En 2013, j'ai publié un livre qui m'a permis de travailler avec la ministre Laurence Rossignol dans le cadre de l'élaboration de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant. J'ai commencé à donner des conférences destinées au grand public et aux travailleurs sociaux, en France et à l'international, notamment en Roumanie et au Japon. J'ai alors réalisé que la création d'une association me permettrait de mieux concrétiser mes idées pour améliorer la prise en charge des enfants en protection de l'enfance. En 2021, grâce à la Fondation des hôpitaux, nous avons mis en place des équipes Pactes dans sept hôpitaux : cinq à l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), un à Brest et un à Grenoble. Ces équipes mobiles, spécialisées en protection de l'enfance, avaient pour mission de renforcer la prévention au sein des services hospitaliers, d'améliorer le repérage des situations préoccupantes, de faciliter la prise en charge et de mettre en place des consultations de guidance parentale. Ces équipes Pactes ont ensuite été pérennisées en Unités d'accueil pour les enfants en danger (UAPED), bien que les moyens alloués nécessiteraient d'être revalorisés.
À la suite de cette transformation, je me suis interrogée sur les actions à mener en aval, car les enfants pris en charge perdent en moyenne vingt ans d'espérance de vie s'ils ne bénéficient pas d'une intervention précoce. L'association Im'pactes se concentre sur deux volets principaux. Le premier volet concerne la scolarité et la culture. Il vise à améliorer les perspectives éducatives des enfants pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Les chiffres sont alarmants : seulement 15 % de ces enfants réussissent le brevet des collèges, 5 % le baccalauréat général et 1 % accède à l'enseignement supérieur. La prise en charge s'arrêtant à 18 ans, voire 21 ans au mieux, il est difficile pour ces jeunes de se projeter dans des études longues.
Vous connaissez les chiffres, comme Éric Ghozlan l'a mentionné plus tôt : près de 45 % des jeunes sans-abri âgés de 18 à 25 ans proviennent de l'ASE. Avec l'association Im'pactes, nous avons développé un volet « scolarité et culture ». Nous prenons en charge les enfants de 3 à 25 ans en leur offrant du soutien scolaire, des activités d'expression artistique, de la bibliothérapie, des sorties culturelles et des séjours linguistiques. Pour les jeunes adultes, nous organisons des séminaires de préparation à l'autonomie : comment faire une demande de logement, gérer un budget, se nourrir avec peu de moyens ? Nous leur fournissons un kit de sortie comprenant un ordinateur, un téléphone portable, une carte sim, et nous les aidons à obtenir leur permis de conduire. Nous mettons en place des bourses d'études, comme celles dont j'ai bénéficié. Si j'ai pu mener des études de médecine parallèlement à des études de sciences pour obtenir un MD-PhD (doctorate of medicine and of philosophy), c'est grâce à la Fondation Bettencourt Schueller. Sans cette aide, j'aurais dû travailler le soir à Carrefour et je n'aurais pas pu suivre ce double cursus qui m'a permis d'obtenir des diplômes en sciences et en médecine. Je m'efforce de rendre ce que j'ai reçu. Nous accompagnons ces jeunes jusqu'à 25 ans avec ces bourses. Grâce à Galileo Global Education, nous offrons des scolarités gratuites dans les écoles du groupe Galileo. Nous avons mis en place un ensemble de mesures pour accompagner ces enfants vers un avenir professionnel choisi jusqu'à 25 ans, incluant un volet santé.
Le deuxième volet concerne la santé. Aujourd'hui, nous savons que moins de 30 % des enfants bénéficient d'un bilan de santé somatique et psychique à leur admission dans le dispositif de protection de l'enfance, bien que cela soit obligatoire depuis la loi du 14 mars 2016, renforcée par celle du 7 février 2022. Parmi ces 30 %, seulement 10 % bénéficient d'un suivi effectif de leur santé. Ce n'est pas par manque de volonté, mais parce qu'il n'existe pas de structures adaptées. Le délai d'attente dans un centre médico-psychologique (CMP) est de dix-huit à vingt-quatre mois, alors que la durée moyenne d'un placement est de dix-huit mois. Lorsqu'un enfant est placé pour la première fois, une demande est formulée auprès du CMP. Cependant, lorsque cette demande est acceptée, l'enfant a souvent déjà changé de lieu de placement. Il n'existe actuellement aucune infrastructure capable de prendre en charge ces enfants très précocement.
De plus, il est essentiel de souligner que ces enfants nécessitent un soutien psychologique intensif. À ce jour, les consultations de psychologues, de psychomotriciens et d'ergothérapeutes ne sont pas remboursées par la sécurité sociale. Ces enfants subissent un double traumatisme : les violences et négligences qu'ils ont endurées, d'une part, et le déracinement lié au placement, d'autre part. Même si le placement est bénéfique, voire salvateur, il constitue aussi un traumatisme. Il est donc impératif de disposer d'experts capables de gérer ce double traumatisme.
Inspiré par des modèles étrangers tels que le Centre for youth wellness de San Francisco, fondé par Nadine Burke Harris, ou les centres d'appui à l'enfance canadiens présents dans chaque province, ainsi que le centre Ankerland à Hambourg, j'ai entrepris de créer le premier centre d'appui à l'enfance en France, spécifiquement pour la région Île-de-France. L'objectif est de disposer d'un centre d'appui par région, à l'instar des UAPED et des équipes pédiatriques régionales d'expertise et de diagnostic (Epred). Ce centre aurait pour mission non seulement de prendre en charge ces enfants, mais aussi d'assurer des formations sur la gestion des doubles traumatismes. Ces formations s'adresseraient aux professionnels libéraux, aux médecins hospitaliers et aux travailleurs sociaux. Il s'agit aussi de créer des centres d'appui départementaux afin de garantir une couverture territoriale adéquate.
En tant que membre du CNPE et co-animatrice de la commission « Santé », j'estime que des forfaits annuels par enfant, compris entre 1 500 et 2 000 euros, sont nécessaires. Le coût total de cette mesure s'élèverait à 550 millions d'euros pour couvrir les besoins des 370 000 enfants de l'ASE. Bien que cette somme puisse sembler conséquente, elle est à mettre en perspective avec le coût de l'inaction, évalué à 38 milliards de dollars, incluant des impacts sur la santé, la justice, l'insertion socioprofessionnelle et des conséquences humaines non négligeables. L'investissement en faveur ces forfaits représenterait donc 550 millions d'euros par an. En tant que médecin, je souligne que nous dépensons 5 milliards d'euros par an en bons de transport, dont une partie, et je parle en connaissance de cause, n'est pas totalement justifiée. Sans vouloir déshabiller Pierre pour habiller Paul, je pense qu'il serait possible de trouver ces 550 millions d'euros pour prendre en charge correctement ces enfants. Ces forfaits s'inspirent d'expériences menées aux États-Unis, au Canada, en Allemagne, ainsi que d'expérimentations en cours, notamment l'expérimentation « Santé protégée » et le programme d'expérimentation d'un protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance (Pegase). Ils permettraient d'assurer des parcours coordonnés et gradués, sur une durée suffisamment longue pour que l'enfant retrouve une courbe de développement normal. Ils garantiraient également la coordination des soins.
Nous pourrions envisager un maillage avec les centres d'appui régionaux et une collaboration avec les coordinateurs de soins du centre, qui assureraient la coordination avec les professionnels libéraux, les hôpitaux et les référents ASE. Il serait également pertinent de développer le rôle des infirmières en pratique avancée au sein des centres d'appui à l'enfance et de l'ASE, afin qu'elles puissent assurer la coordination des soins.
C'est dans cette optique que nous avons conçu le premier centre d'appui à l'enfance, qui verra le jour fin 2025 en Île-de-France. J'espère que nous pourrons ensuite établir des centres d'appui régionaux, y compris dans les territoires ultramarins, ainsi que des centres départementaux.