Au-delà du renforcement de l'État, l'apport du secteur privé et des citoyens doit également être pris en compte. En effet, dans le contexte d'un engagement hybride, il est fort probable que l'ennemi s'attaquera aux moyens de régénération de la force, y compris la BITD et sa chaîne de sous-traitance. Il apparaît donc crucial de poursuivre et d'accélérer la mise en place de la démarche « économie de guerre. »
Nous proposons d'ailleurs de l'étendre au concept de « base industrielle de combat », comme l'a préconisé le SGDSN, qui inclurait l'ensemble des composantes nécessaires au maintien d'un effort de guerre dans la durée. Il convient également d'étudier la complémentarité offerte par les entreprises de service de sécurité de défense pour libérer du temps militaire.
Il me semble important de nous emparer de ces enjeux dans le débat public, afin de définir collectivement la frontière entre privatisation et régalien, le degré d'irréversibilité que nous sommes prêts à accepter, en prenant notamment en compte son impact à long terme sur les compétences, et le degré de confiance que l'État peut accorder aux sociétés privées, ainsi que les outils pour qualifier ces entreprises « d'entreprises de confiance ». J'estime que nous devons cesser toute naïveté sur le sujet, à l'heure où les entreprises du secteur font face à une concurrence étrangère, notamment anglo-saxonne, très dynamique. À titre d'exemple, une société canadienne a été choisie pour assurer l'animation de l'exercice Orion.
Le deuxième point concerne la nécessité de sensibiliser et responsabiliser les citoyens pour les rendre acteurs de la défense nationale. Il ressort des auditions que nous avons menées qu'en cas de conflit, l'ennemi cherchera en entamer la confiance de la nation dans la capacité des décideurs à gérer la crise et à désolidariser les populations des pouvoirs politiques. Aussi, tandis que les politiques de défense sont historiquement centrées sur l'action de l'État, nous sommes convaincus qu'il convient maintenant de travailler à l'information, l'éducation et à la mobilisation des citoyens, sans oublier la formation des acteurs de la gestion de crise, au premier rang desquels figurent les élus locaux, qui seront en première ligne en cas de crise majeure.
Tout d'abord, nous estimons que la transparence vis-à-vis des citoyens est clé pour renforcer la résilience de la nation, en nous appuyant sur les travaux des chercheurs qui pointent le risque d'une relative déconnexion entre les perceptions des armées et celles des citoyens, voire d'une forme de dissonance cognitive, dans un contexte où notre statut de puissance dotée peut donner l'illusion d'un faux sentiment d'immunité. Nous estimons qu'il convient de partager avec les citoyens les principaux scénarios d'adversité anticipés par les armées. Ces scénarios, qui pourraient notamment être présentés lors de la journée nationale de résilience, devraient comprendre une description claire de la menace anticipée et du rôle attendu des différents acteurs de la société dans l'hypothèse où la crise surviendrait.
Ensuite, nous souhaitons renforcer la contribution de la journée nationale de résilience et du service national universel (SNU) au développement de la résilience de la nation. Face à la très grande hétérogénéité des séjours de cohésion, nous recommandons de recentrer le SNU sur l'apprentissage de la résilience à travers des modules dédiés. Nous recommandons également de mieux valoriser les initiatives locales prises dans le cadre de la journée nationale des réservistes (JNR), en décernant un prix qui pourrait être attribué par le préfet afin de diffuser les bonnes pratiques. Enfin, nous sommes attachés à renforcer la contribution des employeurs à la formation aux gestes qui sauvent sur le lieu de travail.
Ensuite, à rebours des affirmations visant à instiller le doute quant à la capacité d'engagement des Français, je suis au contraire convaincu qu'en chaque Français sommeille un réserviste. Pour accompagner ce désir d'engagement, nous soulignons la nécessité de publier au plus vite le plan Réserve 2035 et de prendre les décrets d'application relatifs aux dispositions de la LPM 2024-2030, qui visaient à faciliter la montée en puissance des réservistes.
Il convient à tout prix de sortir de la logique purement quantitative du doublement de la réserve, pour aller vers une définition précise des finalités opérationnelles recherchées, ainsi qu'une refonte de la doctrine d'emploi. Cela nécessite de se donner les moyens humains et matériels de nos ambitions. Actuellement, il n'existe pas de budget dédié pour les réserves et le financement d'un plan d'équipement et de formation n'est pas bien identifié. L'effort doit maintenant porter sur le financement de l'activité, l'équipement des réserves, sans que celui-ci ne soit réalisé au détriment de l'active. Par ailleurs, nous appelons de nos vœux la création d'une plateforme s'apparentant à un guichet unique de l'engagement, qui permettrait d'orienter les citoyens manifestant leur volonté de s'engager. En dernier lieu, face à la multiplication des stratégies de désinformation, nous estimons que la sensibilisation des populations et le développement de l'esprit critique devraient constituer des axes prioritaires de la prochaine stratégie nationale de lutte contre les manipulations de l'information, en cours d'élaboration.
Enfin, nous proposons dans notre rapport un certain nombre d'améliorations pour la prochaine édition d'Orion, en 2026. Toutefois, si l'exercice constituera un jalon important, je tiens à rappeler qu'Orion 2026 demeure avant tout un entraînement militaire à visée opérationnelle, dont la portée ne doit pas être surestimée. Nous recommandons notamment de renforcer le réalisme de l'exercice en définissant des espaces d'entraînement plus adaptés et en accordant plus d'importance à l'entraînement des services de soutien. En particulier, nous proposons que le scénario de l'exercice soit réalisé par la « Red team défense ».
Nous proposons de renforcer la prise en compte des enjeux M2MC notamment à travers la mise en place d'une force adverse de nouvelle génération, mieux équipée et aguerrie, pour mettre davantage en tension les forces alliées. Nous suggérons également de reproduire la phase interministérielle, qui devra constituer un jalon essentiel pour les travaux de la CIDN.
Nous estimons par ailleurs que les missions de la CIDN pourraient être étendues au passage en revue des normes civiles afin d'identifier celles qu'il pourrait être envisagé de rendre dérogatoires pour les armées.Il s'agirait ainsi de réaffirmer la spécificité de la défense nationale.
Nous proposons d'associer davantage d'acteurs à l'exercice. D'une part, il convient de rassembler la gendarmerie nationale, les forces de sécurité intérieure et les sapeurs-pompiers afin de s'entraîner à la mise en œuvre concrète de la DOT, voire réfléchir à inclure les collectivités territoriales ainsi que certains opérateurs d'importance vitale.
D'autre part, Orion 2026 doit constituer l'opportunité de tester des innovations avant leur mise en service dans les forces et de réaliser un stress test pour la mise en œuvre de la démarche d'économie de guerre.