Je ne conteste pas la nécessité d'adopter des législations compatibles avec l'accord de Paris et encourageant la décarbonation progressive de l'agriculture. Toute la question tient au dosage et au rythme des évolutions. L'Union européenne est d'ailleurs revenue sur certaines mesures, à mes yeux excessives : les modifications opérées il y a deux mois sont bienvenues et rééquilibrent l'économie générale du Pacte vert ; sans elles, la production européenne se serait contractée, peut-être au point de menacer à terme l'autosuffisance de l'Union européenne – la consommation de viande ne diminue pas beaucoup, donc une contraction de la production aurait eu des conséquences néfastes.
L'Union européenne émet 7 % des gaz à effet de serre mondiaux ; l'agriculture représente 13 % de ces émissions à l'échelle européenne et 20 % en France. Si nous agissions tout seuls, nous pénaliserions notre production sans aucun effet bénéfique sur le climat. Dans le domaine agricole, il ne se passe d'ailleurs pas grand-chose en matière de lutte contre le changement climatique depuis l'accord de Paris. Depuis 1990, l'Union européenne a diminué de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre en équivalent de dioxyde de carbone – les émissions de méthane et de dioxyde d'azote sont plus polluantes que le dioxyde de carbone et pénalisent le bilan de l'agriculture ; depuis 2010, la baisse ralentit. Comment faire en sorte que les grands pays du monde avancent ensemble pour ne pas pénaliser l'agriculture européenne ? Il nous faut trouver un équilibre entre les objectifs de compétitivité, de production, d'adaptation au changement climatique et de lutte contre celui-ci.
J'ai exercé différentes fonctions entre 1977 et 2019, de spécialiste de la politique agricole au ministère de l'économie et des finances français jusqu'à directeur général du commerce à la Commission européenne, en passant par le cabinet de Jacques Delors pendant dix ans, tant à Paris qu'à Bruxelles. La balance commerciale de l'Union européenne est structurellement déficitaire dans le domaine des protéagineux ; nous avons besoin de soja car nous ne pouvons pas en produire suffisamment, contrairement au colza et au tournesol qui présentent l'inconvénient de contenir beaucoup plus d'huile – de l'ordre de 45 % contre seulement 20 % pour le soja. Nous encourageons la production de protéines non oléagineuses comme les pois, les fèves et les féveroles : la France exporte une partie de sa production, car elle est largement autosuffisante dans ce secteur. Pour produire de la volaille, du porc et, dans une moindre mesure, du bœuf et du lait, nous avons besoin de tourteaux de soja, que l'on importe du Brésil, de l'Argentine ou des États-Unis ; être autosuffisant en matière de soja est une chimère.
Un règlement européen sur la déforestation entrera en vigueur à la fin de l'année, une fois résolus les quelques problèmes techniques qu'il reste à surmonter. Le principe de ce texte est sain puisqu'il prohibe l'utilisation de produits issus de la déforestation ; l'Union européenne ne pourra plus importer de soja issu de la forêt primaire amazonienne. Elle doit également penser à protéger ses propres forêts, même si les risques sont moins élevés. Le ratio fixé par la législation brésilienne me paraît tout à fait pertinent et nous ne cherchons absolument pas à le remettre en cause. Une première phase de négociation avec le Mercosur a été conclue avant que je ne quitte la Commission européenne : la France s'oppose à l'accord, lequel ne pourra être définitivement conclu que si le Mercosur accepte l'ambitieux protocole sur la déforestation soumis par l'Union européenne et si l'accord de Paris devient une clause essentielle. Au-delà des problèmes politiques que pose l'accord avec le Mercosur en France, il ne pourra y avoir d'accord définitif que si ces deux conditions sont remplies ; les négociations sont actuellement suspendues et ces deux points ne sont pas réglés.