Intervention de Alain David

Réunion du mercredi 26 octobre 2022 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain David, rapporteur pour avis :

Après deux années marquées par la pandémie de Covid-19, notre audiovisuel extérieur a de nouveau connu une période dense et mouvementée. L'année 2022 a été une année charnière pour France Médias Monde, société chargée de l'audiovisuel extérieur qui regroupe la chaîne de télévision France 24 et les radios RFI et MCD – Radio France internationale et Monte Carlo Doualiya –, ainsi que pour TV5 Monde, chaîne multilatérale francophone dont la France est l'un des bailleurs de fonds.

Tout d'abord, il faut dire un mot de la situation géopolitique, à laquelle nos médias ont été particulièrement exposés. À la suite de la diffusion d'un reportage sur les exactions de la milice Wagner, la diffusion de RFI en FM et la distribution de France 24, ainsi que les sites internet de ces deux médias, ont été suspendus par le régime malien le 17 mars 2022. Cette décision arbitraire a été confirmée par le régulateur malien des médias et, malgré de nombreux courriers adressés par la partie française et le recours à une médiation, aucune justification crédible n'a été fournie.

Deuxièmement, à la suite de l'interdiction par l'Union européenne de Russia Today (RT) le 1er mars 2022, au titre des sanctions prononcées après le déclenchement de l'offensive contre l'Ukraine, le régulateur russe a coupé l'accès à France 24 et RFI. En outre, TV5 Monde n'est plus disponible en Russie en diffusion classique depuis mars 2022.

Si, au Mali comme en Russie, les chaînes restent très partiellement accessibles par VPN ou grâce à des sites miroirs, ces coupures sont une preuve éloquente de la qualité du travail fourni par nos médias extérieurs qui, à l'exacte inverse d'un média de propagande, ont la capacité de déranger ceux qui s'adonnent à des abus de pouvoir. Je dois aussi signaler que France Médias Monde s'est pleinement mobilisée dès le début du conflit en Ukraine pour assurer une couverture fiable et complète de celui-ci. Un centre régional a été ouvert à Bucarest, avec le soutien financier du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, et l'appui de la rédaction roumaine de RFI. Ce centre permet à des journalistes ukrainiens de poursuivre leur mission d'information en développant une offre numérique en ukrainien et en russe, qui favorise la lutte contre la désinformation.

L'année 2022 a ainsi souligné à gros traits le rôle stratégique de notre audiovisuel extérieur et l'importance vitale de son indépendance, garantie de sa crédibilité à l'étranger. Cet aspect n'a pas suffisamment été pris en compte par le Gouvernement dans sa réforme du financement de l'audiovisuel public. En effet, la suppression de la contribution à l'audiovisuel public – la redevance –, ainsi que son remplacement par l'attribution d'une fraction du produit de la TVA ont été votés cet été dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2022. Il s'agit certes d'une solution moins dommageable que ne l'aurait été la budgétisation d'abord envisagée par le Gouvernement, qui présente un risque important car elle mettrait fin au principe d'affectation des ressources, garantie majeure d'indépendance et de stabilité. Cependant, si le financement par la TVA permet de maintenir le principe d'une affectation, aucun pourcentage n'a été fixé dans la loi, ce qui prive nos médias d'une nécessaire visibilité de leurs ressources. Surtout, la solution retenue pose question quant à sa conformité à la loi organique du 28 décembre 2021, qui prévoit que les impositions directement affectées à un tiers ne peuvent être maintenues que « si ces impositions sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées ». Enfin, la TVA ne permet pas de répondre à l'un des principaux défauts de la redevance : son caractère inégalitaire, du fait d'un montant unique, dissocié du niveau de revenu.

La réforme de la redevance était donc une nécessité, justifiée tout d'abord par une inadaptation croissante aux usages. En effet, la consommation de contenus audiovisuels dépend de moins en moins de la possession d'un téléviseur, qui est pourtant la condition d'assujettissement à la redevance.

Néanmoins, pour toutes les raisons que j'ai exposées, la réforme n'est pas satisfaisante. Le modèle nordique, et notamment suédois, présenté dans mon rapport, possède en revanche de nombreux atouts : la redevance forfaitaire a été remplacée en 2019 par une contribution à la fois universelle et progressive, qui maintient le principe d'un financement affecté indépendant du budget de l'État. Tous les Suédois de 18 ans et plus disposant d'un revenu imposable doivent s'en acquitter à hauteur de 1 % de leurs revenus, un plafond ayant été fixé à 123 euros par an, ce qui représente environ 10 euros par mois et 30 centimes par jour. Cette réforme, très bien accueillie par la population, devrait aujourd'hui nous inspirer : elle permettrait d'instaurer un financement stable, affecté et équitable, assurant un gain de pouvoir d'achat pour près de neuf foyers sur dix à budget constant.

Il me semble d'autant plus nécessaire d'envisager une telle réforme que le spectre de la budgétisation menace toujours nos médias. Or, en cas de budgétisation, notre audiovisuel extérieur risquerait d'être perçu à l'étranger comme un média d'Etat, au même titre que Russia Today ou son équivalent chinois, dont l'impartialité est loin d'être garantie, et non comme un média de service public. Cette menace pèse aussi bien sur le plan règlementaire – le Land de Berlin a ainsi signifié qu'en cas de budgétisation, RFI perdrait sa licence de diffusion en ondes FM – que sur le plan politique, comme on le constate en Afrique subsaharienne, où la crédibilité de l'audiovisuel public français fait déjà l'objet de critiques, au moment même où la guerre informationnelle fait rage. Face à une telle menace, ne nous enfermons pas dans le court-termisme d'un refus dogmatique de toute création d'impôt.

Dans ce contexte, les déclarations du président de la République lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs appellent quelques remarques. Une invitation a été faite à « mieux utiliser » France Médias Monde ; en réaction, les sociétés de journalistes du groupe ont tenu à rappeler leur indépendance totale à l'égard de l'État. En effet, dans la situation actuelle, de telles déclarations, sorties de leur contexte, peuvent nourrir les discours de contestation que subissent nos médias dans certains pays.

Ainsi, les dotations publiques allouées à France Médias Monde et à TV5 Monde dans le projet de loi de finances pour 2023 doivent être replacées dans un contexte de hausse généralisée des moyens consacrés à l'audiovisuel extérieur. À titre indicatif, le budget de l'allemand Deutsche Welle, partenaire de France Médias Monde sur plusieurs projets, a atteint 396 millions d'euros en 2021, en hausse constante depuis plusieurs années. La même année, le budget cumulé des médias russes RT et Sputnik était évalué à 430 millions d'euros. En 2023, France Médias Monde bénéficiera, quant à elle, d'une dotation de 284 millions d'euros et celle de TV5 Monde sera de près de 80 millions d'euros. Dans les deux cas, toutefois, ces hausses correspondent pour l'essentiel à la compensation des effets de l'inflation et des effets fiscaux induits par la suppression de la redevance. Les deux entreprises se sont en effet mobilisées pour compenser les effets de l'inflation sur les salaires, en utilisant notamment des dispositifs de prime. Nous devons néanmoins être vigilants quant au risque de perte d'attractivité de notre audiovisuel extérieur face à des concurrents privés : les compétences des journalistes et de l'ensemble du personnel sont essentielles et une fuite des cerveaux aurait des conséquences très dommageables.

Les budgets sont donc en hausse mais ils relèvent d'une approche conservatoire, après quatre années de réduction des dotations allouées à l'audiovisuel public. Les entreprises ont dû faire d'importants efforts pour répondre à cette contrainte et il serait dangereux d'aller plus loin dans cette direction, malgré une tentation nourrie par les bons résultats enregistrés. En effet, les audiences en linéaire et en numérique progressent pour France Médias Monde comme pour TV5 Monde, au-delà de l'effet exceptionnel provoqué par la pandémie. À titre indicatif, France 24 est devenu le premier média français consulté sur YouTube.

France Médias Monde a poursuivi la mise en œuvre de sa politique éditoriale multilingue, autour notamment du projet Afri'Kibaaru, financé en partie par l'Agence française de développement. Ce projet, qui a permis de développer la diffusion de RFI en langues africaines, autour de deux rédactions locales implantées à Dakar et à Lagos, s'accompagne d'actions de formation des journalistes et permet de consolider la présence de RFI en Afrique subsaharienne, dans le contexte de tensions que je vous ai présenté. On peut aussi signaler le passage réussi, à budget constant, à vingt-quatre heures de diffusion quotidienne de la déclinaison hispanophone de France 24, qui rencontre un succès grandissant en Amérique latine.

Il s'agit là d'exemples parmi d'autres du travail accompli au quotidien par France Médias Monde, qui participe aussi activement à la lutte contre la désinformation. Les différents programmes que j'ai cités y contribuent, aux côtés de modules spécifiquement dédiés à la vérification de l'information.

Pour TV5 Monde, l'année écoulée a été marquée par la poursuite de la mise en œuvre de son plan stratégique autour de deux priorités principales : l'accroissement de la découvrabilité audiovisuelle francophone grâce au lancement, voilà un an, de la plateforme francophone de vidéo à la demande TV5Mondeplus, gratuite et disponible quasiment partout dans le monde, et la sensibilisation des publics aux enjeux environnementaux par le lancement et la labellisation de programmes.

TV5 Monde est également très présente en Afrique, où la chaîne coopère avec les médias locaux et contribue à la promotion de la langue française. En 2022, les réflexions sur une possible association de pays africains à la gouvernance de la chaîne ont progressé, sans aller jusqu'à envisager une adhésion pleine sur le modèle de ce qui a été accompli cette année avec Monaco.

L'année écoulée a mis notre audiovisuel public sous le feu des projecteurs mais un débat national demeure nécessaire afin de mieux informer nos concitoyens sur les spécificités de notre audiovisuel extérieur. Ce dernier est pourtant un élément essentiel de la présence de la France à l'étranger. C'est un outil de rayonnement, qui apporte une précieuse contribution à notre diplomatie, à notre économie, à la transmission de valeurs et à la voix de la France et de la francophonie. Malgré un soutien réaffirmé au travail de nos médias, j'appelle, compte tenu des difficultés que rencontre ce secteur, à voter contre les crédits de l'audiovisuel extérieur, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels nous devrons faisons face. Nous avons besoin de moyens supplémentaires pour faire rayonner la France dans le monde.

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