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Intervention de Karim Ben Cheikh

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKarim Ben Cheikh, rapporteur spécial :

Pour cette édition 2024 du printemps de l'évaluation, j'ai choisi d'exercer mes pouvoirs de rapporteur spécial sur les dépenses d'action sociale destinée aux Français de l'étranger, sujet important à plusieurs titres.

Premièrement, l'action sociale correspond à pratiquement l'ensemble des dépenses d'intervention portées par le programme 151 Français à l'étranger et affaires consulaires, soit 125 millions d'euros, dont 106 millions d'euros pour les aides à la scolarité et une quinzaine de millions d'euros pour les aides sociales au sens strict.

Ce sujet est au cœur de l'actualité pour nos compatriotes installés à l'étranger. À la suite de la mobilisation de plus d'une centaine de conseillers des Français de l'étranger, avec seize autres parlementaires représentant les Français établis hors de France, nous avions écrit à la présidente de notre Assemblée ainsi qu'au président du Sénat un courrier les appelant à saisir le gouvernement et l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), afin d'organiser des assises de la protection sociale des Français établis hors de France. Vous avez annoncé devant l'AFE, au mois de mars, la tenue de ces assises pour bientôt. J'espère que nous autres, députés et sénateurs, ne manquerons pas d'être associés à l'organisation et au déroulement de ces assises, et que ce rapport ainsi que d'autres travaux et contributions, notamment du monde associatif pourront être utiles et nourrir cette concertation.

Enfin, ce sujet me tient à cœur, car je défends inlassablement une forme de continuité territoriale entre notre pays et ses concitoyens partout dans le monde. Les Français de l'étranger sont des concitoyens à part entière et ont le droit à ce titre de bénéficier de la solidarité nationale lorsqu'ils en ont besoin. Je rappelle à cet égard que le code de l'action sociale et des familles prévoit explicitement que nos compatriotes âgés ou handicapés, de même que l'ensemble des Français de l'étranger en difficulté, doivent pouvoir bénéficier de secours et d'aides sur le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

De même, le code de l'éducation confie à l'AEFE la tâche d'assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l'éducation et, à ce titre, d'aider les familles à supporter les frais de scolarité accordant des exonérations totales ou partielles de droits d'inscription. Les actions menées à l'égard des Français de l'étranger les plus vulnérables passent d'abord par des aides directes. En application des instructions ministérielles, les consulats sont conduits à verser ces allocations sociales qui, pour certaines, trouvent leur équivalence dans des prestations sociales servies sur le territoire national et pour d'autres, sont propres à l'aide sociale destinée aux Français établis hors de France. Ces aides ont été modestes – un peu moins de 15 millions d'euros en 2023 – et ont concerné un peu plus de 4 200 bénéficiaires. Je rappelle à ce titre que 1,7 million de nos compatriotes sont inscrits au registre des Français établis hors de France et que le ministère estime qu'ils sont en réalité plus de 2,5 millions à vivre hors de nos frontières.

Les aides sociales concernent donc 0,17 % d'entre eux. À titre de comparaison, les seules aides sociales versées par les départements concernent 6,4 % de la population française. Ensuite, bien que prévus par les textes que je viens de citer, leur montant et leurs critères d'éligibilité ne reposent sur aucune base législative et réglementaire. Leur mise en œuvre relève de mesures gracieuses du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Pour ma part, je suis favorable à un encadrement de ces allocations afin d'harmoniser, d'une part, les pratiques entre les différents postes consulaires dans le monde ; et de mieux encadrer, d'autre part, les pratiques d'une administration contrainte de gérer la rareté.

Ainsi, j'ai pu constater que le calcul des taux de base des allocations sociales demeure flou et que, plutôt que de répondre à des préoccupations de fluctuations de pouvoir d'achat, il devient trop souvent un instrument de gestion de la contrainte budgétaire, comme en a témoigné cette année la proposition de baisse uniforme de l'ensemble des taux de base, alors même que le pouvoir d'achat de nos compatriotes les plus vulnérables diminue partout dans le monde.

Un encadrement de ces aides sociales permettrait aussi de favoriser l'égalité entre Français de France et Français de l'étranger. À titre d'exemple, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ne peut être versée que pour un taux d'incapacité minimale de 80 % à l'étranger, alors qu'en France, elle peut l'être dès 50 %. De même, la non-prise en compte du revenu du conjoint doit être appliquée à l'étranger. Pourtant, si les instructions ministérielles indiquent bien que les revenus des conjoints ne doivent plus être pris en compte, elles précisent également que les demandes devront être examinées en fonction de l'aide et des moyens des membres de la famille, présents ou non dans le pays.

Par ailleurs, il convient également de parler du financement indirect de l'action sociale via des partenaires associatifs comme les organismes locaux d'entraide et de solidarité à l'étranger, qui réalisent un travail considérable, au point que leur subvention à hauteur d'un peu plus de 1 million d'euros vient parfois pallier les carences des budgets des postes consulaires. À Madagascar, notre consulat doit par exemple gérer l'extrême pauvreté de nos compatriotes et même des cas de dénutrition d'enfants français.

Un autre financement indirect important est celui de l'accès à la Caisse des Français de l'étranger, dont le dispositif de catégorie aidée permet à un peu plus de 2 000 compatriotes vulnérables de s'acquitter de cotisations réduites. Or ce dispositif créé par la loi du 17 janvier 2002 coûte à lui seul plus de 4 millions d'euros à la CFE qui, en retour, ne perçoit qu'un modeste concours de l'État de 380 000 euros. En 2023, il a pu être porté à 700 000 euros grâce à des redéploiements, mais nous restons très loin d'une compensation digne de ce nom.

Dès lors, le dispositif demeure coûteux. L'affiliation à la catégorie aidée de la CFE coûterait ainsi près de 40 % de son revenu à un compatriote habitant à Madagascar, qui aurait pour unique revenu son allocation vieillesse. Je rappelle à ce propos que la CFE est un organisme de sécurité sociale dont l'adhésion est volontaire. Toutefois, sa mission de service public l'oblige à accepter l'affiliation de toute personne sans sélection à l'entrée, dans un contexte concurrentiel. Je ne peux que m'interroger, monsieur le ministre sur la pérennité de ce modèle économique. Quelle est votre position à ce sujet ? Je rappelle que Mme Colonna avait promis à l'automne dernier un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui devait aborder les pistes de financement de la CFE.

L'autre volet de l'action sociale destinée aux Français de l'étranger concerne l'égal accès à l'enseignement français hors de nos frontières. Cette mission est confiée l'AEFE par la loi et passe par l'attribution de bourses scolaires, en réalité des exonérations totales ou partielles de droits de scolarité. Ces droits s'élèvent en moyenne à 5 700 euros. Les crédits consacrés sur le budget du ministère à ces exonérations ont oscillé entre 80 millions d'euros et 100 millions d'euros au cours des dernières années, et les dépenses varient en fonction des possibilités de mobilisation en sus des excédents de trésorerie. En réalité, les dépenses stagnent depuis plusieurs années et j'observe que le nombre de boursiers suit une tendance à la baisse, qui va en s'accentuant.

Nous pouvons déplorer que, comme pour les aides sociales, le budget détermine les besoins, à tel point qu'il a fallu créer une contribution progressive de solidarité, prélevée sur les bourses d'une partie des familles, pour financer l'ensemble du dispositif et garantir l'exonération totale des familles les plus modestes. Actuellement, une partie importante des familles qui voudraient scolariser leurs enfants ne le peuvent plus, souvent parce que le reste à charge demeure trop onéreux, même dans le cas où ils bénéficient d'une bourse. Ainsi, une famille avec deux enfants à charge bénéficiant d'une bourse dite à 50 % à Madagascar, pays où les frais de scolarité sont pourtant considérés comme peu élevés, devra consacrer près de 25 % de son revenu annuel au paiement du reste à charge.

Je note par ailleurs le caractère inadéquat du calcul des ressources, qui repose sur la pondération du quotient familial par un indice de parité de pouvoir d'achat (IPPA), lequel reflète non pas l'évolution du coût de la vie dans le pays de résidence, mais ce que devrait être la compensation de pouvoir d'achat d'un expatrié percevant son revenu en euros et en France. Je plaide donc dans l'immédiat pour la suppression du dispositif actuel et l'instauration d'un nouveau mode de calcul. Un indice plus en lien avec l'objectif de scolarisation des Français établis hors de France pourrait être utilement mis en place. Je plaide également en faveur de la mise en place d'un bouclier tarifaire, pour éviter que le reste à charge ne représente jamais plus de 20 % du revenu des familles.

S'agissant toujours des bourses scolaires, j'ai pu observer des pratiques différentes selon les postes dans l'instruction des demandes de bourses. Les instructions ministérielles demeurent là aussi floues sur plusieurs points. Leur interprétation peut varier d'un poste à l'autre. Je serais donc favorable à une clarification de ces instructions, afin que l'intérêt de l'enfant prime dans les prises de décision.

Je ne peux conclure cette intervention, monsieur le ministre, sans souligner le travail important et remarquable des services d'aide sociale de nos postes à l'étranger. Ce travail demeure pourtant méconnu, comme en témoignent les ressources humaines qui y sont allouées. Il y a aujourd'hui neuf assistantes sociales dans le monde, pour une communauté française évaluée à 2,5 millions de personnes.

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