Intervention de Carole Delga

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 15h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Carole Delga, présidente du conseil régional d'Occitanie :

J'aborde cette audition avec un esprit de transparence et de responsabilité. Je suis ici pour répondre à vos questions, celles transmises par madame la rapporteure, ainsi que celles des membres de la commission. En responsabilité, j'assume devant vous, devant la représentation nationale, les choix de la collectivité régionale que je préside aujourd'hui, tout comme ceux de la collectivité régionale précédemment présidée par Martin Malvy, qui répondent aux besoins du territoire et de ses habitants.

Mon intervention liminaire portera sur plusieurs points fondamentaux. Tout d'abord, il est essentiel de repositionner les responsabilités de chacun autour de cette autoroute. Ensuite, je rappellerai ce qui constitue pour nous, majorité régionale, la nécessaire conciliation de la justice sociale et de la transformation climatique, avec la défense du pouvoir d'achat pour les plus modestes, mais aussi notre ambition climatique. Dès notre élection, nous avons émis un objectif et un plan d'action détaillé pour devenir la première région à énergie positive d'Europe. Je soulignerai également que ce projet concerne également l'aménagement du territoire, notamment la situation du Sud du Tarn par rapport à l'aire urbaine toulousaine, dont la démographie est en forte expansion. Notre action vise à rééquilibrer ce développement territorial.

Les élus locaux, comme l'a rappelé madame la rapporteure, souhaitaient une route sécurisée et ont demandé pendant de nombreuses années l'aménagement de la route existante. Ce projet est soutenu par les élus locaux depuis trente ans. Depuis 1994, une liaison à deux fois deux voies est portée par tous les élus du Sud du Tarn, toutes tendances confondues. À chaque renouvellement électoral et à chaque sondage, une large majorité des habitants du Sud du Tarn a exprimé le besoin d'un désenclavement routier. La genèse de ce projet date de bien avant mon élection en 2016.

Le 3 décembre 2009, la région Midi-Pyrénées a voté une contribution au débat public organisé pour la mise en concession de la RN126. Je reprends les termes de la délibération du 3 décembre 2009 : « La région soutient fermement la nécessité du désenclavement de Castres et renouvelle son appel pour que l'aménagement de la RN126 soit intégré sans délai dans la liste des priorités établies par l'État. » Mon prédécesseur, avec sa majorité, avait dès 2009 souhaité voter ce dispositif, et l'avait appelé de ses vœux dès son élection en 1998. Nous avons un aménagement ferroviaire dans le Sud du Tarn, qui n'est pas parallèle à l'autoroute car il remonte vers le Nord du département avant de redescendre. Par conséquent, le linéaire ferroviaire est bien supérieur au linéaire routier. Cet aménagement ferroviaire présente toujours les mêmes caractéristiques : une voie unique, non électrifiée.

On ne peut reprocher à mon prédécesseur, ni à moi-même et à la majorité que nous avons présidée, un manque d'investissement financier. Je rappelle que Martin Malvy a été le premier président de région en France à lancer un plan rail de 820 millions d'euros, avec des investissements importants entre Toulouse et Saint-Sulpice, qui ont permis d'augmenter la fréquentation dans le quart Nord-Est de la région Midi-Pyrénées.

Dominique Perben, alors ministre des transports, l'a rappelé lors de ses auditions : une décision a été prise le 25 juin 2010, visant à achever la mise à deux fois deux voies entre Toulouse et Castres par une mise en concession autoroutière. La région défendait pour sa part une liaison à deux fois deux voies gratuite, comme toutes les collectivités locales concernées, mais l'État en a décidé autrement. L'État a ensuite mené une concertation, avec plus de 500 réunions publiques, et a organisé, comme la loi le prévoit, un débat public sous l'égide de la commission nationale du débat public entre la fin de l'année 2009 et le début de 2010, suivi d'une enquête publique en 2017. Au début de mon premier mandat, la région a financé une étude alternative demandée par les communes opposées à ce projet d'A69, en prenant en charge 29 % du coût global.

Je souhaite repositionner les responsabilités de chacun et expliquer le fondement de notre action politique, qui concilie justice sociale et transformation climatique, avec un accent particulier sur la question des mobilités. Nous sommes pleinement conscients des enjeux environnementaux. C'est pourquoi, avec ma majorité régionale, nous avons décidé de faire de l'Occitanie une référence en France et en Europe en matière d'engagement volontariste sur les transports et les mobilités, en donnant une large priorité aux liaisons ferroviaires et aux transports en commun. Nous ne pouvons ignorer les rapports des scientifiques, ni les conséquences que nous vivons quotidiennement du réchauffement climatique. Ainsi, nous avons souhaité mener une politique très ambitieuse en matière d'investissement. Nous sommes la région de France qui investit le plus dans le transport ferroviaire et où les tarifs sont les moins élevés pour ce mode de transport. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le président de la SNCF, car la région prend à sa charge la contribution nécessaire pour que l'usager ait la contribution la plus faible possible. Cela se traduit par le train à 1 euro pour les salariés, pour leurs trajets domicile-travail, et la gratuité pour les 18-25 ans. Depuis deux ans, nous avons atteint entre 13 et 14 millions de billets à 1 euro par an, avec une progression constante de la fréquentation ferroviaire. Nous sommes également la seule région de France à enregistrer cette progression continue et la plus forte du pays. Notre investissement dans le transport ferroviaire s'inscrit dans le cadre du contrat de plan État-Région (CPER). En ce qui concerne notre budget régional d'investissement, certaines opérations sont incluses dans le CPER, mais la région finance de manière volontariste la réouverture de lignes, comme celle de la rive droite du Rhône, menée depuis dix mois, et la ligne Montréjeau-Luchon, avec des crédits régionaux à 100 %, l'État n'ayant pas souhaité s'y associer. Sur notre budget régional d'investissement, 77,5 % sont consacrés aux infrastructures et au matériel, notamment pour les transports durables. Nous investissons dans les trains à hydrogène et menons des expérimentations sur les trains bi-mode en Occitanie. Nous continuons également à investir dans la modernisation des lignes existantes, avec 6 millions d'euros de travaux en cours sur la ligne Saint-Sulpice-Castres-Mazamet.

L'action politique réside dans la capacité à apporter des solutions à nos populations et surtout à leur offrir l'espoir de ne pas se sentir enfermées dans leur condition sociale ou assignées à résidence. Il est important de rappeler que nous faisons face à une situation paradoxale avec l'aire urbaine toulousaine, qui connaît la plus forte progression de France, selon l'Institut nationale de la statistique et des études économiques (Insee). La population de l'aire urbaine de Toulouse a augmenté de 77 %, entre 1982 et 2020. Cette croissance se poursuit, puisque l'Insee prévoit 500 000 nouveaux habitants d'ici à 2050, au-delà de la métropole toulousaine. L'étalement urbain de Toulouse et de sa banlieue constitue une menace environnementale. Il est à noter que la ville de Toulouse, avec une population presque équivalente à celle de Lyon, s'étend sur une superficie deux fois et demie plus grande que celle de Lyon.

Le Sud du Tarn présente un contraste marqué par rapport à cette dynamique de l'aire urbaine toulousaine. Mazamet a perdu plus d'un tiers de sa population en moins de cinquante ans. En 1982, la ville comptait 13 000 habitants ; aujourd'hui, elle en compte 10 000. Castres a également vu sa population diminuer, passant de 46 000 habitants à un peu plus de 42 000 aujourd'hui. L'aire urbaine de Castres enregistre un taux négatif annuel de migration de 1,4 %, le plus large de l'ex-région Midi-Pyrénées, comme le souligne l'Insee.

Le territoire du bassin castrais rencontre des difficultés majeures, avec des taux de chômage deux à trois fois supérieurs à la moyenne nationale et un taux de pauvreté dépassant de 40 % la moyenne nationale, soit 21 % contre 14,5 %. Il enregistre également le plus faible taux de création d'emplois, tant dans le secteur privé que public, comparé aux autres agglomérations de la région Occitanie. Depuis les années 1970, l'industrie textile est en déclin, comme l'ont souligné monsieur Mandement et le préfet Philizot lors de leurs auditions. Contrairement à d'autres territoires géographiquement proches tels que l'Ariège ou l'Aude, le bassin ne bénéficie pas de la dynamique urbaine de Toulouse.

J'ai toujours affirmé que les questions du transport et la construction d'une autoroute ne suffisent pas à résoudre les problèmes d'attractivité et de dynamisme d'un territoire. L'investissement dans l'éducation et la formation est en conséquence primordial. Depuis huit ans, la région a investi plus de 4 millions d'euros dans l'enseignement supérieur et la recherche, en créant de nouvelles formations dans le Sud du Tarn. Cependant, nous rencontrons des difficultés à y attirer des enseignants, notamment ceux basés à Toulouse, en raison des longs trajets. Nous avons soutenu l'économie locale en valorisant les ressources naturelles et en développant les filières textile, bois, cuir, ainsi que le pôle numérique et la filière santé. Je pense notamment à l'entreprise Sofic, spécialisée dans les instruments de chirurgie, bien connue de monsieur le président. En matière de culture, nous avons contribué à la réouverture du musée Goya avec un investissement financier conséquent, ainsi qu'au développement du cinéma Apollo et du bassin nordique sportif. Pour l'accès à la santé, la région recrute des médecins salariés à Brassac et Mazamet. Il est important de rappeler que les centres hospitaliers universitaires toulousains se trouvent à plus d'une heure et demie pour les personnes atteintes de maladies graves dans le Sud du Tarn.

Nous devons promouvoir les mobilités, vectrices de liberté et de développement. Pour la liaison entre Toulouse et Castres, mon prédécesseur et moi-même avions prioritairement étudié l'investissement ferroviaire, actuellement chiffré à un minimum de 1 milliard d'euros, ce qui n'est pas soutenable par les finances de la région. Les élus locaux de la région Midi-Pyrénées soutenaient un aménagement de la RN126, mais l'État a pris une décision différente. Ainsi, les collectivités locales ont choisi de s'associer au financement, malgré une liberté de choix limitée.

Je souhaite conclure sur l'étude menée par l'Institut Terram et l'association Chemins d'avenirs sur la mobilité des jeunes en milieu rural. Cette étude, récemment publiée, révèle que les jeunes ruraux passent en moyenne plus de deux heures trente-sept par jour dans les transports quotidiens, soit quarante-deux minutes de plus que les jeunes urbains. De plus, 38 % des jeunes ruraux en recherche d'emploi ont déjà renoncé à un entretien d'embauche en raison des difficultés de déplacement, et 57 % ont renoncé à des activités culturelles faute de moyens de transport. Je connais bien cette réalité, vivant moi-même dans un territoire éloigné d'une métropole. Un autre point marquant de cette étude est que près de 40 % des jeunes ruraux ont voté pour l'extrême droite au premier tour de l'élection présidentielle, soit plus du double des jeunes urbains de la même tranche d'âge. En effet, un jeune urbain entre dix-huit et vingt-neuf ans a voté à 18 % pour l'extrême droite, contre 39 % dans les territoires ruraux. La population du Sud du Tarn est attachée à son territoire, combative, mais elle a besoin d'attention et d'investissements, ayant été fortement impactée par la désindustrialisation. Un sentiment d'abandon persiste, et nous devons être présents dans le domaine de l'investissement, du fonctionnement des services publics et faire la démonstration qu'il n'y a pas de fatalité. Cette fatalité s'est manifestée dans les urnes, avec une augmentation du vote d'extrême droite au premier tour de l'élection présidentielle...

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