Cette discussion présente un caractère particulier. Dans mes fonctions de rapporteur spécial sur le prélèvement sur recettes à destination l'Union européenne, je participe, comme mes collègues, à l'exercice du printemps de l'évaluation, qui tend à évaluer certaines politiques publiques. Comme mes prédécesseurs dans ces fonctions, il s'agit là pour moi de mesurer la façon dont les crédits européens sont dépensés en France, d'autant plus que j'ai signalé lors du dernier PLF que la France est contributrice nette. Arithmétiquement, l'Europe nous coûte plus qu'elle ne nous rapporte.
J'ai choisi de m'intéresser à la PAC, d'abord parce qu'il s'agit de la première politique en volume financier (9 milliards d'euros par an pour la France sur la période 2023-2027), mais aussi parce que nous situons au début de cette nouvelle programmation. Travailler sur la question de la PAC et rencontrer les principaux acteurs du milieu agricole constituait pour moi l'occasion de confronter les promesses du gouvernement à la réalité du terrain, dans le contexte de la mobilisation agricole de ces derniers mois.
Cette nouvelle programmation est-elle réellement plus simple et proche des agriculteurs ? A-t-on bien anticipé toutes les difficultés posées par le passage à une nouvelle programmation ? Changer de programmation implique de préparer de nouveaux actes réglementaires, de réorganiser les services des administrations, de former les personnels qui interviennent dans l'instruction et le paiement, d'adapter les systèmes d'information et de communiquer auprès du monde agricole. Or il existe un précédent malheureux qui n'est pas si lointain et qui concerne la programmation précédente, au début catastrophique, puisque des subventions avaient été versées avec plusieurs années de retard, même si l'État avait mis en place un système d'avances remboursables.
Je vous présente aujourd'hui un premier bilan de mes travaux. J'ai en effet conçu mon travail d'évaluation en deux temps. J'ai auditionné dans un premier temps les syndicats de la profession agricole, une chambre d'agriculture ainsi que la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture. Parallèlement, je vous ai proposé, monsieur le président, d'organiser très prochainement une audition de l'Agence de services et de paiement (ASP) par la commission des finances. Je crois en effet qu'il y a matière pour les commissaires aux finances d'interroger cet opérateur de l'État qui verse les subventions de la PAC, effectue les contrôles, mais qui est aussi devenu un couteau suisse de versement d'aides de l'État, peut-être même au-delà du raisonnable.
Le bilan que je tire des auditions que j'ai menées est clairement très mitigé. Pour moi, la nouvelle programmation ne rend la politique agricole commune ni plus simple, ni plus compréhensible, ni plus adaptée au vivant et à la nature. Pour toutes les organisations syndicales, en dépit de quelques assouplissements récents, la PAC demeure un mur administratif d'une complexité telle que la majorité des professionnels agricoles ont recours à un intermédiaire, souvent un cabinet de conseil, pour l'étape de la déclaration.
Grâce au nouveau droit à l'erreur, les exploitants peuvent certes désormais modifier leur déclaration sur le site Telepac jusqu'au mois de septembre de l'année en cours. Le nouveau système de suivi des surfaces agricoles en temps réel automatisé par l'utilisation des données satellitaire vérifie la conformité des parcelles aux demandes d'aide. Il permet notamment d'avertir l'agriculteur dès qu'un écart est détecté entre le constat établi par l'administration et sa déclaration, afin qu'il puisse la modifier.
La méfiance, tout d'abord, puis la relative acceptation du système de suivi des surfaces agricoles en temps réel, nécessite encore des améliorations. Certaines aberrations m'ont ainsi été rapportées dans les données collectées par ce système d'information. Selon moi, il est nécessaire de prendre en compte les limites de l'intelligence artificielle pour suivre les processus agricoles complexes, des exploitations agricoles aux domaines d'intervention variés.
Je profite également de cette intervention pour me faire l'écho des agriculteurs rencontrés dans ma circonscription ou en audition, qui constatent dans leur ensemble un encadrement administratif qui peut être qualifié d'aberrant, voire de dissuasif. Ils déplorent les conditions d'accès à des aides qui ne prennent pas en considération le caractère par nature changeant des conditions climatiques. Ils font aussi le constat de la surtransposition française de certaines directives agricoles ou encore de la difficulté de planifier des investissements sur une période habituelle d'au moins une vingtaine d'années, quand la PAC est renégociée tous les cinq ans.
Il est temps de mieux prendre en compte la réalité du cadre de travail de la profession agricole travaillant avec le vivant et la nature. La complexité de la PAC et l'impression d'une logique administrative sans lien avec les contraintes de leur métier pousseraient même désormais certains exploitants agricoles à renoncer à l'accès aux aides de la PAC, ce qui est inédit, voire de changer de métier ou, pour les jeunes générations, de renoncer à des projets d'installation.
La PAC est un outil pensé il y a soixante ans pour accroître la productivité, assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs et garantir la sécurité des approvisionnements. Aujourd'hui, elle constitue surtout un mécanisme coercitif qui s'impose à nos agriculteurs, au nom d'une écologie punitive, pour développer une transition écologique, sans pour autant leur allouer les moyens nécessaires pour la mener à bien. Nous marchons sur la tête. C'est d'ailleurs le message qu'ont voulu faire passer les agriculteurs en retournant les panneaux aux entrées de nos villages, il y a peu.
Ensuite, je retiens de mes auditions que la nouvelle programmation ne sera pas plus proche des agriculteurs. Je pense d'abord aux retards et incertitudes de paiement, malgré toutes les mesures d'anticipation menées en 2021 et 2022 par la DGPE. Le début de la programmation s'est traduit ainsi par des retards de paiement qui pèsent lourdement sur les exploitants agricoles. Ceux-ci se plaignent d'un manque criant de communication avec l'administration : ils peuvent attendre jusqu'à deux ans pour toucher les aides et s'endettent pour survivre, sans visibilité.
Je retiens également la déception quant au recul du montant de subvention au titre de l'écorégime par rapport au montant annoncé. La France, me dit-on, a fait le choix de rendre l'écorégime accessible au plus grand nombre, ce qui est louable ; mais dans les faits, le nombre d'exploitants agricoles ayant choisi d'y souscrire en 2023 a dépassé les anticipations. Un arrêté du 3 octobre 2023 a, en conséquence, révisé les montants à la baisse. Cette décision est incompréhensible et décevante pour les personnes qui ont consenti à des investissements conséquents pour souscrire aux exigences. Nous retrouvons ici le hiatus entre la difficulté des plans d'investissement établi sur une vingtaine d'années et des plans PAC renégociés tous les ans.
Je me dois également de relever l'échec de la régionalisation de certaines aides de la PAC, plus précisément les aides non surfaciques du second pilier. Monsieur le ministre, je sais que vous ne pouvez pas répondre à la place des régions, mais je me fais le porte-parole des organisations syndicales dans leur ensemble qui constatent, d'une part, des retards dans l'ouverture de certains dispositifs ; et d'autre part, des différences de traitement incompréhensibles d'une région à une autre, soit une rupture du principe d'égalité inacceptable.
Monsieur Lecamp, le travail des DDT est globalement apprécié. En revanche, les régions semblent lointaines et elles ne disposent pas toujours des personnels qualifiés pour aider les agriculteurs.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner un rapide point d'étape sur les négociations du premier trimestre entre les États membres et les institutions européennes s'agissant de la simplification des dispositifs pour les agriculteurs ? Quelle est la position de la France ? Ensuite, comment la France fait-elle en sorte de mobiliser des fonds européens à la hauteur des enveloppes ? Compte tenu de la dégradation continue du solde de notre balance commerciale, la moindre des choses consiste à tirer parti de tous les crédits européens attribués à la France.