La situation est en effet préoccupante. Notre filière mer est déficitaire de plusieurs millions d'euros depuis quelques années et nous n'en voyons pas la fin. Nous avons un plan – l'objectif d'une entreprise n'est pas de perdre de l'argent – car nous y croyons fortement, et parce qu'Intermarché a une image de producteur grâce à ses bateaux. Nous soutenons donc notre flotte mais elle nous coûte, économiquement et financièrement. C'est d'ailleurs toute la filière qui est déficitaire, comme j'ai pu le constater en passant au pavillon France Mer pendant le salon de l'agriculture. Tous les acteurs partagent ce constat, qui n'est pas sur le devant de la scène politique, comme vous l'avez relevé, et c'est dommage parce qu'il y a certainement une aide à apporter.
Plusieurs phénomènes expliquent les difficultés de la filière. Le premier, que nous assumons totalement, est que nous avons été parmi les premiers à décider de nous orienter vers une pêche plus responsable. Il y a sept ou huit ans, nous avions été attaqués par une association, Bloom. Nous avions alors réagi positivement en construisant avec cette association des techniques de pêche plus respectueuses de l'environnement, afin de préserver les fonds marins et la ressource. Dans un tel schéma, vous produisez moins, vous pêchez moins et votre outil industriel dispose de moins de ressources pour assumer la dépense que cela représente.
Deux autres phénomènes ont encore accru les difficultés de la filière : le Brexit et surtout la crise énergétique. La filière pêche consomme beaucoup de carburant, non seulement pour partir en pêche mais également pour assurer la chaîne du froid, depuis le bateau qui se trouve en Irlande jusqu'à l'étal du point de vente à Brest ou en Corrèze. En conséquence, le prix du poisson a considérablement augmenté et devient inaccessible.
Notre stratégie commerciale, en maîtrisant toute la filière, vise à proposer du filet de poisson à moins de 10 euros. À ce prix-là, il trouve preneur car il n'y a pas de déconsommation voulue des Français : c'est juste qu'ils n'ont pas les moyens de payer davantage. Mais nous ne parvenons pas à l'équilibre économique, ni dans le rayon ni au niveau de l'outil industriel. Nous enregistrons des dizaines de millions de pertes au niveau du groupe pour cette filière, ce qui entraîne malheureusement des fermetures de rayons – plus d'une centaine – parce qu'ils ne sont pas rentables. Quand vous payez un poissonnier et que les ventes font moins 7 % ou moins 8 % parce que le poisson est devenu inaccessible, vous finissez par fermer le rayon.
Face à cette situation, nous ne sommes pas fatalistes : nous avons un plan de relance. L'objectif n'est évidemment pas d'envoyer les bateaux au rebut ni de continuer à fermer nos rayons poissonnerie, mais de miser sur notre différence : les Mousquetaires sont ancrés dans les territoires bretons et à Boulogne-sur-Mer. Nous avons un plan d'optimisation : notre métier d'industriel ou de distributeur consiste à serrer nos charges sur la logistique, sur les téléventes, etc. Mais cela ne réglera pas le problème du surcoût structurel de la filière du fait de la facture énergétique et des conséquences du Brexit.
Nous pouvons effectivement être inquiets pour le devenir de la filière pêche mais, pour notre part, nous avons décidé de ne pas jeter l'éponge et de tout faire pour rester le premier pêcheur et, espérons-le, le premier vendeur.