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Intervention de Alexis Jolly

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Jolly, rapporteur pour avis :

La mission Défense comporte quatre programmes : le programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense, le programme 178 Préparation et emploi des forces, le programme 212 Soutien de la politique de la défense et le programme 146 Équipement des forces.

L'année 2023 est une année charnière à double titre. D'une part, une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) portant sur la période 2024-2030 est en préparation et devrait être examinée au Parlement au début de l'année prochaine ; l'année 2023 sera donc la dernière année de la LPM 2019-2025. D'autre part, le contexte international, marqué par une hausse de la conflictualité, est difficile. La guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février 2022, signe même le retour de la guerre de haute intensité en Europe.

Cela nous rappelle, si besoin en était, la nécessité de disposer d'un modèle d'armée complet. Pourtant, mon constat est sans appel : nos forces militaires n'ont pas encore les équipements ni les effectifs suffisants pour assurer notre autonomie stratégique.

Certes, le projet de loi de finances pour 2023 est conforme à la trajectoire fixée par la LPM 2019-2025. Le budget de la défense augmente bien de 3 milliards d'euros pour atteindre 43,9 milliards hors pensions civiles et militaires – 53,1 milliards pensions comprises – en crédits de paiement.

Mais la LPM 2019-2025 était, dès le départ, insuffisamment dotée après deux décennies de réduction drastique des moyens militaires. Selon la Cour des comptes, le ministère des armées a perdu 63 000 emplois entre 2008 et 2019, soit 20 % de ses effectifs. Or, la LPM ne prévoit que 6 000 emplois supplémentaires, soit dix fois moins que les postes supprimés.

En ce qui concerne les équipements, mon rapport fait état des dernières commandes de matériels du programme 146. Mais nous ne devons pas oublier les ruptures de capacités subies par nos armées par le passé. Entre 2003 et 2020, le nombre de chars Leclerc est ainsi passé de 406 à 222, celui des avions de combat de 393 à 261 et celui des frégates de premier rang de 17 à 15. Nos capacités opérationnelles se sont singulièrement détériorées.

Après une telle hécatombe, une hausse des moyens était inévitable. Mais celle prévue par la LPM, bien qu'importante, reste insuffisante. Le Rassemblement national proposait un budget de 55 milliards d'euros par an à l'horizon de 2027, contre 50 milliards dans la LPM.

La hausse des effectifs et des équipements militaires doit s'inscrire dans la durée. Or, à ce stade, nous n'avons aucune garantie. Nous examinerons la prochaine loi de programmation militaire avec une extrême vigilance.

Le risque d'un déclassement de notre pays est évident. En 2021, le budget de la défense français représentait moins de 2 % de notre PIB contre 3,5 % aux États-Unis ou encore 4,1 % en Russie. Hors réservistes, nous disposions de 200 000 militaires environ, quand la Chine en comptait 2 millions, l'Inde et les États-Unis, 1,4 million.

Je relève d'autres anomalies budgétaires parmi lesquelles la sous-budgétisation chronique des surcoûts liés aux opérations extérieures – OPEX – et aux missions intérieures – MISSINT. Ces surcoûts sont évalués à 1,2 milliard pour l'année 2023, un chiffre nettement inférieur aux prévisions, ce qui pose un problème de sincérité budgétaire.

J'en viens au thème que j'ai choisi d'étudier dans mon rapport : la réaction militaire de la France face à la situation sur le flanc Est de l'Europe.

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie le 24 février 2022, notre pays fournit une aide de plus en plus directe à l'Ukraine. Les trois principaux vecteurs en sont : des dons de matériels, notamment 18 canons d'artillerie autotractés Caesar avec des munitions, des missiles antichars, des missiles antiaériens, des véhicules de l'avant blindés (VAB) et des équipements individuels ; du carburant ; la formation de soldats ukrainiens.

Le 7 octobre, le président de la République a également annoncé la création d'un fonds spécial doté de 100 millions d'euros grâce auquel l'Ukraine pourra acheter directement des matériels militaires auprès de nos industriels.

Ce soutien militaire ne doit évidemment pas désarmer les forces françaises pour de futures opérations. Les matériels fournis doivent être remplacés rapidement, ce qui implique des commandes et un accompagnement de nos industriels pour augmenter les cadences de production.

Parallèlement au soutien à l'Ukraine, la France participe de plus en plus activement à la posture dite dissuasive et défensive de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en Europe centrale et orientale, une posture renforcée à plusieurs reprises par l'alliance depuis 2014.

La France projette des capacités militaires plus nombreuses dans la zone. En Estonie, elle participe à une mission de police du ciel renforcée, ainsi qu'à un bataillon de présence avancée renforcée de L'OTAN – EFP Battlegroup –, dans le cadre de la mission française Lynx. Au sein de ce bataillon commandé par le Royaume-Uni, 120 militaires viendront prochainement s'ajouter aux 300 que la France avait déjà déployés.

La France effectue également des missions de surveillance et de défense aérienne en Pologne, et bientôt, en Lituanie.

Mais la plupart de nos forces sont aujourd'hui en Roumanie, un pays avec lequel la France entretient des liens historiques très forts, dans le cadre de la mission Aigle. Lors d'un déplacement sur place du 26 au 28 septembre, j'ai pu auditionner nos diplomates et nos militaires, ainsi que des militaires roumains – je les remercie chaleureusement.

Depuis le 28 février 2022, soit quatre jours après le déclenchement de la guerre en Ukraine, la France est à la tête d'un bataillon en Roumanie. Il s'agissait tout d'abord de 500 militaires du 27ème bataillon de chasseurs alpins (27ème BCA), auxquels se sont joints 250 militaires belges, le 9 mars.

Le 1er mai, ce bataillon multinational est devenu un groupement tactique de présence avancée de l'OTAN – Battle Group forward presence (BGFP). La France a été désignée officiellement nation cadre de ce bataillon. Concrètement, cette fonction permet à notre pays de participer plus activement à la définition de la mission mais impose aussi des contreparties : fournir ou coordonner le soutien et être le relais principal de communication avec l'état-major roumain.

Ce bataillon a évolué ces derniers mois. Les Belges ont été remplacés par des Néerlandais au cours de l'été. Côté français, une relève a été effectuée mi-juin. Lorsque je me suis rendu en Roumanie, le bataillon était commandé par le colonel Christophe Degand, chef de corps du 8ème régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Castres (8ème RPIMa). La relève en cours permettra de déployer des hommes supplémentaires et du matériel plus lourd – une compagnie renforcée de véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), ainsi qu'un escadron de chars Leclerc.

Mais la mission Aigle ne se limite pas à ce bataillon multinational. Elle comprend aussi un détachement sol-air moyenne portée Mamba, un centre de management de la défense 3D, un détachement du génie, un élément de soutien national et un détachement de liaison auprès de l'état-major des armées roumain.

Au total, la France devrait déployer 1 000 à 1 200 militaires dans les prochains mois. Ils resteront majoritairement sur la base militaire de Cincu, dans le centre du pays, à quatre heures de route de Bucarest. J'ai pu visiter cette base qui a subi une transformation éclair depuis le mois de mai.

La base doit être prête à accueillir 1 000 militaires au mois de novembre, pour assurer la montée en puissance du bataillon multinational et transférer une partie des troupes, encore stationnées sur la base de Mihail Kogalniceanu, dite MK, une base qui accueille plus de 2 000 soldats américains, située à proximité de la mer noire.

Les travaux permettront également de stocker davantage de matériels et des équipements plus lourds. La relève française devrait en effet apporter plus d'une dizaine de chars.

Je souhaite rendre hommage au travail de nos militaires du génie. J'ai constaté sur place leur très grande efficacité et leur dévouement à leur mission, malgré des conditions difficiles – pluie, terrain boueux, collines à terrasser, pierres à évacuer en très grand nombre, etc. En seulement quelques mois, et avec le soutien de sapeurs belges, néerlandais et roumains, ils ont complètement transformé la base. Je me suis rendu sur la colline de Cherry sur laquelle un dépôt de carburant a été créé, et de nombreuses autres installations seront bientôt achevées : dépôt de munition, zone technique bétonnée permettant de stocker les véhicules dont des chars, hébergements permettant de loger 600 à 800 personnes, zones de vie et d'alimentation, piste bétonnée, bureaux.

J'ai pu le mesurer sur place, notre engagement en Roumanie, qui s'ajoute aux forces américaines également présentes à MK, permet de rassurer notre allié. Ce dispositif est d'ailleurs qualifié de mesure de réassurance de l'OTAN.

Chaque engagement supplémentaire de l'OTAN en Europe centrale et orientale doit néanmoins être dûment évalué. Nous devons continuer à soutenir nos alliés dans la zone mais sans contribuer à l'escalade avec la Russie. L'équilibre est certes difficile à trouver dans le contexte actuel.

Si des efforts ont été consentis pour augmenter les crédits de la mission Défense dans le PLF 2023, ils restent encore trop modestes au regard des besoins de nos forces armées. Ainsi, je vous invite à vous abstenir sur les crédits de la mission.

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