Nous ne pouvons pas faire du budget de l'Europe une exception à la règle démocratique. Et le débat que nous avons ici, si passionnant soit-il, n'est pas fondamentalement un débat qui fonde le budget européen que nous attendons.
Il tient ensuite à la frustration de l'Européen, c'est-à-dire de l'homme qui, sauf ici ou là, n'ignore plus, depuis Paul Valéry, qu'il appartient à une civilisation mortelle. Cet homme sait que ce qu'il est, ce qu'il représente et ce qu'il aime ne peut être défendu que si l'Union européenne devient autre chose que l'aquarium transnational de sociétés liquides. Il y va de la préservation des valeurs qui sont les siennes, de la culture dont il a hérité et qu'il a le devoir de transmettre, de ce trésor inestimable que sont l'État de droit et le respect des libertés. L'Union européenne doit devenir une véritable union politique, disposant de frontières délimitées, d'une autorité politique ferme et unie, de compétences précisément identifiées, de ressources budgétaires et fiscales prélevées à une juste hauteur et dépensées démocratiquement. Or nous en sommes encore loin. Nous bricolons dans les couloirs de pauvres ressources propres, mises au service d'une administration fragmentée, surveillée, jalousée, qui peine à transcender les égoïsmes nationaux et à dépasser la dictature du court terme.
Enfin, il tient à la frustration du Français qui, trop souvent, a le sentiment de ne pas être écouté, de ne pas être suivi, d'en vouloir trop et d'en recevoir trop peu. Mais les Français, trop souvent, ne voient pas qu'ils ne sont pas eux-mêmes au rendez-vous de l'histoire, que leurs divisions, leurs hésitations, leur désarroi donnent en permanence le sentiment qu'ils se dérobent devant les exigences d'un avenir qui, national ou européen, demandera à la nation des efforts accrus de travail et de solidarité. Nous mesurons pourtant avec fierté le chemin parcouru ces dernières années, la solidarité face à la covid, la mobilisation contre la menace géopolitique, incarnée par la Russie, et la percée peut-être décisive de la solidarité budgétaire avec le plan Next Generation EU.
Tout cela, madame la secrétaire d'État, ne suffit pas. Nous avons besoin d'un nouveau choc d'unité, de ce que le langage inimitable des eurocrates appelle un « saut qualitatif ». Nous sommes allés trop loin pour ne pas aller plus loin. Si nous ne voulons pas que l'euro se brise, que l'Europe se désagrège, que les jalousies et les égoïsmes nationaux reprennent la main et imposent leur loi, il nous faut autre chose.