Intervention de Jean-Christophe Combe

Réunion du mardi 18 octobre 2022 à 17h15
Commission des affaires sociales

Jean-Christophe Combe, ministre :

J'observe en préambule que nous ne partageons pas la même vision de la situation. Les chiffres relatifs à la pauvreté dans notre pays en 2020 publiés vendredi dernier par l'Insee montrent d'abord que la pauvreté n'a pas augmenté en France, ce dont il faut se réjouir après deux ans d'une crise sanitaire d'une ampleur exceptionnelle. Ils montrent aussi que les inégalités se sont réduites parce que les mesures prises pendant cette crise ont été centrées sur les ménages les plus modestes. On ne peut évidemment se satisfaire de la situation actuelle ; toutefois, grâce aux mesures exceptionnelles prises pour soutenir et les ménages et l'activité économique, la France est l'un des seuls pays d'Europe et de l'Organisation de coopération et de développement économiques où la pauvreté n'a pas explosé.

Certes, des situations dramatiques demeurent et environ 9,3 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France, mais il n'y a pas d'évolution massive à ce jour. Je suis en contact permanent avec les associations de solidarité, les départements et les CCAS. Ce que l'on observe, c'est la dégradation de la situation de certaines familles, notamment les plus modestes, en raison de l'impact de l'inflation sur les dépenses contraintes – alimentation, logement, énergie. S'il n'y a pas d'explosion de la pauvreté dans notre pays, c'est aussi parce que le Gouvernement a pris très tôt des mesures pour anticiper cette situation. Elles figurent dans le projet de loi de finances rectificative ; l'augmentation des minima sociaux, la poursuite du plafonnement des prix de l'énergie, les remises à la pompe sur les carburants, l'allocation exceptionnelle de solidarité versée à 12 millions de familles le 15 septembre dernier et qui sera complétée par d'autres mesures visant à protéger les foyers de l'augmentation du prix du gaz et du fioul cet hiver. Nous devons rester vigilants et nous le serons et nous adapterions notre politique au cours des mois à venir si la situation devait fortement empirer. Voilà pour les mesures d'urgence.

Pour le long terme, nous relançons la stratégie de lutte contre la pauvreté, sur la base de rapports de France Stratégie, de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de la délégation interministérielle à la lutte contre la pauvreté. La concertation reprend pour définir une nouvelle ambition volontariste, visant à faire reculer la pauvreté dans notre pays. En premier lieu, nous continuerons d'investir contre la reproduction sociale de la pauvreté, ce qui signifie que l'axe de l'enfance sera encore extrêmement fort au cours de cette législature. Aussi, dans le cadre de cette future stratégie, je souhaite conclure un pacte des solidarités dans l'investissement social entre l'État, les collectivités et les acteurs de la solidarité sur les territoires. Ma deuxième priorité est la lutte contre la grande pauvreté, sans laquelle on ne pourra pas faire reculer la pauvreté durablement et massivement ; c'est d'ailleurs, a souligné France Stratégie, une des faiblesses du plan en vigueur. Le troisième axe de notre action sera l'accompagnement de la transition écologique pour en faire une transition solidaire en faveur des ménages les plus précaires afin de réduire l'impact des dépenses contraintes. Notre ambition est donc de faire reculer la pauvreté dans les années qui viennent, malgré la conjoncture.

Des mesures d'urgence ont également été prises pour l'aide alimentaire. Le débat parlementaire, cet été, a permis de doubler les crédits alloués à cette aide, passés de 56 à 107 millions d'euros, dont 55 millions à dépenser d'ici à la fin de l'année et 15 millions pour les territoires ultramarins. Je précise que toutes ces stratégies seront adaptées aux spécificités des territoires d'outre-mer. Ainsi, les petits déjeuners à l'école ayant rencontré des succès divers selon les lieux, nous avons décidé de concentrer les crédits sur les territoires ultramarins, puisque c'est là où le besoin est le plus fort. J'aurai donc à cœur de faire que cette stratégie soit plus adaptée, et sans doute renforcée outre-mer.

Vous avez lié la hausse des crédits de l'aide alimentaire à l'inflation. J'observe que les mesures prises par le Gouvernement depuis la fin de l'année 2021 font que notre pays est celui des pays européens où l'inflation, qui s'établit à 6,2 %, est la moins forte ; elle est supérieure à 24 % dans d'autres pays. Il n'en reste pas moins qu'un tel taux d'inflation peut entraîner des conséquences graves pour les familles qui sont dans les situations les plus précaires. Pour cette raison, nous maintenons les crédits habituels de l'aide alimentaire pour soutenir les grands réseaux associatifs et dans le cadre des crédits délégués aux services de l'État dans les territoires. De plus, nous avons créé un fonds afin d'amorcer la transformation du dispositif d'aide alimentaire, avec un volet national. Cela répond à une demande des grands réseaux d'aide alimentaire, que je rencontre régulièrement. Ils souhaitent continuer de se moderniser et ils ont d'ailleurs bénéficié de crédits importants à cet effet dans le cadre du plan de relance.

Nous allons donc nous appuyer sur ces réseaux largement modernisés et faire en sorte qu'ils aient accès à des produits de meilleure qualité, qu'ils ne distribuent pas uniquement des produits de base mais aussi des produits frais, et proposent des repas équilibrés. Ces questions comportent aussi un volet territorial et nous souhaitons, avec le ministre de l'agriculture, créer des alliances rassemblant producteurs locaux, CCAS, associations de solidarité et services de l'État pour faire bénéficier les familles de produits locaux de qualité, bio là où ce sera possible. Nous répondrons ainsi à certaines des propositions de la convention citoyenne sur le climat. Il avait aussi été question des chèques alimentaires ; l'objectif existe toujours, et ces chèques pourraient répondre à certaines situations, mais ce n'est pas dans une telle mesure que nous investirons massivement si nous voulons réussir à favoriser l'accès à une alimentation saine et équilibrée, issue de nos territoires.

Les questions relatives aux budgets qui sont de la responsabilité de ma collègue Isabelle Rome, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, lui seront transmises. Cette question est une priorité pour le Gouvernement et ma collègue vous dira sa stratégie.

Nous avons lourdement investi dans la réduction de la précarité menstruelle ; les crédits ad hoc, qui s'élèvent à 4,7 millions d'euros depuis 2020, sont maintenus pour 2023. Nous examinerons cette question avec attention lors du renouvellement de la stratégie de lutte contre la pauvreté.

J'ai indiqué dans mon propos liminaire que la création des 120 postes annoncés par ma prédécesseure à la suite de la crise Orpea est sanctuarisée ; nous tiendrons notre engagement, qui est de contrôler les 7 500 Ehpad dans les deux ans qui viennent. D'autres mesures, visant à doter les inspecteurs de plus grands pouvoirs, seront inscrites dans le PLFSS ; je sais que certains amendements de votre commission tendent à les renforcer encore.

J'en viens aux inégalités qui ont pu découler des accords du Ségur. Nous pourrons rapidement en corriger certaines, en particulier au sein de la fonction publique hospitalière. En revanche, j'ai renvoyé aux opérateurs et aux départements le soin de gérer le problème des personnels administratifs et techniques qui perçoivent de très bas salaires. On ne peut pas se tourner vers l'État à chaque fois qu'il y a une difficulté dans un établissement. Les négociations sont ouvertes pour augmenter les salaires des personnels du secteur de la petite enfance. Nous voulons accélérer la signature d'une convention collective unique dans le secteur privé non lucratif. Verser 183 euros supplémentaires à tout le monde n'aurait pas de sens. Plutôt que de reporter le problème au risque de créer de nouvelles inégalités, nous devons engager des négociations salariales beaucoup plus larges entre les organisations syndicales, les employeurs et les financeurs.

Pour ce qui est des départements, je réunirai le comité des financeurs le 27 octobre. Nous ferons les comptes et nous verrons si chacun a respecté ses engagements. Nous devrons également harmoniser ces politiques, conduites dans un cadre très décentralisé. La Première ministre a renouvelé, devant l'Assemblée des départements de France, vendredi dernier, la volonté du Gouvernement de mener une nouvelle étape pour une vraie décentralisation.

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