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Intervention de Cyrielle Chatelain

Séance en hémicycle du jeudi 20 octobre 2022 à 9h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCyrielle Chatelain :

Hier, la Première ministre engageait la responsabilité du Gouvernement sur la première partie du projet de loi de finances. Ce 49.3 est arrivé après des jours d'un feuilleton médiatique qui a occulté la qualité des débats qui ont eu lieu dans cette assemblée.

Sur ce texte-ci, relatif au financement de la sécurité sociale, nous avons quelques milliers d'amendements à examiner et des débats à avoir, tous plus essentiels les uns que les autres. Mais en aurons-nous vraiment l'occasion ? D'ici quelques heures, allez-vous stopper net les débats ou allez-vous nous rejouer cette mauvaise comédie où le Parlement vote et le Gouvernement dispose ? Nous vous proposons une autre voie : respecter les débats de la représentation nationale et accepter de soumettre au vote le texte qui en sera issu.

Le budget que vous nous proposez est un budget déconnecté de la réalité sociale et des besoins des Français et des Françaises. Il n'est que le pendant de la vision austéritaire du Gouvernement portée dans le projet de loi de finances. Votre objectif n'est pas d'investir pour la santé des Français et des Françaises. Non, votre objectif est clair, et ce depuis la déclaration de politique générale de la Première ministre : c'est de ramener le déficit public en dessous de la barre des 3 % du PIB.

Force est de constater que pour l'atteindre, vous détruisez, année après année, le modèle social français, soit en le confiant au secteur privé, pour ce qui peut être lucratif, soit en le laissant dans un état de délabrement de plus en plus avancé. Nous sommes bien loin de l'idéal de l'ordonnance de 1945 qui fait de l'entraide mutuelle le cœur de notre modèle social pour préserver les individus contre les risques de l'existence.

L'histoire retient quelques grandes dates : 1976 et la création de l'allocation parent isolé ; 1978 et l'universalisation de la branche famille ; 1999 et la création de la couverture maladie universelle. L'histoire retiendra aussi 2022, cette année où, malgré la pandémie qui a mis à jour les fragilités et les fractures de notre système social, le Gouvernement a poursuivi une politique austéritaire – ce même gouvernement qui reste inactif face à la fermeture des services d'urgence, qui ferme des lits d'hôpitaux, qui continue de refuser aux infirmières et aux aides-soignantes le salaire qu'elles méritent.

Lors de la prochaine crise, c'est vous et vos décisions que les commissions d'enquête pointeront du doigt, comme on a pointé les responsables du manque des masques. Vous préférez dépenser au coup par coup, dans l'urgence et la désorganisation, plutôt que de prévoir le temps long et de garantir notre santé et notre bien-être.

Quels que soient les besoins, votre budget plafonne les dépenses de santé et de solidarité à 21,9 % du PIB, sans chercher à investir ou à reconstruire ce que vous avez détruit, vous et vos prédécesseurs – et cela sans prendre en compte l'inflation, qui réduit les moyens de la protection sociale des Français et des Françaises.

On aimerait croire que ce cap est dû à la méconnaissance de l'état vieillissant des équipements ; à la méconnaissance du manque de moyens et de temps des professionnels pour prendre soin de leurs patients ; à la méconnaissance de la difficulté rencontrée par de nombreuses Françaises et de nombreux Français pour se soigner. Mais non : c'est par idéologie et dogmatisme que vous plafonnez nos assurances sociales. D'abord, cela a été le cas de notre assurance contre le chômage ; encore une fois, vous avez paupérisé les travailleurs et les travailleuses pour faire des économies. Maintenant, c'est au tour de nos assurances contre la vieillesse, la maladie et les accidents du travail, tout cela parce que vous préférez réduire les cotisations sociales pour donner l'illusion d'augmenter les salaires.

Vous savez pourtant que les cotisations sont des salaires différés que les Français et les Françaises perçoivent lorsqu'ils en ont le plus besoin. En réduisant les cotisations sociales, vous vous employez à détruire méthodiquement notre système de solidarité : 70,8 milliards, c'est le montant du manque à gagner pour la sécurité sociale du fait des exonérations sans condition que vous consentez aux entreprises. Sous couvert d'augmentation du pouvoir d'achat, ces exonérations enferment les travailleurs et les travailleuses dans des trappes à bas salaires, en incitant les employeurs à les maintenir à un faible niveau de rémunération. Ces 70 milliards, ce sont des cadeaux aux entreprises et autant d'arguments que vous mobilisez pour nous expliquer que notre système coûte trop cher et qu'il faut réduire les soins auxquels on peut collectivement prétendre.

Pourtant, la protection sociale a vocation à s'élargir pour nous protéger des nouveaux risques. Aujourd'hui, la défense de l'environnement et la santé humaine ne peuvent être considérées que comme un tout. Or notre protection sociale n'est pas suffisamment résiliente face aux risques environnementaux. L'État ne s'est pas doté des outils nécessaires pour faire face à la survenue plus fréquente d'événements climatiques extrêmes. Le constat de l'Organisation mondiale de la santé est sans appel : l'augmentation des maladies chroniques est directement liée aux facteurs environnementaux – la pollution de l'air, de l'eau, des sols, l'exposition aux substances chimiques, la malbouffe. Les symptômes sont connus : problèmes respiratoires, obésité, hypertension artérielle, diabète, cancer, sans parler, bien sûr, de l'augmentation des décès liés aux canicules. Entre 1970 et 1973, la France a déploré 10 décès liés aux chaleurs extrêmes ; entre 2014 et 2016, ce sont 187 personnes qui ont perdu la vie en raison des températures suffocantes. Dès lors, la question qui devrait nous obséder est la suivante : comment construire de nouvelles protections collectives pour répondre aux vulnérabilités émergentes et aux expositions croissantes aux risques environnementaux ?

Même si vous restez bloqués dans une approche comptable, investir dans une politique de prévention en santé environnementale est la manière la plus sûre de réduire les dépenses. Le coût social et sanitaire du bruit s'élève chaque année à 155 milliards d'euros ; le coût de la pollution de l'air entre 70 et 100 milliards par an ; le coût de la malbouffe, 50 milliards ; et celui du mal-logement, près de 30 milliards.

Les écologistes ont été mobilisés pour faire valoir une vision plus ambitieuse de la prévention, notamment en y intégrant un volet relatif à la santé environnementale, cher à mes collègues Sébastien Peytavie et Sandrine Rousseau. Vous manquez de ressources pour les financer, soit. Les écologistes ont également proposé de revenir sur la transformation du CICE en un allégement de cotisations, de créer une contribution autonomie dédiée à la cinquième branche, ou encore une contribution sociale exceptionnelle sur les superprofits.

Ce texte contient cependant quelques rares avancées. La création de la branche autonomie est venue combler une anomalie qui durait depuis trop longtemps ; il reste encore à la rendre pleinement opérationnelle, en lui donnant les moyens de produire un véritable service public, du maintien à domicile jusqu'aux Ehpad. Votre budget 2023 est loin de l'assurer, puisqu'il manque au moins 6 milliards par an pour répondre à l'enjeu de la perte d'autonomie.

La question de la prévention n'est traitée qu'à la marge : la mise en place de consultations aux trois âges de la vie n'est qu'une ébauche. Une prévention ambitieuse implique une politique volontariste – information sur les addictions, accès au sport et à la santé par l'activité physique. Le Gouvernement a tenté de synthétiser ces derniers enjeux, mais il en oublie un crucial : la prévention contre les violences sexistes et sexuelles. L'amendement de notre collègue Marie-Charlotte Garin entend réparer cet oubli en systématisant le repérage des violences sexuelles sur les enfants. La commission l'a adopté et nous nous en félicitons.

Votre projet de loi ne permet pas d'assurer un égal accès aux soins pour toutes et tous. C'est pourtant l'un des principaux enjeux auxquels est confronté notre système de soins. Dans des pans entiers de notre territoire, dans les campagnes mais aussi parfois dans nos villes, il n'y a plus de médecins ; les habitants sont livrés à eux-mêmes.

En un mot, votre projet de budget pour la sécurité sociale ne permet en aucun cas de prendre soin de la santé et des familles. Votre approche ne tire aucune leçon, ni de la crise sanitaire ni de l'état permanent de crise sociale. Rappelons que si la France a retrouvé son PIB d'avant-crise à la fin 2021, les hommes français ont perdu cinq ans d'espérance de vie, et les femmes deux ans.

Les deux impensés majeurs du PIB et de la croissance restent les inégalités sociales et les crises écologiques. Le PIB est-il l'indicateur pertinent pour mesurer une politique publique en général, mais tout particulièrement celle relative à la santé et à la solidarité ? Il nous enferme dans une logique contrainte et étriquée ; tout n'est que dépenses, tout n'est que chiffres et comptabilité. Parce que les besoins en soins et en accompagnement de nos concitoyens et de nos concitoyennes sont non seulement immenses mais surtout légitimes, arrêtons de les contenir dans un pourcentage du PIB et répondons-y.

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