Chaque patron a ses convictions. La mienne est que, dans notre monde, rien n'est tout blanc ou tout noir. On ne peut pas dire que les distributeurs sont parfaits et que les industriels sont les méchants. Chacun doit prendre sa part de responsabilité. Je suis fils d'agriculteurs : je connais le sujet. J'ai vu la pénibilité, l'absence de vacances, les fins de mois difficiles. Bien évidemment, j'ai une part de responsabilité dans ces problèmes.
Lors de la crise agricole, le seul distributeur qui a accepté d'aller sur le plateau de France 2 avec Bruno Le Maire, c'est moi. J'y suis allé parce que j'ai considéré que je n'avais pas à rougir de nos actions. Nous sommes imparfaits dans certains domaines et je suis ouvert à ce qu'on me le dise pour que nous puissions nous corriger. Mais je sais aussi qu'il y a des choses que nous faisons très bien, localement, avec nos agriculteurs.
Cela étant dit, nous sommes face à une occasion qu'il ne faut pas manquer : si le problème n'est pas réglé dans les trois mois, on en reparlera au prochain Salon de l'agriculture, ce sera à nouveau l'émeute et cela finira mal car des vies sont en jeu. C'est insupportable, intolérable : il faut apporter des solutions.
J'ai l'intime conviction que la bonne méthode consiste à être transparent sur qui gagne quoi. Pour l'agriculteur, dans certaines filières, c'est zéro, voire négatif. Chez un distributeur qui va très bien, c'est 2 à 3 %, sachant que certains distributeurs vont au tas. Notre démarche de croissance externe confirme que la distribution n'est pas un secteur si prospère. Vous n'avez qu'à regarder le prix de l'action de certains concurrents cotés.
Côté industriels, il n'y a pas à rougir des performances des PME : il s'agit, comme nous, de chefs d'entreprise engagés dans les territoires et ils ont le droit de gagner de l'argent. En revanche, je demande un peu de transparence sur les résultats des grandes multinationales qui concentrent 60 % du secteur alimentaire et 80 % de l'approvisionnement agricole. Selon l'Insee, la marge brute du secteur agroalimentaire est montée à 48 %, contre 24 % précédemment ; certes, c'est le rôle des lobbies de vous expliquer que les chiffres sont faux et l'étude mauvaise, mais vous avez autorité pour faire refaire une étude ou pour approfondir afin de savoir où va la valeur créée et, ainsi, mieux la répartir. La transparence est la première règle à imposer, notamment entre le premier maillon, l'agriculteur, et l'industriel, qui offre 80 % des débouchés agricoles.
Si on considère que les eurocentrales détruisent de la valeur et écrasent les agriculteurs, il faut prendre ses responsabilités. Nous avons proposé une charte de bonne conduite, comme nous l'avions fait pour les PME, de sorte que les industries vraiment impliquées dans le monde agricole sortent des eurocentrales. Vous avez quatre ou cinq personnes à convoquer pour leur dire qu'ils ont une responsabilité dans la chaîne alimentaire. Je les connais et je les côtoie, puisque nous avons rejoint la Fédération du commerce et de la distribution (FDC) ; ce sont des gens raisonnables, qui en ont marre d'être accusés de tous les maux de la terre, notamment du mal-être agricole. Vous pourrez obtenir que quelques dossiers ne soient pas traités au niveau des eurocentrales et reviennent en France.