Intervention de Christine Arrighi

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 10h00
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi, rapporteure :

Je reviens sur les propos que vous avez tenus. Le système de flux libre fonctionne, mais il s'est accompagné de nombreuses amendes dès son ouverture, comme au Portugal, qui est très avancé dans ce domaine. D'autres expériences montrent son efficacité, mais le défenseur des droits est souvent sollicité à propos de ces dispositifs. Je tiens à le souligner.

Par ailleurs, je partage votre condamnation partagée unanimement ici des violences à l'égard des salariés. Cependant, je m'étonne que les violences policières ne soient pas condamnées de la même manière par tous les participants de cette commission, notamment lorsqu'elles émanent d'un préfet sans autorisation légale d'intervenir. Il serait pertinent de condamner à la fois les violences contre les salariés et celles commises dans un État de droit par un préfet sans autorisation légale.

J'ai des questions précises, concernant notamment les 75 millions d'euros. J'y reviens car je considère que vous n'avez pas répondu. La qualification juridique des 75 millions d'euros est importante car elle détermine l'application ou non de certains textes de loi relatifs au droit des contrats. Si, par exemple, une route nationale financée par des contribuables était versée en apport en nature dans un contrat de concession, il serait inconcevable de considérer que le concours public est nul. La réponse qui m'est constamment donnée est qu'il s'agit d'une dépense du passé mais au moment du contrat de concession, cette somme est bien évaluée à 75 millions d'euros, ajustée d'ailleurs en fonction de l'inflation pour son évaluation dans l'inventaire. Cela démontre que la qualification juridique de cet apport en nature constitue un concours public. Les conséquences de cette qualification sont significatives, notamment en ce qui concerne le caractère obligatoire ou non des contre-expertises. Je ne peux pas adhérer à votre position sur cette question.

Sur les critères de choix du concessionnaire, monsieur Balderelli nous avait effectivement indiqué que les coefficients de pondération comportaient un quart consacré à l'optimisation en matière des travaux.

Or, monsieur Gerlinger, dans le cadre d'une pétition qui a entraîné un débat devant la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, nous avait informé qu'une meilleure proposition avait été formulée grâce à une optimisation des travaux en réutilisant des terres pour réaliser des remblais. Puis nous avons découvert, à l'occasion, non dans ce contrat, mais dans le cadre de l'examen d'un autre dossier, l'existence d'un schéma régional des carrières. Ce schéma, sous l'autorité du préfet et après une enquête publique menée en août – période souvent choisie par l'État (avec la période de Noël) pour organiser des enquêtes publiques afin de favoriser un débat citoyen riche – mentionnait un apport de 2,6 millions de tonnes de graviers sur le chantier de l'A69. Interrogé à ce sujet, Monsieur Gerlinger a nié cette information, affirmant que ce ne serait jamais 2,6 millions de tonnes, mais il a confirmé qu'un apport de matériaux était prévu. Cette information n'avait pas été communiquée non plus à l'Autorité environnementale, notamment l'évaluation du transport de ces matériaux et des émissions de gaz à effet de serre correspondantes, car il avait été initialement indiqué que suffisamment de matériaux seraient réutilisés sur le chantier pour optimiser financièrement et écologiquement le projet. Cela ne me convient pas non plus.

Passons à l'alternative gratuite, il est vrai qu'elle existe mais elle est financée par les contribuables du Tarn. En effet, la route nationale, financée par la solidarité nationale, sera intégrée à la voirie départementale et sera donc à la charge des contribuables tarnais. Ainsi, les habitants devront payer pour emprunter l'autoroute et, s'ils ne peuvent pas se permettre de l'emprunter, utiliseront « gratuitement » une route qu'ils auront financée par le biais de la solidarité départementale. Cette alternative n'est donc pas totalement gratuite. Nous avons interrogé monsieur Ramond, le président du conseil départemental du Tarn, qui nous a indiqué qu'il travaillait actuellement sur le financement de l'entretien de cette route nationale, qui sera intégrée à la voirie départementale. Par conséquent, cette alternative n'est pas complètement gratuite.

En ce qui concerne les fermes solaires, je me suis déjà exprimée en faveur du développement des énergies renouvelables et de l'utilisation potentielle de terrains délaissés, à condition qu'ils ne soient pas destinés à la renaturation. Or dans le cadre de cette autoroute, selon l'arrêté interdépartemental des préfets du Tarn et de la région Occitanie, il est prévu d'utiliser ces terrains délaissés. Je souligne une nouvelle fois que l'Autorité environnementale a été consultée sur la base d'éléments incomplets, et qu'en l'occurrence son avis aurait pu être différent. Certes, des autorisations environnementales seront nécessaires pour les fermes solaires, mais au moment du rendu de son avis, l'Autorité environnementale n'était pas informée de ce projet. Elle n'a donc pas pu prendre en compte, entre autres, les motions de la Chambre d'agriculture, qui indiquait que le tracé choisi produisait le plus de terrains agricoles délaissés. L'Autorité environnementale n'a donc pas pu émettre un avis éclairé sur ce sujet faute d'information. Je vous repose la question : à quel moment avez-vous été informé de ce projet de ferme solaire ? Si vous en avez l'information avant la signature du contrat – j'espère que c'était le cas – pourquoi l'avoir dissimulée ? Dans l'annexe 12 du contrat, pages 6 et 21, cette information concernant le projet de ferme solaire et de production d'énergie renouvelable a été grisée. Pourquoi avez-vous permis que cette information, extrêmement importante pour l'Autorité environnementale, les collectivités locales et le débat citoyen, soit grisée ?

Je suis étonnée par la réponse que vous avez donnée à ma collègue madame Karen Erodi concernant la durée de la concession. En effet, dans l'avis de l'ART du 25 janvier 2022, la durée du contrat est mentionnée. L'Autorité recommande dans son rapport d'envisager toutes les adaptations permettant de réduire la durée des engagements contractuels de l'État dans le secteur autoroutier. Bien que cela soit un peu long, je tiens à le lire : elle relevait en effet « qu'un horizon contractuel très long, en accroissant le transfert de risques et en privant la puissance publique des avantages d'une mise en concurrence plus régulière [c'est-à-dire selon une périodicité inférieure à 55 ans] , pouvait s'avérer très coûteux. D'une part, des engagements contractuels sur une durée très longue amplifient les risques assumés par le secteur privé et conduisent à un coût du capital plus élevé. D'autre part, ils contraignent la puissance publique à négocier de gré à gré toute évolution du contrat avec son partenaire privé, et ne lui permettent pas de bénéficier des mécanismes régulateurs du marché. » Cela s'illustre avec les contrats signés en 2006 et le protocole de 2015, pour lequel nous avons eu beaucoup de difficultés à obtenir des informations. Je poursuis : « Toute adaptation permettant de réduire la durée des engagements contractuels devrait donc être sérieusement envisagée, et le choix de la durée finalement retenue solidement étayé. L'Autorité constate que pour la concession de l'autoroute A69, le concédant a retenu une durée contractuelle de 55 ans. Il ressort de l'instruction que cette durée a été établie en tenant compte des pratiques usuelles. Ainsi le concédant se réfère aux durées de financement généralement retenues pour ce type de projets d'infrastructures, qui sont de 30 à 40 ans après refinancement, celui-ci intervenant après la mise en service et la montée en charge des trafics, soit environ 10 ans après la signature du contrat, et aux exigences supposées des prêteurs qui demanderaient une durée de concession supplémentaire de 5 à 15 ans après l'amortissement du prêt, ainsi qu'aux éléments constitutifs de l'autoroute dont les pratiques de marché anticipent un amortissement sur une durée longue, souvent proche, voire supérieure à 55 ans. Il semble ainsi que le concédant [et c'est là que je ne comprends pas votre réponse] ait perpétué le mode contractuel auquel il a usuellement recours, sans envisager d'y apporter des adaptations permettant de limiter la durée de ses engagements et sans mener d'analyses économiques justificatives. » Je passe ensuite directement à la conclusion : « Les autorités [le concédant] ne devraient donc pas exonérer le concédant de réinterroger ses propres pratiques en termes de durée des contrats de concession autoroutière, ni de concevoir des mécanismes pour s'éviter des écueils d'engagement contractuel trop longs. » Merci donc de me donner votre éclairage par rapport à celui de l'ART.

Je reviens enfin sur la demande reconventionnelle qui a été faite et que j'ai découverte en anglais dans un document du 31 décembre 2022 de la société TIIC. Au moment de la signature du contrat, étiez-vous au courant de cette demande reconventionnelle de la société Atosca ? Il est indiqué : « à cet égard, le concessionnaire et l'entrepreneur travaillent avec des conseillers externes pour préparer les fondements juridiques d'une telle réclamation et les montants associés à inclure. »

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