Mes chers collègues, notre ordre du jour prévoit ce matin une table ronde sur la problématique du statut de Mayotte au regard du droit international. Bien que nous soyons la commission des affaires étrangères, ce sujet nous concerne indirectement. Ce thème a été expressément souhaité par le bureau de la commission, qui a jugé nécessaire d'approfondir cette dimension des sujets touchant la situation de ce département français.
Mayotte, comme chacun sait, est située entre Madagascar, l'archipel des Comores et les côtes du Mozambique. Le Parlement français s'apprête à débattre d'un projet de loi constitutionnel et d'un projet de loi spécifiquement consacré à Mayotte. Bien que le ministère de l'intérieur et des outre-mer et la commission des lois se préoccupent principalement du statut des populations à Mayotte, l'incidence internationale est extrêmement présente.
Avant de brosser brièvement le contexte et les attendus de nos échanges, je souhaite la bienvenue aux intervenants qui ont accepté de partager leur expertise sur ce sujet. Compte tenu du sujet, l'un de nos intervenants s'adressera à nous par visioconférence depuis la Réunion, tandis qu'un autre est venu spécialement de Mayotte. Je le remercie chaleureusement pour ce déplacement.
M. Thomas M'Saïdié, vous êtes maître de conférences en droit public, directeur du département droit, économie, gestion à l'université de Mayotte, et expert du statut de l'île. Vous avez notamment publié en 2016, dans la Revue juridique de l'océan Indien, un article intitulé de manière légèrement provocante mais nécessaire pour attirer l'attention : « La réponse juridique à la question de l'île comorienne de Mayotte ». En 2020, aux Comores, on caractérise Mayotte d'une certaine manière. Vous avez également publié un article dans la Revue française de droit administratif qui éclaire une facette de la question : « Mayotte, collectivité territoriale de la République française face à l'Union des Comores, quelles relations ? ». Avec ces deux titres, vous tenez les deux bouts de la chaîne. Votre connaissance intime des enjeux locaux nous sera donc extrêmement utile pour mieux en apprécier les implications.
M. Nabil Hajjami, vous êtes sous-directeur du droit international public à la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Vous êtes docteur en droit public et vous avez enseigné à l'université de Paris-Nanterre. Vous êtes un « intellectuel organique » dans cette affaire, comme dirait le regretté Gramsci. Vous nous présenterez donc la position de l'État sur cette question importante, telle que le Quai d'Orsay la défend et la promeut dans les instances internationales. Nous serons très attentifs à vos développements.
Enfin, M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso, vous êtes maître de conférences en droit public, vice-doyen de la faculté de droit et d'économie de la Réunion. Votre thèse, soutenue à l'université de Montpellier en 2012, portait sur le statut de Mayotte vis-à-vis de l'Union européenne. Vous êtes un expert reconnu de l'environnement régional, ayant publié des communications notables sur les cinq ans de départementalisation à Mayotte, en 2016, et sur l'évolution des Constitutions comoriennes depuis l'indépendance jusqu'à nos jours, en 2017, notamment avec une analyse de la sortie de crise et de la consolidation de l'État aux Comores. Votre expertise indiscutable et votre regard détaché nous éclaireront ce matin.
L'île de Mayotte, pour résumer rapidement, est l'un des premiers territoires de l'océan Indien à avoir été rattaché à la France en vertu du traité de cession du 25 avril 1841, soit avant même la Savoie. Cette acquisition a été librement consentie par le sultan Andriantsouli, et non imposée par la force. Depuis près de deux cents ans, Mayotte a connu divers statuts juridiques : colonie française, puis territoire d'outre-mer selon la loi du 22 décembre 1961, elle est devenue une collectivité sui generis en vertu de la loi du 24 décembre 1976, après l'indépendance de l'archipel des Comores, contre laquelle la population mahoraise s'est prononcée à plus de 63 % lors du référendum du 22 décembre 1974. Ce référendum constitue le pivot de la contestation car il a été organisé île par île, alors que les Comores considéraient que l'archipel formait un tout et que la question devait être posée globalement. C'est là le cœur de la difficulté internationale que nous allons examiner plus en détail ce matin.
Mayotte est devenue une collectivité départementale en 2001, puis a accédé au statut de département français avec la loi organique du 7 décembre 2010. L'appartenance de Mayotte à la République française est contestée par l'Union des Comores depuis sa proclamation unilatérale d'indépendance, au motif que le vote du 22 décembre 1974 aurait dû être apprécié globalement et non île par île. Je n'entrerai pas ici dans le débat juridique que vous allez éclaircir. Je me contenterai de noter que, sur la base de cette contestation comorienne, une vingtaine de résolutions de l'Organisation des Nations Unies (ONU) ont été adoptées jusqu'en 1994. Même si le sujet suscite moins d'intérêt depuis lors, « la question de l'île comorienne de Mayotte », pour reprendre la terminologie des autorités comoriennes et celle de votre livre M. M'Saïdié, reste régulièrement soulevée devant l'Assemblée générale de l'ONU.
Devant les Nations Unies, ainsi que ses partenaires, l'État français expose régulièrement des arguments dont nous apprécierons aujourd'hui la solidité, concernant la légitimité en droit de l'appartenance de Mayotte à la République. Les Mahorais ont confirmé cette appartenance lors des consultations des 8 février et 11 avril 1976, du 22 juillet 2000 et du 29 mars 2009. Malgré ce différend majeur, la France entretient des relations avec l'Union des Comores, autant par nécessité que par le partage d'un passé commun avec Anjouan, les îles de Mohéli et de la Grande Comore. Dans l'un de vos articles, M. M'Saïdié, vous résumez cette situation par une formule que je trouve extrêmement éclairante : « À l'ubiquité constitutionnelle relative à Mayotte s'ajoute une ambiguïté relationnelle entre la France et les Comores. » Au cours de cette table ronde, nous espérons, avec votre concours, pouvoir éclairer les termes d'un débat international autour de la question de Mayotte. Cela correspond à une attente de notre part, notamment dans la perspective des débats parlementaires.