Intervention de Christine Arrighi

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 10h00
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi, rapporteure :

Sur cette espèce d'unanimité autour de l'autoroute A69, je suis désolée de vous le dire, mais depuis longtemps, tout le monde ne soutient pas ce projet. Vous aviez la possibilité, au regard des engagements pris en 2017, traduits par la LOM, la mise en place du COI, et la loi Climat et résilience, de réexaminer tous ces projets. D'ailleurs, votre successeur, que nous avons auditionné, nous avait bien dit que ces projets seraient réévalués à la lumière du dernier avis du COI. Dans le scénario numéro 3, comme monsieur Jean-Marc Zulesi, qui présent ici, le sait très bien, nous avions de nouveau le catalogue de tous les projets portés par les élus. C'est le scénario numéro 2 qui a été voté à l'unanimité, car il s'agissait d'une composition transpartisane. Il ne reprend pas le catalogue de tous les projets portés par les élus locaux, mais réexamine l'ensemble des projets et de la stratégie en matière de transports au regard des urgences climatiques signalées par les scientifiques. Ces derniers nous alertent régulièrement, au niveau national, européen et mondial, à propos des urgences climatiques. Récemment, dans une tribune dans The Guardian, les scientifiques ont exprimé leur inquiétude et leur désarroi face à l'inaction des gouvernements, y compris en France. Nous avons d'ailleurs été condamnés à plusieurs reprises pour notre inaction en matière climatique. Je referme ma parenthèse… Cette distorsion entre les textes, les volontés affichées et la décision prise pour l'A69 est sujette à interrogations. Vous aviez également la possibilité de réexaminer le projet sur la base de la note produite par vos services concernant le concessionnaire présenté.

J'ai également demandé à obtenir la note d'analyse des réponses des soumissionnaires ainsi que la note d'analyse qui vous a été communiquée sur le concessionnaire choisi – dont vous me confirmez qu'elle existe. J'en viens donc aux critères qui ont permis de choisir un concessionnaire plutôt qu'un autre. Peu importe selon vous le soumissionnaire choisi, pourvu qu'il ait répondu aux critères et qu'il offre le meilleur service pour le meilleur prix. Mais justement, la question est de savoir quel est ce meilleur prix, car aujourd'hui nous ne le savons toujours pas. J'ai à nouveau interrogé la DGITM à ce sujet. Peut-être avez-vous eu cette information puisque vous me répondez que c'était la meilleure offre en termes de prix, mais nous n'avons pas les tarifs des péages. En effet, les représentants du ministère chargé des transports savent très bien répondre – ou pas – aux questions qui leur sont posées. Ils nous expliquent que les tarifs seront établis deux mois avant l'ouverture et la mise en service. Je suis donc conduite m'interroger sur les tarifs plafonds dans la mesure où ces derniers sont, la plupart du temps, retenus –et les concessionnaires auraient tort de s'en priver, sachant que l'ART m'a confirmé que la majeure partie du temps, ce sont les tarifs plafonds qui sont choisis. Il est à noter que nous disposons uniquement, dans le contrat de concession, des taux moyens et non pas des tarifs plafonds. Je tiens à le répéter car certains affirment constamment que tout est écrit dans le contrat, mais ce n'est pas le cas pour ce sujet précis.

Sur la robustesse du dossier, vous me dites ne pas comprendre où je veux en venir avec les 75 millions d'euros d'apports en nature. Vous êtes pourtant parfaitement conscient du lien avec la valorisation socio-économique. Vous voyez donc très bien où je veux en venir. Cette valeur était à un moment donné de 508 millions d'euros puis elle est passée à 98 millions d'euros après l'intervention du Commissariat général à l'investissement. Cela représente une réduction significative par rapport à ce qui avait été annoncé, mais il est indiqué que le concessionnaire assumera le risque. Puis, de manière inattendue, nous nous retrouvons avec une nouvelle évaluation de la valeur socio-économique, calculée par le concessionnaire. Personne ne s'étonne que cette valeur soit soudainement divisée par 10, sans intégrer les 75 millions d'euros précités. Si ces 75 millions avaient été intégrés, nous aurions dépassé les 100 millions, ce qui aurait nécessité une contre-expertise, compte tenu d'un décret de 2013. Ainsi, l'analyse juridique de ces 75 millions d'euros, qui sont des apports en nature, revêt une importance et un intérêt significatifs par rapport à la réglementation applicable aux marchés. Monsieur le ministre, il ne s'agit donc pas d'une analyse capitalistique, mais d'une analyse réglementaire. De plus, l'évaluation est calculée sur 115 ans, ce qui m'interpelle… Les concours publics ont été ramenés à un dixième de leur valeur, l'évaluation est calculée sur 115 ans, et personne au ministère ne s'interroge sur ce miracle d'une évaluation significativement rehaussée du fait de l'abaissement significatif de certains montants et d'un calcul sur 115 ans. Je n'ai toujours pas compris et je n'ai toujours pas reçu de réponse à ce sujet. L'ART, que j'ai encore interrogée la semaine dernière, m'a indiqué que son expertise ne portait pas spécifiquement sur ce sujet. Il faudra donc réinterroger le ministère, qui ne fournit pas de réponses très claires à cette question.

Quant à l'orientation de la politique des transports, je comprends que vous défendiez votre bilan. Il est évident que la responsabilité de la politique ferroviaire ne repose pas uniquement sur les Gouvernements en place depuis 2017 ou 2022. La situation de la SNCF est le fruit d'une longue histoire de délaissement du ferroviaire et d'endettement, en lien avec des choix de développement accéléré des lignes à grande vitesse. Je me réjouis que nous puissions aujourd'hui redécouvrir l'importance des trains de proximité et des TER, car 85 % des usagers prennent des trains de proximité. En travaillant sur la grande vitesse, on ne travaille que pour les plus riches.

J'en reviens à l'A69. D'après des calculs approximatifs, un trajet en véhicule particulier entre Castres et Toulouse reviendrait à environ 20 euros. Le tronçon s'étend de Castres à Verfeil, mais j'ai plutôt considéré un trajet entre Castres et Toulouse car j'imagine difficilement que Verfeil puisse devenir une grande métropole. Le tarif serait de 26 euros pour les véhicules utilitaires légers et de 60 euros pour les poids lourds – il n'existe aucune information particulière à leur sujet mais généralement, les tarifs de péage pour les camions correspondent au triple de celui des véhicules particuliers. Qui devra supporter le coût de 20 euros pour gagner entre 15 et 35 minutes de trajet ? Personne n'est capable de fournir des informations précises à ce sujet. Les uns calculent jusqu'au péage de l'Union, d'autres jusqu'à Toulouse, d'autres encore jusqu'à Verfeil – d'après l'ART. Qui va pouvoir payer 20 euros par jour, soit 100 euros par semaine et 400 euros par mois, pour emprunter cette autoroute ? Ceux qui auront leurs frais remboursés par leurs entreprises, comme les deux cents cadres dont le groupe Pierre Fabre annonce qu'ils effectuent ce trajet quotidiennement. Deux cents personnes pour une autoroute, cela ne représente pas grand monde... À moins que d'autres entreprises ou des artisans ne soient en mesure de prendre en charge ces frais. Mais que feront les artisans ? Ils répercuteront ce coût sur leurs clients, perdant ainsi en compétitivité. Quant aux entreprises de transport, elles répercuteront également ces frais sur leurs clients ou accepteront de réduire leurs marges. Pour gagner 15 minutes, nous en arriverons à une situation où ce sera soit le client, soit l'usager, soit l'entreprise qui supportera ce surcoût. Tout cela pour gagner du temps, car c'est le critère déterminant de cette stratégie de transports : l'objectif est d'aller le plus vite possible, le plus loin possible. Est-ce compatible avec les orientations que vous aviez mises en œuvre dans le cadre de la LOM ?

Je souhaite revenir sur un sujet abordé par la Chambre d'agriculture à travers une motion déposée en 2021. Il y apparaît que le choix du tracé de l'autoroute qui a été retenu est celui qui génère le plus de délaissés. Estimez-vous qu'il existe un lien entre le choix du tracé et les fermes solaires ? On m'informe que tout était prévu dans le contrat pour que, quelques mois plus tard, Tarn Sud Développement voie le jour et que les entreprises locales participent au pacte actionnarial. Pourquoi cela n'a-t-il pas été réalisé et pourquoi cela n'a-t-il pas été mentionné lors de la signature du contrat de concession ? Étiez-vous au courant, monsieur le ministre ? Tout était prévu concernant les fermes solaires, qui s'inscrivent dans la politique de production d'énergie renouvelable du Gouvernement. Pourquoi s'en cacher ? Pourquoi ne pas l'annoncer ? Étiez-vous informé, monsieur le ministre, qu'il était prévu de produire 40 mégawatts, soit l'équivalent de la consommation d'une ville moyenne ? Ce n'est pas seulement pour les bornes installées sur les autoroutes. Aujourd'hui, on nous dit que cela n'a pas commencé, et qu'il faudra ensuite obtenir des autorisations environnementales. Pardon mais l'autorisation environnementale préalable à la signature du contrat de concession aurait dû inclure ces éléments. J'entends bien qu'aujourd'hui, il ne pourra pas y avoir de fermes solaires sans autorisation environnementale, mais l'autorisation environnementale sur le projet autoroutier a été donnée sans que cette information ait été communiquée. Dans ces conditions, son avis est-il éclairé ? Qu'en est-il du débat public qui s'est tenu en août ? Ce débat avec les habitants n'a certainement pas été éclairé. Vous allez certainement prétendre le contraire et j'attends votre réponse sur ce point.

Je souhaitais aborder un dernier point concernant les conditions financières. Vous avez évoqué la guerre en Ukraine et la situation liée au Covid, qui ont pu avoir des conséquences sur la soutenabilité et la robustesse du projet. Je me suis procuré les comptes de la société TIIC, qui fait partie du pacte actionnarial d'Atosca. Ce document est rédigé en anglais. Il y est fait état des comptes au 31 décembre 2022 et des fondements juridiques d'une demande potentielle d'indemnisation. Je vous en propose une traduction en le lisant :

« Parallèlement, le contractant et le concessionnaire travaillent toujours [ce qui signifie que ce n'est pas nouveau] sur une demande potentielle d'indemnisation de l'État français en raison de la situation économique actuelle, résultant de la guerre en Ukraine et de l'environnement logistique et économique post-Covid, qui a principalement un impact sur les coûts de construction du contractant. Néanmoins, l'augmentation des coûts de construction est entièrement supportée par l'entrepreneur par le biais de clauses d'endossement du contrat.

Dans une moindre mesure, le concessionnaire a également été impacté lors du bouclage financier, avec une augmentation significative des taux d'intérêts entre avril 2021 et avril 2022 [le contrat a été signé en avril 2022, et ces éléments n'étaient donc pas ignorés]. D'où le travail commun entrepris par les parties.

À cet égard, le concessionnaire et l'entrepreneur travaillent avec des conseillers externes pour préparer les fondements juridiques d'une telle réclamation et les montants associés à inclure. Le processus devrait être long, mais il n'affecte pas l'exécution des travaux de construction, toujours prévue en mars 2023. Il est prévu par ailleurs que 5,3 % maximum de l'actionnariat total soit cédé à Opale Invest, qui est devenu actionnaire avec diverses sociétés locales dirigées par le groupe Pierre Fabre. »

Sur ce sujet précis, j'ai interrogé Monsieur Gerlinger, le directeur général d'Atosca, qui m'a confirmé que cette demande a été faite et était à l'instruction du ministère. J'ai demandé la communication de cette demande et interrogé le ministère sur l'état d'avancement. Ma question, pour ce qui vous concerne, est que tout cela s'est produit avant la signature du contrat. Vous ne pouviez pas ne pas en avoir connaissance. Vous allez donc pouvoir m'éclairer également sur ce point.

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