Je suis heureuse de vous présenter, au nom de la commission des affaires sociales et pour la deuxième année consécutive, mon avis sur la mission Solidarité, insertion et égalité des chances. Depuis cinq ans, la majorité œuvre avec ambition à lutter contre la pauvreté et à la prévenir. La mission comprend les crédits du budget de l'État destinés à la mise en œuvre des politiques de lutte contre la pauvreté́, de réduction des inégalités, de protection des personnes vulnérables et de promotion de l'égalité́ entre les femmes et les hommes. Le PLF 2023 traduit une nouvelle fois cette priorité gouvernementale : les crédits de la mission s'élèvent à 29,8 milliards d'euros, en augmentation de 6,6 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2022.
Outre une partie de la revalorisation anticipée de 4 % des prestations sociales, notamment de la prime d'activité qui avait déjà connu une augmentation significative en 2019, le PLF 2023 prévoit la budgétisation de la déconjugalisation de l'AAH. Cette mesure bénéficiera à 160 000 de nos concitoyens en situation de handicap pour un gain moyen de 300 euros mensuels. Un dispositif transitoire permettra d'accompagner les perdants de cette réforme en maintenant le mode de calcul actuel lorsqu'il leur est plus favorable. Un effort considérable est accompli en faveur de pouvoir d'achat et de l'autonomie des personnes en situation de handicap : depuis 2017, les crédits consacrés à l'AAH ont progressé de 38 %, soit 3,5 milliards d'euros supplémentaires par an.
Fidèle à ses principes, la majorité favorise leur accès à l'emploi en pérennisant, à hauteur de 22,4 millions d'euros, l'effort budgétaire consacré à l'emploi accompagné dans le plan de relance. Vous savez mon combat pour l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap ; je souhaite que vous confirmiez les mesures que le Gouvernement entend prendre pour assurer le gain monétaire au travail et l'incitation à l'activité de nos concitoyens en situation de handicap.
La mission comporte aussi des mesures structurantes : le doublement des crédits alloués à l'aide alimentaire par la création d'un fonds pour les nouvelles solidarités alimentaires ; l'augmentation de 15 % du budget consacré à la culture de l'égalité entre les femmes et les hommes ; le soutien aux centres d'information sur le droit des femmes et des familles, à la mixité professionnelle, à l'entrepreneuriat des femmes et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Les crédits consacrés à la protection des enfants et des familles vulnérables augmentent de près de 27 %. 50 millions d'euros seront notamment alloués à l'accompagnement des départements pour prévenir la sortie « sèche » des jeunes majeurs de l'aide sociale à l'enfance (ASE), en application de la loi « Taquet » relative à la protection des enfants.
Après une forte mobilisation entre 2019 et 2022, l'année 2023 sera également une année de transition dans la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté, avec le bilan de sa mise en œuvre. J'appelle l'attention des ministres sur l'importance de cette évaluation, pour ce qui concerne en particulier le déploiement territorial de cette stratégie. Je fais miennes les conclusions du comité d'évaluation présidé par Louis Schweitzer invitant à renforcer nos capacités d'évaluation des politiques de prévention et de lutte contre la pauvreté.
Dans l'attente de ce bilan et dans la perspective de l'intégration du volet « insertion » de la stratégie au sein de France Travail, je me réjouis de constater que le PLF 2023 permet de poursuivre les actions en faveur de l'insertion et de l'accès aux droits. Je pense notamment à la montée en charge de la tarification sociale des cantines, avec 7 millions d'euros supplémentaires, et à l'expérimentation de territoires « 100 % accès aux droits », dotée de 2 millions d'euros.
Parce que l'accès aux droits me tient particulièrement à cœur, j'ai choisi de consacrer la seconde partie de mon avis budgétaire à la modernisation de notre système de protection sociale dans la perspective de la mise en place de la solidarité à la source.
En août 2018, pour donner suite à la mission que nous avait confiée le Premier ministre de l'époque, Edouard Philippe, j'ai remis un rapport co-écrit avec Julien Damon sur « la juste prestation » – une prestation efficiente, instruite, contrôlée et liquidée plus efficacement. La juste prestation ne réduit pas les droits mais les erreurs autour des droits et s'ajuste au mieux à la situation réelle des bénéficiaires. La juste prestation est donc d'abord une prestation ajustée : il faut payer la bonne prestation, au bon moment, à la bonne personne.
Ces réflexions ont guidé les discussions menées pour construire la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté lancée par le Président de la République en septembre 2018. Elles ont irrigué la concertation préalable à la création du revenu universel d'activité, dont le rapport de préfiguration, bien que remis à l'ancien Premier ministre Jean Castex l'année dernière, n'est toujours pas rendu public ; pouvez-vous vous engager à le publier dans les meilleurs délais ?
Le constat est connu : la complexité de notre système alimente le non-recours aux droits, favorise les erreurs de gestion et diminue l'efficacité du dispositif. Une enquête de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques parue en février 2022 montre ainsi que « un tiers des foyers éligibles ne recourent pas au RSA en moyenne chaque trimestre, et un cinquième de façon durable ». Ce sont autant d'obstacles à une juste prestation. Il nous faut donc rebâtir les fondations du système de solidarité sur deux piliers : la solidarité à la source et la réforme de l'accompagnement des bénéficiaires.
Engagement présidentiel, la solidarité à la source dépend des deux éléments indissociables que sont la simplification du cadre juridique et l'automatisation des prestations. Pour l'automatisation, des avancées notables ont eu lieu grâce à l'évolution des systèmes d'information et des données sociales ; je pense en particulier à l'octroi automatique d'une couverture complémentaire santé aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et à la « contemporanéisation » des aides au logement, qui permet d'ajuster en temps réel le montant des aides personnalisées au logement. Ces innovations ont notamment pu s'appuyer sur un amendement que j'avais proposé lors de l'examen du PLFSS 2021 et qui visait à améliorer les échanges de données entre organismes sociaux. L'interopérabilité des systèmes d'information doit d'ailleurs être renforcée, comme doit l'être encore l'automatisation, sans précipitation mais avec détermination. Un consensus ressort des auditions que nous avons menées : notre système de solidarité doit préserver le choix des personnes. Il ne convient pas de supprimer le principe de quérabilité des aides mais de proposer aux personnes éligibles d'ouvrir leurs droits tout en conservant la possibilité de les refuser. C'est un chantier de longue haleine et semé d'embûches et je salue l'engagement du Gouvernement à ce sujet : l'automatisation du calcul des droits au RSA, à la prime d'activité et aux aides au logement permettra, à moyen terme, d'alléger considérablement les obligations déclaratives.
Pour faciliter l'automatisation, il nous faut en parallèle simplifier le cadre juridique de notre système de solidarité en harmonisant les modalités de prise en compte des ressources des bénéficiaires de prestations sociales. Je suis favorable à l'instauration d'un revenu social de référence, pendant du revenu fiscal de référence pour les prestations sociales.
Mais la modernisation des prestations sociales doit s'assortir d'une révolution de l'accompagnement, seule à même d'assurer l'insertion durable pour nos concitoyens dont la situation est la plus précaire. Il est essentiel d'aller vers les personnes pour les informer sur leur éligibilité aux prestations. Toute personne se trouvant soudainement dans une situation précaire en raison d'une rupture professionnelle ou personnelle doit savoir à quelle porte frapper et qui peut l'orienter et l'accompagner si nécessaire.
Pour le repérage et l'ouverture des droits, des expérimentations récentes montrent la voie à suivre. Je pense notamment au data mining, c'est-à-dire l'exploitation des données sociales dans un but d'accès aux droits. Les « Rendez-vous des droits » organisés par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), inspirés des « Rendez-vous des prestations » organisés par la Mutualité sociale agricole depuis 2007, ont permis à un tiers des personnes accompagnées d'ouvrir de nouveaux droits.
Je me réjouis de l'expérimentation, dès 2023, de « territoires 100 % accès aux droits », issue d'un amendement que j'avais porté lors de l'examen du projet de loi « 3DS ». Elle permettra d'enrichir notre arsenal de lutte contre le non-recours et de déterminer de bonnes pratiques à généraliser. Mais pour tirer l'entier bénéfice de ces expérimentations, j'appelle l'attention des ministres sur l'impérieuse nécessité de consolider la formation des travailleurs sociaux ; quelles mesures le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre à cette fin ?
Enfin et surtout, il nous faut procéder à un « Grenelle de l'accompagnement ». Les prestations sociales sont un filet de sécurité, mais seul un accompagnement socio-professionnel soutenu et personnalisé peut permettre de sortir durablement de la pauvreté. C'est tout l'enjeu de la mise en place de France Travail, qui aura la lourde tâche de décloisonner emploi et insertion, notamment par le renforcement des parcours d'orientation socio-professionnelle des bénéficiaires du RSA, en lien avec les territoires.
La modernisation des prestations sociales, défi qui relève davantage du marathon ou du saut d'obstacles que du sprint, nous oblige collectivement. Seuls le volontarisme et la persévérance nous permettront de le relever pour adapter l'État‑providence aux enjeux de la société contemporaine.