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Intervention de Jean-Luc Demarty

Réunion du lundi 3 juin 2024 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Jean-Luc Demarty, ancien directeur général de l'agriculture et du développement rural et ancien directeur général du commerce à la Commission européenne :

Non, ces quantités sont trop faibles – moins de 4 % de la consommation domestique – pour déstabiliser le marché. Personne ne m'a encore convaincu du contraire.

En revanche, je suis très sévère à l'encontre des mesures de libéralisation totale en faveur de l'Ukraine, qui, elles, ont déstabilisé le marché, notamment de la volaille et du sucre. Cela a été une très mauvaise décision. Si j'avais été directeur général du commerce extérieur au moment où ces mesures ont été prises, je m'y serais opposé en me battant comme un lion – et je peux vous dire que j'ai perdu peu de batailles… Peut-être fallait-il faire quelques concessions au titre du soutien à l'Ukraine, mais sûrement dans des proportions beaucoup plus limitées.

En 2021 puis en 2024, la Commission européenne a publié une modélisation complète des effets des accords de libre-échange, réalisée sur la base d'un modèle d'équilibre général très sophistiqué mis au point par l'université de Wageningue, aux Pays-Bas, et d'un modèle d'équilibre partiel de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette publication montre que l'ensemble des accords commerciaux restant à négocier n'auront pas d'effet négatif sur l'agriculture européenne, et qu'ils auront même plutôt un effet légèrement positif. Même pour les produits les plus sensibles, l'effet sera négligeable. Je rappelle que le contingent de viande de volaille proposé dans l'accord avec le Mercosur, qui sera déployé en sept ans, représente moins que l'augmentation de la consommation de cette viande en Europe en un an. Pour la viande bovine, l'effet ne sera pas nul, mais loin d'être catastrophique : on prévoit une baisse de la production européenne de l'ordre de 0,5 % ou 1 % et une évolution des prix de l'ordre de 2 %. Tout cela sera gérable si l'on met en place des compensations ad hoc pour les producteurs de viande bovine, en particulier pour les élevages extensifs.

On oublie souvent que l'accord avec le Mercosur ne se limite pas aux questions agricoles. Non seulement nous nous protégeons bien dans le domaine agricole, contrairement à ce que l'on raconte, mais nous avons aussi des intérêts offensifs globaux très importants. Ainsi, nos indications géographiques sont protégées dans tous nos accords commerciaux, y compris dans l'arrière-cour des États-Unis, qui n'aiment pas du tout cela. C'est un résultat exceptionnel.

Rappelons aussi que le Mercosur est une des rares zones avec lesquelles la France a un excédent commercial important, de l'ordre de 4,5 milliards d'euros annuels pour les biens et services. L'Union européenne, qui avait également un excédent très élevé avec le Mercosur, a vu son solde commercial se réduire et sa part de marché diminuer de moitié en vingt ans, puisqu'elle est passée de 35 % à 18 % au bénéfice des Chinois. Or, dans le reste des pays d'Amérique latine auxquels nous sommes liés par des accords de libre-échange – le Venezuela ainsi que la Bolivie, moins importante sur le plan économique, sont les deux seuls pays avec lesquels nous n'avons pas conclu d'accord –, nous avons pu maintenir nos parts de marché.

Enfin, pour avoir bien connu la crise de la vache folle, je peux vous confirmer que les farines animales ont été interdites dans l'urgence parce qu'il y avait un risque pour la santé humaine – quelques personnes étaient atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob – et que le système de production de ces farines au Royaume-Uni posait problème. Nous avons donc pris la décision radicale d'interdire leur utilisation dans l'alimentation animale ; il sera très difficile d'y revenir, bien que je ne sois pas sûr que cette mesure soit toujours pleinement justifiée. À mon sens, il n'y a pas de problème de santé humaine, et s'il devait y en avoir un, nous le réglerions. Il s'agit purement et simplement d'une question de compétitivité. N'oublions pas que nous versons 40 milliards d'euros d'aides directes aux agriculteurs européens, dont 7 milliards aux agriculteurs français, pour compenser les écarts de coûts de production avec le reste du monde. Dans ce contexte, quand nous accordons aux pays tiers des accès très faibles à nos marchés, nous ne pouvons pas leur demander de s'aligner complètement sur nos conditions de production.

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