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Intervention de Thomas M'Saïdié

Réunion du mardi 7 décembre 2010 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Thomas M'Saïdié, maître de conférences en droit public et directeur du département droit-économie-gestion à l'Université de Mayotte :

Le sujet que je vais aborder concerne la portée des revendications des Comores concernant Mayotte. Pour mieux comprendre ces revendications, il est nécessaire d'en expliquer l'origine. Les revendications de l'Union des Comores concernant Mayotte trouvent leur origine dans le référendum organisé le 22 décembre 1974 par l'État français. Ce référendum devait permettre à toutes les îles composant l'archipel des Comores de s'exprimer clairement sur leur souhait d'accéder à la pleine souveraineté internationale ou de demeurer au sein de l'État français.

La démarche française a été totalement transparente. En témoignent les discours politiques, notamment celui de Pierre Messmer le 29 janvier 1972 devant la Chambre des députés des Comores, ainsi que celui de Bernard Stasi. Ces discours affirmaient que l'organisation se ferait île par île, avec un décompte spécifique à chaque île et non global. Cette position, traduite normativement par la loi du 23 novembre 1974, a suscité de vifs débats mais a permis l'expression honnête et authentique de la volonté des populations des quatre îles.

Lors du référendum du 22 décembre 1974, une majorité écrasante des habitants des trois îles de l'archipel des Comores – Anjouan, Grande Comore et Mohéli – a opté à 99,95 % pour l'émancipation et la souveraineté internationale, tandis que Mayotte à 65,30 % a choisi de rester au sein de la République française. La France en a pris acte et, comme convenu, le Parlement est intervenu pour définir les contours de cette accession à l'indépendance.

C'est tout le sens de la loi du 3 juillet 1975, qui précisait les modalités d'accession des Comores à l'indépendance. Cette loi contenait plusieurs procédures et quelques conditions qui, finalement, n'ont pas été acceptées par les autorités comoriennes, celles-ci souhaitant une indépendance sans condition. Ahmed Abdallah, exaspéré par la situation de Mayotte, a proclamé unilatéralement l'indépendance des Comores le 6 juillet 1975, alors que la loi venait d'entrer en vigueur le 4 juillet 1975.

Cette déclaration a marqué le début d'une période de relations tendues, animées notamment par l'ONU. Le 12 novembre 1975, l'ONU a adopté la résolution 3385, permettant l'admission des Comores au sein de l'Organisation. Cette situation soulève des questions sur le comportement de l'ONU, que je qualifierais de « déstabilisant », voire « choquant ». Nous parlons d'un territoire soumis à la souveraineté de la France, régi par l'ordre constitutionnel français et ses normes. Pourtant, l'ONU a validé l'indépendance des Comores, en dépit de la loi du 3 juillet 1975 qu'Ahmed Abdallah a violée en accédant à la souveraineté internationale. L'ONU a ainsi reconnu une violation des normes d'un État souverain en admettant l'adhésion d'un territoire encore sous souveraineté française. Ce comportement est pour le moins douteux.

L'Assemblée générale de l'ONU ne s'est pas arrêtée là. Elle a validé de manière choquante cette violation de l'ordre constitutionnel français et a précisé la portée géographique et juridique du territoire des Comores. Or, selon la Charte des Nations Unies, l'Assemblée générale est allée au-delà des missions confiées par l'article 4, qui consistent simplement à valider les demandes d'admission sur recommandation du Conseil de sécurité, sans jamais définir la consistance d'un territoire. En vertu de l'article 2, paragraphe 7 de la Charte, il est strictement interdit de s'immiscer dans les affaires internes des États, qui relèvent de leur compétence exclusive. Cependant, l'Assemblée générale a choisi d'intervenir de manière intrusive.

Cela soulève des questions sur la légitimité des revendications des Comores, renforcées par ce comportement et d'autres actes de droit dérivé. Pour évaluer le poids international de ces revendications, il est essentiel d'en identifier les sources juridiques. Ces revendications s'appuient sur la résolution 1514 du 14 décembre 1960, qui est une déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Cette résolution visait à encadrer le processus de décolonisation en incitant les États et les puissances administrantes à accéder aux demandes d'indépendance des territoires sous souveraineté.

La résolution consacre six principes. Je me concentrerai sur les deux qui nous intéressent particulièrement. Le deuxième principe consacre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, c'est-à-dire le droit à la libre autodétermination. Le sixième principe consacre l'intangibilité et l'intégrité territoriales. Ces deux principes apparaissent paradoxaux. En lisant attentivement la résolution, aucun élément ne permet de trancher clairement. Il faut donc recourir à une interprétation du droit international, à la pratique internationale, à la jurisprudence et aux avis de la Cour internationale de justice.

Arrêtons-nous un instant sur le droit international. La Charte des Nations Unies éclaire cette question. Comme l'a rappelé l'intervenant précédent, l'article 1er de la Charte précise que le droit à l'autodétermination est l'un des objectifs des Nations Unies. Ainsi, le droit à l'autodétermination semble l'emporter sur le principe de l'intangibilité territoriale. Qu'est-ce que cela implique ? La position de ce principe, inscrite dans l'article 1er, lui confère une force et une place particulières. L'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 2625, précisant qu'il s'agit d'un devoir pesant sur les États : ces derniers ont l'obligation de respecter le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Toutefois, la question de la valeur de cette résolution se pose. En droit international, il s'agit d'un acte de droit dérivé pris par les organisations internationales. La résolution de l'Assemblée générale n'a aucune portée contraignante : elle ne peut donc pas imposer des obligations aux États ; elle a une portée essentiellement symbolique. Les discours politiques de l'Assemblée générale ne visent pas à créer des droits, ce n'est pas leur mission.

Concernant les revendications, il est important de rappeler que la France a été condamnée en 1976 par la résolution 341 de l'Assemblée générale. Cette condamnation n'émanait pas du Conseil de sécurité. L'Assemblée générale a utilisé un ton particulièrement ferme pour intimider la France. Après cette résolution, le ton s'est adouci, passant d'une condamnation énergique à un appel, puis à une invitation et, enfin, à une prière. En d'autres termes, au fil des résolutions, la rigueur des revendications comoriennes a diminué et cette question a perdu de sa portée.

Sur le plan national, on peut s'interroger sur le poids des résolutions et des revendications des Comores concernant Mayotte. La réponse est apportée par notre Constitution, notamment l'article 55. Cet article précise que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle de la loi, sous réserve de leur application par l'autre partie ». Il est important de noter que le mot résolution n'est pas mentionné. En d'autres termes, les résolutions, tout comme la coutume internationale, ne sont pas reconnues par la Constitution française et n'ont aucune portée contraignante.

Lorsqu'on analyse la Constitution comorienne, on constate que l'article 10 est une reproduction servile de l'article 55 de la Constitution française. C'est un « copier-coller », pour utiliser un terme informatique. Cela signifie également qu'en droit comorien, les résolutions de l'Assemblée nationale ne sont absolument pas reconnues.

Comment peut-on alors se baser sur des résolutions non reconnues pour exiger leur application et importuner un pays qui a instauré le droit à l'autodétermination ? Cette question a perdu de sa portée, tant au niveau international qu'au niveau national. Toutefois, elle conserve toute son importance et son acuité au sein même de l'Union des Comores, où elle demeure inaliénable. C'est une question essentielle pour l'Union des Comores car elle constitue – permettez-moi cette expression – un instrument de chantage à l'aide au développement mais également un outil de harcèlement diplomatique envers la France. Les Comores brandissent souvent, à dessein, les revendications concernant Mayotte chaque fois qu'une situation particulière se présente. Ainsi, il apparaît que cette question ne sera jamais abandonnée par l'Union des Comores, malheureusement. On peut le regretter mais, sur le plan international, elle a perdu de sa portée.

Je précise à toutes fins utiles que l'intitulé « La question de l'île comorienne de Mayotte » n'est pas de mon fait. C'est le choix de l'Assemblée générale de l'ONU, qui désigne cette question de manière totalement provocante.

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