Intervention de Nadège Abomangoli

Réunion du mercredi 12 octobre 2022 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNadège Abomangoli, rapporteure pour avis :

Je suis heureuse de vous présenter le fruit de plusieurs semaines de travail au cours desquelles j'ai procédé à une douzaine d'auditions et eu des échanges fournis avec une trentaine d'interlocuteurs. Je salue la disponibilité et l'implication de l'ensemble des personnes auditionnées.

L'insécurité alimentaire n'est pas une problématique nouvelle, mais ses effets ont été démultipliés ces derniers mois à l'échelle mondiale – d'où l'initiative FARM.

Nous avons transmis l'été dernier un questionnaire à nos interlocuteurs institutionnels. À ce jour, le taux de réponse est de 46 %, ce qui peut s'expliquer par le manque dramatique d'effectifs dans les ministères…

La mission APD se compose de deux programmes principaux : le programme 110, Aide économique et financière au développement, mis en œuvre par le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le programme 209, Solidarité à l'égard des pays en développement, piloté par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les crédits de paiement cumulés de ces deux programmes augmentent de plus de 17 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, pour atteindre 5,77 milliards d'euros.

Le programme 110 connaît en particulier une très forte augmentation, de 46 %, des autorisations d'engagement concernant l'aide bilatérale. Cette hausse traduit le choix fait par la France de maintenir des taux d'emprunt très bas pour les prêts qu'elle accorde aux pays en développement, dans un contexte de remontée générale des taux qui fait que notre pays, quant à lui, emprunte beaucoup plus cher sur les marchés. Cette intention louable doit s'accompagner d'une remise en cause de la part prise par les prêts dans l'APD au détriment des dons et subventions : la France est le troisième pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à recourir à autant de prêts dans le cadre de son APD.

Le programme 110 finance par ailleurs les grandes institutions multilatérales de développement. En 2023, 39 % des crédits du programme sont destinés à l'association internationale de développement (AID), institution de la Banque mondiale qui accorde des prêts concessionnels et des dons aux pays les plus pauvres. Cela vient du fait qu'il a été décidé d'avancer d'une année la reconstitution de l'AID, si bien que 2023 verra coïncider le dernier versement de la précédente reconstitution et le premier versement de la nouvelle reconstitution. C'est également le programme 110 qui porte la rémunération de l'Agence française de développement (AFD), qui reste stable, à 7 millions d'euros.

Les crédits du programme 209 augmentent de 12 % en crédits de paiement, ce qui les porte à 3,436 milliards, et de 26 % en autorisations d'engagement, à hauteur de 4,055 milliards. On peut noter avec satisfaction l'augmentation des fonds consacrés à l'aide humanitaire, que celle-ci intervienne dans un cadre bilatéral ou dans le cadre multilatéral des Nations Unies. Ils atteignent 642 millions d'euros, contre 500 millions en 2022.

La pérennisation de la « provision pour crises majeures », dont les crédits sont portés à 270 millions d'euros, me paraît aussi une très bonne chose. Cette provision permettra à la diplomatie française d'être réactive, grâce à des moyens massifs, face à l'irruption de crises graves. Celles-ci se multiplient, notamment à cause de décennies d'inaction climatique. On peut aussi relever, parmi les points positifs, l'augmentation des crédits destinés à soutenir les projets mis en œuvre par les ONG françaises et internationales et par les acteurs de la coopération décentralisée. Elle était demandée dans la loi du 4 août 2021.

Cette même loi est à l'origine du nouveau programme Restitution des « biens mal acquis », qui apparaît dans le budget depuis l'année dernière. Il est destiné à recevoir les fonds issus de la cession de biens saisis par la justice, afin de financer des projets de développement dans les pays concernés. Malheureusement, aucune somme n'y est inscrite dans le présent budget mais ce sera le cas lorsque les procédures judiciaires en cours auront définitivement abouti – on ne sait quand.

Les crédits de la mission APD sont complétés par les recettes du fonds de solidarité pour le développement, doté de 738 millions d'euros, dont 528 millions proviennent de la taxe sur les transactions financières. Le maintien de ce plafonnement à 528 millions d'euros pose d'ailleurs question s'agissant d'une taxe dont les recettes ont fortement augmenté.

J'en viens au sujet que j'ai souhaité approfondir dans mon avis budgétaire : l'insécurité alimentaire.

La lutte contre l'insécurité alimentaire et la malnutrition est citée parmi les tout premiers objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales mentionnés à l'article 1er de la loi du 4 août 2021. Or, en la matière, tous les indicateurs sont au rouge. En 2021, 828 millions de personnes, soit pas moins de 9,8 % de la population mondiale, ont souffert d'insécurité alimentaire chronique. La FAO estime que la guerre en Ukraine pourrait se traduire par un accroissement supplémentaire de 8 à 13 millions du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde. Ce sont 205 millions de personnes qui sont en situation de crise alimentaire aigüe. Plus de la moitié des personnes sous-alimentées vivent en Asie et plus du tiers en Afrique. Sur le continent africain, une personne sur cinq a été confrontée à la faim en 2021. La situation est dramatique dans une bande qui va du Sénégal à la Somalie.

Au Burkina Faso, 3,5 millions de personnes se trouvent en insécurité alimentaire, dont 630 000 en insécurité alimentaire aiguë. Nous avons auditionné l'ambassadeur de France au Burkina Faso ainsi que la conseillère de coopération et d'action culturelle et le directeur de l'AFD sur place. Le taux de malnutrition des enfants de moins de cinq ans y est passé de 7,5 % en 2019 à 9,7 % aujourd'hui. La situation institutionnelle risque d'aggraver les choses : les problèmes sécuritaires sont un accélérateur d'insécurité alimentaire du fait de l'abandon des terres agricoles, de la mise en péril des stockages, de la perturbation de l'approvisionnement et des échanges commerciaux et des réquisitions par des groupes armés.

Toutes les personnes que nous avons auditionnées ont rappelé que la crise alimentaire mondiale a commencé bien avant l'invasion de l'Ukraine, même si celle-ci en a constitué un facteur aggravant, révélant la dépendance aux importations de blé ou de maïs, mais aussi de gaz et de pétrole pour l'acheminement des engrais. Entre 2014 et 2021, le nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire grave dans le monde a augmenté de plus de 350 millions.

Les causes de l'insécurité alimentaire sont profondes et structurelles. Elles tiennent en partie aux événements climatiques extrêmes, en lien avec le changement climatique, mais surtout à une fragilité économique structurelle dans les territoires ruraux de certains pays, souvent exacerbée par les conflits. Ainsi, dans la plupart des pays en développement, l'insécurité alimentaire, d'abord rurale, renvoie à la crise de l'agriculture paysanne, à sa faible productivité, à des prix agricoles insuffisants et au manque de soutien de la part des autorités publiques locales.

L'action de la France pour lutter contre l'insécurité alimentaire peut être soulignée, aussi bien sur le plan budgétaire, avec les programmes 110 – qui abonde le fonds international de développement agricole (FIDA) – et 209 – qui profite au Programme alimentaire mondial (PAM) et à la FAO –, que par le biais des différents opérateurs : l'AFD, Expertise France ou le centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), organisme français qui œuvre pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes.

Concernant l'initiative FARM, lancée lors de la présidence française de l'Union européenne, en mars 2022, la rapidité de son lancement est à saluer mais les résultats concrets se font attendre. De plus, la multiplication d'initiatives concurrentes, dont témoignent celles de l'Allemagne et des États-Unis, laisse perplexe : il faudrait les coordonner. Surtout, il faudra observer leurs orientations et leur contenu politique.

La réponse au défi de la sécurité alimentaire ne saurait en effet être seulement technique. Il s'agit de savoir comment nous concevons les relations entre les États les plus riches et les États en développement et comment doivent être répartis les revenus et les ressources productives. J'évoque, dans mon avis budgétaire, plusieurs pistes pour changer d'échelle dans notre réponse au défi de la sécurité alimentaire.

Je propose de réorienter notre aide vers la promotion d'une agroécologie locale et durable, tournée vers la restauration des sols et la diversification des semences. Il me paraît aussi essentiel d'aider nos partenaires du Sud à renforcer leur souveraineté alimentaire et à mieux protéger leurs marchés – un aspect souligné par plusieurs de nos interlocuteurs –, grâce à la possibilité de pratiquer des politiques de stockage et de prélèvements douaniers sur certaines importations, à un niveau suffisant pour protéger les productions locales face aux géants de l'exportation. Actuellement, les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'autorisent pas les systèmes de prélèvements variables.

On ne peut non plus esquiver la question fondamentale de la spéculation. C'est un fait incontestable que la flambée des prix de février-mars 2022 était liée à un afflux massif de fonds spéculatifs ayant misé sur la hausse des cours des matières premières agricoles. Des solutions de régulation existent.

Enfin, si nous voulons discuter de sécurité alimentaire mondiale, il y a une enceinte à privilégier : le comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) des Nations Unies, où l'on donne la parole aux organisations de la société civile et aux organismes de recherche et où l'on est plus préservé qu'ailleurs des pressions intéressées.

Ne répétons pas les mêmes erreurs que lors des crises alimentaires de 2008 et de 2011 et donnons-nous les moyens de relever le défi d'une subsistance alimentaire digne et saine pour tous.

L'augmentation des crédits de l'aide publique au développement, en conformité avec les objectifs fixés par le législateur dans le texte fondateur de 2021, m'incite à vous recommander de donner un avis favorable à leur adoption. Toutefois, je vous invite aussi à la vigilance.

D'abord, concernant la poursuite des efforts tendant à atteindre l'objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB) consacré à l'aide publique au développement en 2025. Nous y serons d'autant plus attentifs que ce ratio a reculé entre 2020 et 2021, passant de 0,53 % à 0,52 %, et que le Gouvernement laisse planer un doute quant à l'atteinte effective de l'objectif de 0,55 % en 2022.

Ensuite, quant à ce qui sera décidé pour prendre à bras le corps le problème de la crise alimentaire. L'aide humanitaire ne suffit pas et ne résout pas les problèmes à leur racine. Le temps long compte car la sécurité alimentaire est étroitement liée au développement agricole, moins rapidement visible que le développement d'infrastructures. Il y a des raisons politiques à l'insécurité alimentaire – le sous-emploi, la pauvreté –, qui appellent des solutions politiques. La lutte contre les inégalités est d'ailleurs le leitmotiv de toutes celles et ceux que nous avons rencontrés.

Les orientations du prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), annoncé pour février ou mars 2023, seront un indicateur décisif. Nous espérons que la sécurité alimentaire, qui ne faisait pas partie des cinq secteurs prioritaires définis par le CICID en 2018, y figurera en 2023.

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