Le groupement des Mousquetaires, qui rassemble 3 100 chefs d'entreprise indépendants, est fortement ancré dans les territoires, comme l'atteste la présence d'un de nos magasins tous les douze kilomètres. Nous partageons la volonté d'être acteur de la souveraineté alimentaire au moyen d'un modèle singulier, puisque nous sommes à la fois distributeurs et producteurs de produits agroalimentaires. Les chefs d'entreprise sont propriétaires de leurs points de vente, qui constituent des PME indépendantes impliquées dans les territoires et unies par des outils communs, tant en ce qui concerne la chaîne logistique que les centrales d'achat ou les usines. Nous participons tous au copilotage de l'entreprise. Pour ce qui me concerne, je suis à la tête de trois points de vente en région parisienne et préside le groupement des Mousquetaires.
Nous sommes le troisième acteur de la distribution alimentaire en France, avec près de 17 % de parts de marché. On compte, dans notre pays, 1 887 magasins Intermarché et 326 magasins Netto. Notre groupe emploie 150 000 salariés et constitue un modèle unique de producteurs commerçants. Nous détenons cinquante-six usines agroalimentaires, toutes localisées sur le territoire français. Nous sommes en relation directe avec le monde agricole : on estime à 30 000 le nombre de producteurs français travaillant avec le groupement. Par ailleurs, nous sommes l'un des premiers armateurs de pêche français puisque nous employons quinze chalutiers.
Nous sommes un partenaire important de la ferme France. Avant Egalim déjà, nous avions lancé la contractualisation dans quelques filières agricoles. Nous présentons la spécificité d'avoir intégré les filières, conformément à la vision de notre fondateur, Jean-Pierre Le Roch, qui considérait il y a cinquante ans qu'il fallait maîtriser les différents maillons de la chaîne alimentaire. Cela demeure la volonté des 3 200 entreprises que je représente. Nous allons fêter les cinquante ans d'Agromousquetaires, né en 1974 de la reprise de la société Guidel, dans le Morbihan. Depuis, nous avons développé de manière empirique nos savoir-faire et étendu notre activité en investissant dans des sites industriels en difficulté et dans des entreprises familiales n'ayant pas de solution pour assurer la transmission de l'activité, mais aussi en prenant des participations dans des PME que nous avons accompagnées dans leur croissance.
Cette méthode, que nous appliquons depuis cinquante ans, a conduit à un certain nombre d'actions emblématiques. Nous avons créé en 1986 une usine d'embouteillage d'eau minérale à Aix-les-Bains, à la demande de la municipalité. Nous avons procédé en 1990 au sauvetage de la laiterie Saint-Père, qui avait été fondée en 1905 en Loire-Atlantique et qui collecte 250 millions de litres de lait par an et fait travailler 400 éleveurs dans un rayon de 100 kilomètres. Nous sommes entrés au capital de Monique Ranou, entreprise née en 1905, installée à Quimper, qui est la première en France à avoir développé la charcuterie libre-service et emploie actuellement plus de 600 salariés. Nous avons acheté notre premier bateau, le Commandant Gué, en 1993, que nous avons rebaptisé le Kerguelen de Trémarec, avant de faire l'acquisition de plusieurs autres navires. En 2022, nous avons racheté St Mamet, une entreprise de transformation de fruits qui est partenaire de plus d'une centaine d'arboriculteurs dans le Sud-Est de la France.
Nous avons constitué, au fils des ans, l'un des premiers acteurs agroalimentaires français, les classements nous situant tantôt à la quatrième, tantôt à la troisième place. Le pôle industriel emploie 12 000 salariés, exploite cinquante-six usines et réalise un chiffre d'affaires de 4,7 milliards d'euros.
Les représentants de Carrefour indiquaient ce matin que leur groupe réalisait des achats directs d'un montant de 1 milliard d'euros en tant que distributeur. Nous nous situons à peu près au même niveau mais, en plus, nous consacrons 1,7 milliard d'euros à l'achat de matières premières destinées à notre production industrielle. Le total de nos achats s'élève donc à près de 2,7 milliards d'euros, ce qui fait de nous le plus gros acheteur – ou l'un des plus gros acheteurs – de produits agricoles en France.
Nous investissons des centaines de millions d'euros dans nos usines pour maintenir notre niveau de productivité et, ainsi, proposer les meilleurs prix et la qualité la plus élevée. Nous sommes le premier fabricant de marques propres en France, qui concernent des secteurs aussi divers que les produits laitiers, les glaces, la charcuterie, les steaks hachés, les produits de la mer, les sauces, les viennoiseries ou les eaux minérales, pour ne citer que ceux-ci.
Nous entretenons depuis l'origine un lien étroit avec le monde agricole dans le cadre de notre pôle industriel. Nous avons su répondre présent à l'occasion de différentes crises : en 1978, lorsqu'il a fallu écouler des surproductions ; lors de la crise du covid ; à la suite du gel, en 2021, qui a frappé les productions d'abricots, de pêches et de nectarines ; ou encore en 2022, lors de l'épisode de sécheresse qui nous a conduits à augmenter le prix de vente du lait : nous avons alors fait le choix d'arrêter la fourniture de premier prix pour soutenir nos éleveurs partenaires.
Notre engagement auprès des agriculteurs se matérialise aussi par le programme Producteurs d'ici, qui permet à chaque indépendant de travailler en direct avec des producteurs. Cette activité s'est fortement développée pendant le covid, période au cours de laquelle les agriculteurs peinaient à écouler leur production auprès de la restauration collective et traditionnelle. Dans ce cadre, 7 500 agriculteurs travaillent en relation directe avec nos chefs d'entreprise, qui ont toute liberté de contracter avec eux.
Nous avons développé, depuis 2018, le contrat « Les Éleveurs vous disent merci », qui vise à mieux rémunérer les producteurs. C'est, en quelque sorte, la déclinaison de « C'est qui le patron ? » aux marques de distributeur. L'idée est née en 2015, lors de la crise qui frappait la filière laitière. Cette marque a trouvé son public et a été étendue, au cours des dernières années, à une trentaine de produits, parmi lesquels les œufs, la volaille, le miel, le jambon, le steak haché, etc. Grâce à ce programme, 4 millions d'euros ont été reversés en 2022 à plus de 900 producteurs engagés dans la démarche.
À l'échelle du groupement, nous sommes probablement l'un des acteurs qui s'approvisionnent le plus en produits agricoles français, tant au niveau de l'enseigne et des points de vente que dans le cadre de notre sourçage pour Agromousquetaires. La totalité des marques de distributeur (MDD) d'Intermarché et de Netto est produite en France, 75 % de nos fruits et légumes – hors produits exotiques – sont d'origine française, à l'instar de 95 % de la volaille – et 100 % pour les MDD. Localement, chaque magasin Intermarché et Netto a huit à dix partenaires parmi les producteurs locaux. Quelque 15 000 éleveurs travaillent avec Agromousquetaires. Notre approvisionnement se fait autant que possible auprès de producteurs français. En amont, 100 % des laits de pâturage viennent de France, à l'instar de 99 % du bœuf et du porc, et de 71 % de l'agneau.
Pour sécuriser les revenus du monde agricole, nous avons fait le choix de la contractualisation dans plusieurs filières. Celle-ci s'élève à 90 % pour le lait, à 60 % pour le porc, à 41 % pour le jeune bovin et à 20 % pour le blé. À titre d'exemple, dans la filière porcine, nous avons élaboré un contrat en partenariat avec les éleveurs qui, depuis 2016, sécurise la trésorerie des 200 producteurs engagés en cas de chute des cours. Le taux d'adhésion élevé atteste le succès de ce dispositif.
Nous avons créé l'association Agrimousquetaires afin de soutenir le monde agricole par une collecte de fonds dans deux domaines : d'une part la transition agricole et environnementale, de l'autre l'installation de nouveaux éleveurs.
Nous allons approfondir nos relations économiques avec nos partenaires agricoles en essayant de tendre vers la contractualisation totale.
Animés par la conviction que la grande distribution a une responsabilité dans la chaîne alimentaire et le revenu du monde agricole, nous soutenons pleinement la démarche Origine-Info engagée par Olivia Grégoire. En 2020, nous avons créé le Franco-Score, qui était, dans une certaine mesure, un dispositif précurseur d'Origine-Info puisqu'il indiquait, sur les produits que nous fabriquions en France, le taux de matières premières agricoles issu de l'agriculture française.
Nous sommes intimement convaincus que la préservation de la souveraineté alimentaire est compatible avec la défense du pouvoir d'achat. Nous n'opposons pas les deux, comme nous l'avons prouvé en 2023 : alors que nous connaissions une inflation de l'ordre de 20 %, nous avons proposé des prix abordables tout en sécurisant le revenu des agriculteurs qui travaillaient avec Agromousquetaires.
En notre qualité d'acteur central dans les territoires, nous souhaitons, face à la crise persistante, coconstruire des solutions pour trouver le juste équilibre. Nous avons fortement soutenu les lois Egalim 1 et 2, animés par la volonté d'accroître le revenu du monde agricole. Dans certaines filières, ces textes ont vraiment porté leurs fruits ; dans d'autres, il reste des progrès à accomplir. Nous voyons, dans la perspective d'une loi Egalim 4, une occasion d'aller encore plus loin.
Plusieurs moyens pourraient, selon nous, être employés pour préserver le revenu des agriculteurs. D'abord, il faut aller encore plus loin dans la contractualisation dans certaines filières. Ensuite, il convient de faire preuve d'une plus grande directivité dans les relations entre agriculteurs et transformateurs en fixant une date butoir préalable aux négociations entre distributeurs et industriels. Par ailleurs, nous sommes partisans de supprimer l'option 3 dans le cadre de la sanctuarisation des matières premières agricoles (MPA), afin d'assurer une transparence totale. En outre, il faut travailler à la construction du prix en marche avant. Nous sommes également favorables à la poursuite du relèvement du seuil de revente à perte de 10 % (SRP+10). Si nous prônons le maintien de l'encadrement des promotions sur les produits alimentaires, nous appelons à sa suppression pour la DPH (droguerie, parfumerie, hygiène), la déconsommation actuelle ne favorisant nullement le revenu du monde agricole.
Enfin, nous pensons qu'il faut promouvoir le dispositif Origine-Info auprès de l'ensemble des industriels. Pour que les lois Egalim soient les plus favorables possible aux agriculteurs, nous considérons qu'il faut les élargir à l'ensemble des débouchés du monde agricole, parmi lesquels la RHF (restauration hors foyer). La grande distribution ne représente en effet que 50 % des débouchés agricoles.