesquels nous souhaitons mettre l'accent. Dans la maquette budgétaire, la masse salariale absorbe pratiquement 22 % des ressources supplémentaires, contre 6 % entre 2019 et 2021 et 8 % entre 2019 et 2022. Nous proposons la création de 1 500 postes au sein des armées, c'est-à-dire autant que les trois dernières années, au cours desquelles la progression annuelle était de 500 postes. Ils concerneront principalement des domaines prioritaires, comme le renseignement, la cybersécurité ou les unités opérationnelles.
La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) entre dans sa dernière phase, avec un rendez-vous le 1er octobre 2023. Cette troisième marche s'accompagnera d'un effort de 101 millions, représentant 417 millions en année pleine. J'ai eu l'occasion de répondre à vos questions sur le sujet en juillet. Notre proposition intègre l'augmentation du point d'indice de la fonction publique, pour 357 millions, et la poursuite du plan « famille », imaginé et mis en œuvre par Florence Parly, pour 520 millions.
Je tiens à rendre publiquement hommage au général Thierry Burkhard et aux différents chefs d'état-major pour la qualité du premier retour d'expérience (Retex) sur les munitions.
Certaines mesures étaient prévues mais d'autres vont être accélérées compte tenu de la situation sur le flanc oriental. Pour assurer le maintien en condition opérationnelle (MCO), et notamment améliorer la disponibilité du matériel, nous proposons une enveloppe exceptionnelle de 5 milliards pour la seule année 2023. Pratiquement 57 % de cette somme seront orientés vers les moyens aéronautiques des trois armées.
Les munitions constituent l'un de nos principaux points d'attention. Nous n'avons jamais diffusé publiquement ce chiffre mais nous vous proposons d'y consacrer, en 2023, une somme exceptionnelle de 2 milliards, soit une progression de 500 millions par rapport à 2022. Nous tenons le détail des mesures prévues à votre disposition. À titre d'exemple, nous allons nous doter de 200 missiles moyenne portée antichar, de missiles pour le système Samp/T – déployés notamment en Roumanie –, de missiles de défense air-air Mica ou de bombes air-sol. Nous avons aussi programmé l'achat de 10 000 munitions de 155 millimètres pour les canons Caesar. Le CEMA pourra revenir sur ces choix, qu'il a proposés et pour lesquels, le Président de la République, la Première ministre et moi-même lui avons accordé toute notre confiance.
Les équipements individuels feront l'objet d'un effort majeur, avec une enveloppe de 1,7 milliard, destinée à l'achat de 70 000 treillis, 12 000 gilets pare-balles ou 20 500 panoplies nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Les parlementaires coutumiers des visites au sein des unités militaires savent que ces livraisons sont très attendues.
Nous allons, avec le SGA, porter une grande attention aux infrastructures. Les projets se déroulent comme prévu pour les infrastructures purement militaires, comme les infrastructures d'accueil pour les Barracuda à Toulon, les MRTT à Istres ou les Rafale à Landivisiau. S'agissant des régiments de l'armée de terre, je pourrais citer les plots d'accueil pour le programme Scorpion. Nous devons, en revanche, avancer plus rapidement en ce qui concerne les infrastructures civiles situées dans les emprises militaires, notamment les bâtiments et les hébergements. Nous avons prévu 2 milliards en CP et 2,7 milliards en AE. J'ai donné mandat au SGA pour engager un choc de simplification, afin de faciliter la réalisation des opérations. À l'Assemblée nationale, nous parlons de milliards d'euros mais le décalage est parfois très grand avec les situations vécues dans les unités.
Pour nous tous, l'année 2023 sera une année charnière, au cours de laquelle nous devrons préparer le tuilage avec la prochaine LPM.
En quelques années, voire quelques mois, nous avons avancé de manière spectaculaire dans le domaine spatial. Le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace (CEMAAE) pourra y revenir : nous avons prévu 702 millions de CP pour 2023, avec des achats très précis, dont dix hubs de théâtre pour les Syracuse 4 ou trente-sept stations tactiques satellitaires. Nous attendons également la livraison du satellite Syracuse 4.
La situation a aussi évolué rapidement en ce qui concerne le cyber, qui mobilise la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) mais également le CEMA, qui a enclenché une accélération significative avec le commandement de la cyberdéfense (Comcyber). Dans ce domaine, nous vous proposons 288 millions de CP.
Nous allons vivre une année de transition, sur laquelle nous devrons prendre appui pour définir une trajectoire nouvelle, en particulier sur les deux derniers sujets que je viens d'évoquer. L'actualité nous montre que l'hybridité, et donc la question du cyber, ne cesse de s'inviter dans notre modèle de défense.
Celles et ceux qui étaient déjà parlementaires sous la XVe législature ont voté une LPM et une loi de finances pour 2023 qui ne pouvaient intégrer l'invasion de l'Ukraine par la Russie. La construction budgétaire nous permet de disposer d'un socle robuste, qui comprend les mécanismes de la LPM et sur lequel l'activité opérationnelle peut venir s'appuyer.
Les opérations font l'objet de provisions, à hauteur de plus de 1 milliard dans le budget qui vous est présenté, et peuvent bénéficier de la solidarité interministérielle, même si celle-ci n'est pas obligatoire et demeure une exception. Nous avons déjà démontré que le budget ne détermine pas les manœuvres sur le terrain. Nous sommes fiers de notre armée et nous faisons en sorte qu'elle puisse fonctionner.
La question de la présence militaire française en Afrique se pose, avec la fin de l'opération Barkhane et la réarticulation vers le Niger. Nous pourrons y revenir. Certaines missions dans le cadre de l'Otan n'étaient pas prévues initialement, dans les pays baltes et surtout en Roumanie où nous intervenons avec le statut de nation-cadre. Nous parlons peu des missions onusiennes mais la France a encore un rôle majeur à jouer dans ce domaine. Le CEMA était d'ailleurs en visite ce week-end auprès des forces intérimaires des Nations unies au Liban (Finul).
J'ai déjà eu l'occasion de définir le terme d'économie de guerre, qui peut parfois susciter des interrogations. Dès lors que notre armée est devenue technologique, la base industrielle et technique de défense (BITD) doit entrer dans notre modèle d'armée. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai pu vous dire lors d'une audition sur les exportations d'armes. L'héritage français est gaullien ; il repose sur une autonomie stratégique. Comme je l'ai rappelé hier lors de la séance des questions au Gouvernement, ce point n'est pas négociable. J'espère que nous parviendrons à un consensus à ce sujet. Ensuite, des questions peuvent se poser quant aux coopérations industrielles – dont nous devons tous espérer, quelles que soient nos convictions à propos de l'Union européenne, qu'elles fonctionnent.
Nous devons nous inspirer de ce que nos anciens avaient mis en place dès la fin de la IVe République. Pour être « allié mais non aligné » avec Washington, selon l'expression gaullienne consacrée, nous devons disposer d'un modèle industriel performant, qui repose sur les commandes de l'État. Cependant, dans un schéma de haute à moyenne intensité, cela ne peut être le seul critère.
Le nouveau délégué général à l'armement, Emmanuel Chiva, a lancé des travaux avec l'ensemble des équipes de la DGA, en lien avec les trois chefs d'état-major et le ministère, pour définir une nouvelle approche des stocks, de la gestion des sous-traitants et de la relocalisation de certaines activités. Cette dernière exigence n'est pas liée au conflit en Ukraine mais est apparue avec le covid. Acheter des pièces à l'autre bout du monde nous place, par définition, en situation de fragilité stratégique. Je souhaite que nous nous inspirions, pour le conventionnel, du modèle de la dissuasion nucléaire, afin de garantir une BITD puissante.
Pour terminer, je souhaite revenir sur les forces morales. Nous ne pouvons pas parler de chiffres sans avoir en tête ceux qui servent sous les drapeaux, qui sont réservistes ou qui deviendront soldats demain. La haute intensité suppose de préparer la nation au fait que la paix peut malheureusement être menacée – les Ukrainiens ont construit ainsi un modèle qui fascine l'occident.
La question de la mémoire et des anciens combattants est également essentielle, car nous devons être fiers de nos racines pour nous projeter dans l'avenir. La secrétaire d'État Patricia Mirallès vous a présenté hier un budget qui me semble à la fois ambitieux et respectueux de nos anciens combattants.
S'agissant du service national universel (SNU), la doctrine reste à définir. La secrétaire d'État Sarah El Haïry évoquera certainement le sujet devant vous.
Les états-majors ont commencé à travailler sur la question des réserves. Étant réserviste moi-même, j'ai également quelques idées. Nous devons adopter un regard nouveau à ce sujet.