La dernière décennie a été marquée par une dégradation sans précédent du contexte international, entre la renaissance des empires, le retour de la puissance et la guerre de haute intensité en Ukraine. Notre monde n'a jamais été aussi incertain que ces trente dernières années. L'augmentation des budgets de la défense en Europe et dans le monde est l'une des premières illustrations d'un phénomène de fond qui s'inscrit dans la durée. La guerre en Ukraine a catalysé toutes ces évolutions et a marqué un tournant historique en février 2022. Les tensions s'intensifient partout, en Europe de l'Est, dans le Caucase, en particulier en Arménie, première victime de ce regain, dans l'espace indo-pacifique, dans le Sahel. Notre monde est plus que jamais dangereux, et « dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». C'est dans ce contexte de fragilisation de l'architecture de sécurité héritée de la guerre froide, marqué par la remise en cause des institutions et des accords multilatéraux, que nous discutons de notre budget de la défense.
Comment adapter notre défense à un paysage stratégique multipolaire, plus menaçant, avec en point d'orgue le risque pour la France de voir revenir un conflit de haute intensité ? Telle est la question qui se pose à nous. Tous ces défis entérinent le retour du tragique de l'histoire. Cette expression, que j'emprunte à Raymond Aron, nous rappelle que la paix n'est jamais acquise et que les compromis mal réfléchis peuvent devenir de graves compromissions. Face à la dimension tragique de l'histoire, la diplomatie est certes nécessaire mais elle n'est pas suffisante. Notre armée, avec toutes les forces qui la composent, constitue l'autre pilier essentiel de notre sécurité collective.
S'agissant de la mission "Défense" , soulignons d'abord ce qui va dans le bon sens. La trajectoire budgétaire est respectée. La hausse de 3 milliards d'euros ne peut être que saluée – l'an dernier, j'avais indiqué que la marche était haute ! Le renforcement des capacités de nos armées, avec des livraisons d'armes importantes, se poursuit. À cela s'ajoute 1,1 milliard de crédits de paiement consacrés au renouvellement des stocks de munitions. Dans le même sens, notons le déploiement de la dernière phase de la nouvelle politique de rémunération des militaires dès 2023. Quant aux 180 millions fléchés vers le plan « famille », ils contribuent indéniablement à améliorer les conditions de vie de nos soldats, mais il faut aller plus loin.
S'agissant de la mission "Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation" , je salue le financement à hauteur de 6 millions de la réparation des préjudices subis par les harkis, dans la continuité de nos engagements votés l'année passée. C'est une augmentation importante mais on peut regretter que sa contrepartie passe par la baisse des crédits de tous les autres dispositifs de soutien aux harkis. La revalorisation du point d'indice attendue par nos anciens combattants, qui sera effective dès le mois de janvier prochain à hauteur de 3,5 %, est une avancée, mais elle se situe largement en deçà de ce qui était demandé pour compenser les effets de l'inflation. Nous regrettons également que la demi-part fiscale ne soit accordée qu'aux veuves de plus de 74 ans.
Dans le cadre de la mission "Défense" , nous notons que les 2 milliards d'euros d'autorisations d'engagement prévus pour l'achat de munitions pour 2023 sont largement insuffisants compte tenu des livraisons d'armes à l'Ukraine et des besoins croissants en munitions. Par ailleurs, mon groupe s'interroge sur la notion d'« industrie de guerre » car nous en sommes encore loin. Nous n'arrivons toujours pas à livrer à temps ce qui est prévu, je pense par exemple aux SNA du programme Barracuda qui subissent des retards de construction. Ces défaillances dans le planning doivent être examinées avec la plus grande attention, en particulier pour la marine, qui s'inscrit dans le temps long. Cette dernière aura en effet à subir un creux capacitaire avant de recevoir de nouveaux bâtiments. Les industriels le disent eux-mêmes, la mise en place d'une économie de guerre suppose d'articuler le lancement de nombreux chantiers, la simplification des normes et une augmentation des moyens consacrés à la formation afin de répondre aux besoins urgents de recrutement.
Ce budget suit la LPM, certes, mais il ne faut pas oublier que celle-ci a été élaborée dans un climat différent de celui d'aujourd'hui.
Ma dernière observation portera sur la condition des militaires et sur le plan « famille ». La politique immobilière du programme 212 augmente de 15 %, mais ce n'est pas suffisant au regard des enjeux en matière de logements. Cet effort collectif, qui nous mobilise pleinement, nous le devons à nos militaires, aux femmes et aux hommes du ministère des armées qui, jour et nuit, à l'étranger ou sur le territoire national, dans les océans et les territoires d'outre-mer, défendent avec détermination notre pays et nos concitoyens, prêts à l'ultime sacrifice.
Le groupe Socialistes et apparentés portera son choix sur un vote d'abstention attentive au budget présenté et s'inscrira dans un dialogue constructif autour de la LPM et de la prochaine Revue stratégique de défense et de sécurité nationale.