Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 10h00
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre délégué aux transports :

J'entends que vous souhaitiez faire évoluer le cadre juridique et législatif pour rendre certains avis consultatifs conformes, et cela pourrait faire partie de vos propositions. Cependant, en l'état actuel du droit, c'est ce cadre qui prévaut.

Enfin, sur le transfert de risques, il est essentiel de bien comprendre les implications de ces décisions et de les intégrer dans le cadre juridique existant. Dans le cadre d'une autoroute concédée, on concède la maîtrise d'ouvrage et on transfère les risques, notamment ceux liés au trafic et au coût des travaux. Ce contrat a été établi à une époque où l'inflation n'était pas au niveau de celle de 2022. Le transfert des risques sur les coûts et le trafic est reconnu par l'ART, et la partie privée qui a signé le contrat, avec son plan de financement et ses retours espérés, doit respecter les termes du contrat. Je comprends que chacun cherche à défendre ses intérêts, mais la loi stipule que toute demande d'indemnisation nécessite un avis de l'ART, qui a déjà annoncé qu'elle exprimerait le cas échéant un avis défavorable.

Quant à la robustesse de l'offre et les 75 millions d'euros précités, la valeur socio-économique du projet est un indicateur permettant à l'investisseur de juger de la pertinence du projet. Si cette valeur est positive, le projet est généralement considéré comme viable. En revanche, si elle est négative, le projet n'est généralement pas retenu. Dans toutes les hypothèses, même les plus pessimistes, qui incluent des scénarii dégradés en termes de trafic et de coûts des travaux, la valeur socio-économique ressort à 98 millions. Même en réinjectant les concours publics, la valeur resterait positive et la décision de réaliser le projet resterait valide. Les divergences d'évaluation proviennent des différents interlocuteurs : l'État et le concessionnaire ont mené leurs propres analyses pour estimer la valeur socio-économique du projet. Le concessionnaire aboutit à une valeur plus élevée en raison d'optimisations de travaux qu'il a réalisées, notamment sur les déblais et remblais, comme mentionné précédemment. Il a opté pour des hypothèses de trafic légèrement plus optimistes que celles précédemment débattues. Le transfert de risques s'opère de manière normale et réglementaire.

Concernant les 115 ans, je n'ai pas d'explication précise. J'ai écouté divers intervenants se référer au guide méthodologique qui préconise de se prononcer sur cette durée pour avoir une référence commune. La seule explication de bon sens que je perçois est qu'un ouvrage de type autoroutier est prévu pour durer une centaine d'années d'existence. Peut-être que ces référentiels ont été conçus pour évaluer, sur la durée de vie de l'ouvrage, la valeur socio-économique qu'il génère. Il est possible que ces référentiels puissent évoluer mais il est souhaitable de pouvoir comparer les projets sur la base d'un référentiel commun. En tout état de cause, le guide méthodologique préconise d'utiliser les 115 ans comme référence commune pour l'étude des projets.

En ce qui concerne les trains de proximité, les tarifs et le pouvoir d'achat, plusieurs points méritent d'être développés. Lorsqu'une autoroute concédée est mise en place, il existe toujours une alternative gratuite au trajet autoroutier payant. Cette alternative gratuite a été d'ailleurs améliorée par divers travaux d'aménagement, y compris sur la route départementale. Concernant le pouvoir d'achat, il existe toujours une alternative gratuite par la route nationale ou départementale, en parallèle avec l'option payante. Il est vrai que les tarifs diffèrent entre les véhicules légers et les véhicules plus polluants, mais des tarifs réduits sont proposés aux utilisateurs réguliers. Des abonnements sont offerts pour les transports quotidiens. Il est vrai que généralement, le tarif varie du simple au triple entre les véhicules légers et les poids lourds : il est de l'ordre de 10 centimes par kilomètre pour les véhicules légers et de 30 centimes par kilomètre pour les poids lourds. Les tarifs prévus pour chaque classe de l'autoroute concédée se situent dans la moyenne, voire légèrement en dessous par rapport à des réseaux concédés comparables créés récemment.

Sur les délaissés et les fermes solaires, je rappelle que ces engagements sont volontaires. Ils sont soumis à des régimes administratifs quelque peu différents, car les autorités administratives compétentes varient. Les processus d'autorisation diffèrent également. Chacun s'est exprimé sur la volonté commune de maximiser l'utilisation de ces espaces pour installer des fermes photovoltaïques, visant à produire de l'énergie propre sur des terrains qui ne peuvent pas être exploités d'une autre manière. Cela me semble être une politique énergétique judicieuse, favorisant la production d'énergie verte et contribuant à la souveraineté énergétique du pays. Dans le détail, les régimes d'autorisation administrative s'appliquent et l'engagement reste volontaire. Les recettes générées par cette activité énergétique sont intégrées aux recettes régulées. De ce point de vue, l'organisation est bien structurée, mais je comprends que nous ayons des visions légèrement différentes sur le sujet.

Quant au caractère démocratique du projet et sa réévaluation, je souligne que ce projet a suivi un parcours démocratique. Une concertation publique a eu lieu au milieu des années 2000, permettant d'acter une position de l'État en 2010. Une enquête publique a été menée entre fin 2016 et début 2017, ce qui a débouché sur une DUP. Ce projet a été débattu démocratiquement dans une période assez récente, si l'on considère que les discussions sur la LOM remontent à 2018-2019. Une commission d'orientation des infrastructures transpartisane a examiné toutes les options et a soutenu les projets les plus écologiques – de nombreux projets ferroviaires ont ainsi été soutenus – et ceux qui faisaient l'objet du consensus politique local le plus large. Un consensus ne signifie pas l'unanimité, mais en démocratie, les décisions sont prises à la majorité. Ce projet d'autoroute concédée était celui qui recevait le soutien le plus important des élus et des acteurs locaux concernés.

Bien évidemment, tous les élus des territoires souhaiteraient que la route nationale passe en deux fois deux voies en quinze ans. Cependant, la réalité budgétaire montre que les travaux se réalisent de manière incrémentale, en raison de la rareté des deniers publics, et dans des délais qui dépassent largement la durée des mandats électifs. Dans le territoire où j'ai été élu, par exemple, la route entre Limoges et Poitiers, la RN147, a vu des aménagements consentis au cours des vingt dernières années, à un rythme qui ne permettrait d'achever l'élargissement à deux fois deux voies qu'en 2200... Pour accélérer ce genre de projet et améliorer la performance, la sécurité, la rapidité et la connectivité, il est alors nécessaire de recourir à des financements alternatifs. Autour de l'étoile toulousaine, la majorité des tronçons sont des autoroutes : Albi, Montauban, Agen, Pamiers, Castelsarrasin, Carcassonne. Le tronçon entre Toulouse et Castres reste, ou restait, non desservi par un aménagement rapide et sécurisé. Je pense qu'il était légitime, du point de vue des élus locaux, de préserver l'attractivité de leur territoire en se dotant d'un outil d'accélération, à savoir le recours à l'autoroute concédée.

Quant au groupe Pierre Fabre, je regrette qu'il ne m'ait pas contacté directement. Pourtant, j'apprécie le rugby et l'équipe de Castres ! Bien que n'ayant pas été contacté directement, j'étais au courant de son soutien public au dossier. Il a d'ailleurs apporté une idée intéressante : il a observé un différentiel de croissance de ses activités à Castres par rapport à une implantation à Toulouse ou à Paris, de l'ordre de 300 % sur une longue période. On peut imaginer que la connectivité de Castres à la métropole toulousaine favorise une implantation à long terme de ce groupe, dans un contexte de transformation du territoire, de réindustrialisation et de recherche de souveraineté, avec la participation de grandes entreprises comme celle-ci.

En ce qui concerne le pacte actionnarial, l'État se concentre sur deux aspects, pour répondre à vos questions. Premièrement, l'État souhaite maintenir la stabilité de l'offre pendant deux ans, période durant laquelle les risques sont les plus importants, notamment au niveau des travaux. Il convient donc que le pacte d'actionnaire soit maintenu durant cette période. Deuxièmement, l'État contrôle les entrées et sorties et permet une cession relativement modeste, de l'ordre de 10 % du capital, avec son autorisation. En l'occurrence, la révision du pacte actionnarial a concerné environ 6 % du capital, cette part ayant été attribuée à des acteurs locaux, comme ceux qui sont venus vous l'expliquer. L'État s'intéresse au pacte actionnarial sous l'angle de la stabilité et dans le cadre de son contrôle, afin d'exercer le meilleur contrôle possible dans l'intérêt de l'ouvrage, des usagers et des acteurs du territoire.

Je ne suis pas certain d'avoir répondu à toutes vos questions, mais j'ai couvert l'essentiel de vos interrogations. Je pourrais entrer dans un débat plus approfondi sur la problématique des transports, mais cela serait trop long. Je m'engagerai avec plaisir dans cette discussion à une autre occasion.

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