Merci de me permettre de venir expliquer ce que nous avons fait au début du quinquennat d'Emmanuel Macron en 2017 pour faire évoluer la souveraineté alimentaire de notre pays.
En préambule, il convient de définir ce qu'est cette souveraineté. Selon moi, c'est d'abord anticiper, prévoir et planifier, et donc entreprendre, innover, faire des choix et préparer une feuille de route.
La souveraineté doit être atteinte en menant des politiques publiques pour fournir l'alimentation nécessaire aux Français : c'est la mission nourricière d'un pays, mais aussi de l'Europe, et cela nous engage. Cette alimentation pour tous doit, de surcroît, être sûre, saine et durable. Cela implique la mise en œuvre d'une politique publique agricole visant une quadruple performance – économique, sociale, environnementale et sanitaire.
Cela implique aussi de créer de la valeur, parce que c'est ce qui va nous permettre d'effectuer les transitions, qu'elles soient nationales ou internationales. Et ces transitions accompagnent un certain nombre d'objectifs.
J'ai été nommé ministre du premier gouvernement d'Emmanuel Macron en juin 2017. Pendant la campagne présidentielle, nous avions défini une feuille de route et une ambition pour l'agriculture.
Les premiers mois du quinquennat ont donné lieu à un grand travail de diagnostic dans le cadre des États généraux de l'alimentation afin d'identifier avec l'ensemble des parties prenantes des pistes pour transformer notre agriculture. En se basant sur les conclusions des ateliers, le Gouvernement a présenté, le 21 décembre 2017, une feuille de route pour une politique nationale de l'alimentation 2018-2022, qui a constitué le guide de notre action.
Cette feuille de route était articulée en trois axes stratégiques : assurer la souveraineté alimentaire de la France ; promouvoir des choix alimentaires favorables pour la santé et respectueux de l'environnement ; réduire les inégalités d'accès à une alimentation de qualité et durable. Elle a été enrichie au fil du temps par des outils de transformation complémentaires.
Parmi les principaux instruments dont nous disposions pour dynamiser et accompagner les transformations de l'agriculture et de notre modèle rural tout au long du quinquennat figure la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, communément appelée Egalim 1, qui a été définitivement adoptée le 2 octobre 2018.
Nous nous sommes aussi appuyés sur les plans de filière. Il s'agit d'engagements volontaires des acteurs économiques dans le cadre des interprofessions, qui réunissent le maillon de la production et au moins l'un des différents maillons de la transformation et de la distribution. Les plans de filière concernaient aussi la restauration hors du foyer, en prenant en compte l'avis des associations citoyennes et de consommateurs. J'ai signé trente-cinq de ces plans, car avons considéré qu'ils étaient absolument essentiels pour la transformation agricole. L'État ne peut pas et ne doit pas tout faire à la place des acteurs, ni faire contre eux. Trop souvent, le premier réflexe est d'attendre beaucoup trop de la puissance publique : prix garantis, ouverture de débouchés à l'exportation, protection du marché intérieur ou subventions. Or l'État est le garant du respect d'engagements internationaux et européens et du droit national. Nous devons accompagner les filières à s'engager elles-mêmes dans les transformations qui vont permettre d'atteindre la souveraineté alimentaire.
L'État a bien évidemment des outils pour agir mais les acteurs doivent aussi se mobiliser. Tel est le sens des plans de filières. Cela vaut pour la relation entre les maillons d'une même filière et l'accompagnement des transitions, mais aussi pour les relations avec l'aval de la filière, qui est parfois beaucoup plus concentré.
La mise en œuvre des engagements pris dans le cadre de ces trente-cinq plans de filières a fait l'objet d'un suivi très étroit, qu'il s'agisse de l'organisation, de la gouvernance, de la segmentation du marché intérieur, du positionnement à l'exportation, du bien-être animal ou de la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Les relations au sein des interprofessions ne sont en effet pas toujours très simples.
Outre ces plans de filières et la loi Egalim, nous disposions d'autres outils financiers.
Le grand plan d'investissement de 5 milliards sur la période 2018-2022 a ainsi permis de soutenir la modernisation des exploitations, la transformation des pratiques, la compétitivité de l'aval, l'innovation et la structuration des filières.
L'instrument financier le plus emblématique était un fonds de garantie de 800 millions, dont la gestion a été confiée au Fonds européen d'investissement (FEI). Il a permis d'enclencher un certain nombre de transformations de notre modèle agricole, aussi bien sur le plan national que sur le plan international et européen. Nous avions d'ailleurs désigné un ambassadeur national pour présenter ce plan dans les territoires et pour faire émerger un certain nombre de projets. Nous avions en quelque sorte mis de l'argent frais sur la table pour pouvoir atteindre les objectifs fixés par ce grand plan d'investissement.
Nous avions aussi un grand plan Ambition bio qui prenait la suite d'un programme précédent et devait permettre d'accélérer la conversion à l'agriculture biologique afin d'atteindre 15 % de la surface agricole française en bio à l'horizon 2022. La loi Egalim a réservé un certain nombre de débouchés aux productions en agriculture biologique, notamment dans la restauration collective puisque nous avions fixé un objectif de 50 % de produits sous signe de qualité, dont 20 % issus de l'agriculture biologique.
Le plan d'actions sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides a constitué une autre brique de notre démarche. Nous avions aussi une stratégie sur le bien-être animal.
La réforme fiscale que nous avions conduite avec Bruno Le Maire était quant à elle absolument indispensable car, pour permettre au secteur agricole d'innover et d'investir, il fallait une fiscalité adaptée à cette activité ainsi qu'aux aléas économiques, sanitaires et climatiques auxquels elle est trop souvent confrontée.
Ces mesures avaient été inscrites dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019 et permettaient à la fois d'améliorer la résilience des exploitations agricoles et de constituer une épargne de précaution grâce à un mécanisme de déduction fiscale. Cette loi a également facilité le passage à l'impôt sur les sociétés (IS) pour les exploitants agricoles, amélioré grandement l'équité de la fiscalité des jeunes agriculteurs et favorisé la transmission des exploitations, en triplant le seuil d'exonération de certaines transmissions à titre gratuit.
Bien d'autres actions ont été mises en œuvre à la suite des états généraux de l'alimentation, dont un projet de task force européenne pour soutenir des projets avec un certain nombre de nos partenaires au sein de l'Union européenne et faire valoir les atouts de l'agriculture européenne.
Le travail de conception et de mise en place d'outils méritait d'être approfondi pour deux des volets qui figuraient dans notre feuille de route : le foncier agricole, dont on a encore beaucoup discuté des dernières semaines, et la mobilisation de tous les acteurs de la formation et de l'innovation pour améliorer l'attractivité des métiers dans tous les secteurs qui relèvent du ministère. Il s'agissait de mettre en valeur les belles opportunités professionnelles des secteurs de l'agroalimentaire et de l'agriculture. Et pour faire en sorte que tous les acteurs de l'agriculture soient mobilisés pour accompagner la transformation agricole, nous avions prévu de territorialiser les actions en nous appuyant sur les services de l'État – les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), les directions départementales des territoires (DDT), les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) et les directions départementales de la protection des populations (DDPP). Ceux-ci sont de grande qualité, bien structurés et totalement opérationnels pour mettre en œuvre les politiques publiques.
Nous nous sommes heurtés à un certain nombre de difficultés.
Il a fallu travailler d'arrache-pied pour remettre à niveau le calendrier des paiements de la Politique agricole commune (PAC), car ils avaient pris beaucoup de retard. Lors de notre arrivée aux responsabilités en 2017, des paiements au titre des années 2014 et 2015 n'avaient toujours pas été effectués. Or nous avions bien évidemment besoin de ces moyens pour permettre à nos agriculteurs d'innover et de créer la valeur nécessaire pour transformer notre agriculture.
Nous avons aussi travaillé sur les différences d'exigences qui pèsent sur les productions nationales et les productions étrangères. Le titre II de la loi Egalim avait à l'époque été abondamment critiqué par les syndicats agricoles car ils considéraient que les mesures qui y figuraient pouvaient être source d'alourdissement des charges, d'ajout de contraintes et de perte de compétitivité. Or je considère que nous devions, dans une même logique, construire les prix en marche avant tout en permettant aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail, grâce à la mise en œuvre des indicateurs de coûts de production – ce qui empêchait désormais de vendre à perte. Tel était l'objet de la loi Egalim 1. Je ne reviens pas sur la loi Egalim 2, puisqu'elle a été adoptée alors que je n'étais plus ministre, mais elle a permis de compléter Egalim 1 en sanctuarisant la matière première agricole.
Nous avons aussi été très attentifs aux négociations d'accords commerciaux internationaux qui étaient en cours, et qui le sont encore. Notre position a toujours été très ferme : nous ne voulions pas pénaliser notre agriculture en signant des accords qui ne correspondaient pas à nos exigences sanitaires, réglementaires et de production.
Voilà donc toutes les actions que nous avons menées pour avoir une agriculture française plus résiliente et de meilleure qualité, même si celle-ci est reconnue comme étant de la plus grande qualité au niveau européen, voire au-delà.
Notre réflexion s'est inscrite dans un cadre qui n'était pas seulement franco-français. Nous souhaitions nous ouvrir à l'extérieur, car notre ambition est d'avoir une agriculture qui permet de nourrir nos concitoyens dans les meilleures conditions et de faire vivre ses agriculteurs, mais aussi une agriculture innovante, sans opposer les différents modèles qui existent. Il faut laisser la liberté de choix à celles et ceux qui veulent investir dans une exploitation.
Il existe un modèle de ferme française auquel nous sommes très attachés. Nous ne souhaitons pas que demain l'agriculture française ressemble à celle que l'on trouve aux Pays-Bas ou en Allemagne. Pour autant, nous considérons que notre agriculture a un avenir, parce que la France a toujours été une grande nation agricole et qu'elle demeure la première en Europe. La PAC renvoie ainsi chaque année 10 milliards d'euros d'investissements dans nos territoires.
Tous les objectifs que nous avons définis et les outils que nous avons mis en place ont simplement pour objet de concourir à la souveraineté alimentaire, en faisant vivre notre agriculture et en la rendant toujours plus compétitive afin de ne pas dépendre totalement de pays étrangers et de garantir à nos concitoyens la sécurité sanitaire et alimentaire.