Vous avez cependant oublié un ingrédient essentiel : le résultat issu des urnes aux législatives, qui, en vous privant d'une majorité absolue, vous demande – vous oblige même – à gouverner autrement et à rééquilibrer les pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Dans la continuité des pratiques brutales qu'a eues l'exécutif ces cinq dernières années, votre remède de cheval tourne le dos à la majorité des électrices et des électeurs, qui voyaient le rééquilibrage des forces au sein de notre assemblée comme une bonne nouvelle pour la vie politique du pays. En faisant faner cette espérance, vous faites courir un risque vertigineux à notre démocratie : celui de détourner définitivement le peuple de la vie politique, ou de le pousser dans les bras du fascisme, qui ne peut que s'épanouir dans de telles carabistouilles.
Madame la Première ministre, ici même, lors de votre discours de politique générale, vous aviez pourtant promis de changer vos pratiques. Prétendant avoir entendu les Français, vous vous étiez engagée à mener un dialogue soutenu et une recherche active de compromis ; mais aujourd'hui, imprégnée de l'autoritarisme des maîtres à penser du nouveau monde, vous reniez vos engagements. Loin de répondre aux attentes de nos concitoyens par une revalorisation du Parlement et par un rééquilibrage du pouvoir, vous avez préféré interrompre les débats en rejetant tout compromis. Des compromis avaient pourtant été trouvés à la faveur d'amendements adoptés au vu et au su de tous, mais l'Élysée, Bercy et Matignon ont cuisiné en vase clos un gloubi-boulga qui n'incorpore qu'une petite dizaine d'amendements des oppositions, sur les 117 introduits dans le texte.
Où est le compromis quand vous rayez d'un trait de plume ce que la majorité des représentants du peuple a voté ? Où est le compromis quand l'amendement sur la taxation des superdividendes, adopté à l'initiative de membres de votre majorité, est écarté parce que, paraît-il, le ministre des finances aurait fait du chantage à la démission ?
Sans majorité, vous êtes contraints, dites-vous, d'user du 49.3. Mais avec une once de panache et une pincée de démocratie, vous auriez pu mener les débats à leur terme et enrichir votre projet des amendements votés à la majorité par les députés, par l'Assemblée nationale souveraine !
Certes, j'en conviens, à moins d'un remaniement copernicien du texte, notre groupe n'aurait pas voté ce projet de loi, même amélioré ici ou là par quelques amendements. En effet, le budget que vous proposez pour la France traduit un projet politique qui n'est pas le nôtre, un projet politique au rebours des attentes et des besoins d'un pays en proie à une crise d'une terrible violence pour les plus faibles, mais très profitable à une poignée. C'est vrai, nous aurions rejeté ce budget poursuivant envers et contre tout un agenda libéral, que ne compensent évidemment pas les quelques dispositifs prévus pour soutenir les ménages et les entreprises les plus en difficulté.
Certes, les chèques que vous multipliez – le chèque énergie, le chèque inflation, la prime d'activité – seront un soulagement, car les plus pauvres ne peuvent se permettre de refuser l'aumône. Mais, pour reprendre Victor Hugo : « Vous voulez les misérables secourus, [nous voulons] la misère supprimée. »