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Intervention de Michaël Taverne

Réunion du mercredi 5 juin 2024 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichaël Taverne, rapporteur de la mission d'information :

À ce stade, il m'apparaît important de m'attarder un peu plus sur le retour d'expérience militaire d'Orion, puisque l'exercice a justement été pensé comme un révélateur du niveau de préparation des armées face à un engagement majeur. En synthèse, Orion a confirmé sans grande surprise les avantages et les désavantages associés au modèle d'armée complet français.

D'une part, le choix d'un modèle d'armée complet permet une grande polyvalence de nos forces, puisqu'il nous a permis de conserver des capacités, dans de nombreux domaines différents, avec certains pôles d'excellence. Nous avons pu constater à cet égard que nos alliés, notamment américains, tenaient l'armée française en haute estime et mettaient en avant son expérience opérationnelle, qui en fait une armée rompue au combat.

D'autre part, si nous avons conservé des capacités dans de très nombreux domaines, celles-ci demeurent dans l'ensemble à un niveau échantillonnaire et ne permettent pas de tenir dans la durée. Certains observateurs, comme le journaliste Jean-Dominique Merchet, la qualifient à ce titre « d'armée bonsaï » dans un récent ouvrage. Ce constat rejoint celui réalisé par nos collègues Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès dans leur rapport sur la haute intensité, mais également celui des chercheurs de la Rand Corporation aux États-Unis, que nous avons eu la chance de rencontrer et qui, en 2021, faisaient le constat d'un allié puissant mais manquant d'épaisseur, selon l'expression consacrée : « a strong ally strechted thin ». Ils identifient la France comme manquant de munitions, de pièces de rechange, de soutiens et de matériel en quantité suffisante. Si un certain nombre de points du retour d'expérience d'Orion avaient été identifiés dans la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, force est de constater que cette dernière, si elle va dans le bon sens, ne changera pas drastiquement la situation.

En conséquence, je souhaite insister sur plusieurs axes du retour d'expérience d'Orion qui, selon moi, doivent constituer autant d'axes d'efforts, afin de donner les moyens à nos armées de faire face aux crises de demain. Ace titre, cinq principaux points d'attention doivent être soulignés : la confirmation de certaines insuffisances capacitaires, notamment pour produire des effets dans la profondeur ; le manque d'épaisseur stratégique et la mise en tension des services de soutien interarmées ; les enseignements tirés pour la structuration du commandement et du contrôle ; le défi de la connectivité et de l'interopérabilité des systèmes d'information opérationnels et de commandement ; ainsi que le niveau de réalisme de l'exercice.

Concernant les insuffisances capacitaires, je tiens en particulier à mettre en lumière la problématique des capacités de défense sol-air, alors que le retour d'expérience ukrainien nous enseigne que les zones arrières apparaissent de plus en plus exposées. Dans un contexte marqué par une transparence renforcée du champ de bataille, la défense sol-air (DSA) constitue un point d'amélioration majeur, notamment pour les capacités de frappe dans la profondeur. À ce titre, l'armée de terre ne dispose à ce jour que d'un nombre très réduit de lance-roquettes unitaires (LRU) : neufs LRU en parc en 2023, selon le tableau capacitaire de la LPM, soit un nombre bien en deçà des besoins du contrat opérationnel.

De plus, ce matériel vieillissant a fait l'objet de nombreuses cessions à l'Ukraine. Il est donc urgent de lui trouver un successeur. Pour le remplacer, la LPM prévoit l'acquisition d'au moins treize systèmes d'ici 2030. Il est essentiel d'acquérir rapidement un système souverain permettant de frapper jusqu'à 250 kilomètres, voire 500 kilomètres. Je salue à ce titre les récentes annonces, dans le cadre d'un partenariat d'innovation lancé par la direction générale de l'armement (DGA). Compte tenu de l'urgence du sujet, il convient d'accélérer et d'en faire une priorité.

S'agissant ensuite du manque d'épaisseur stratégique et de la mise en tension des services de soutien interarmées, j'aimerais insister sur la question du soutien sanitaire. Le retour d'expérience du service de santé des armées (SSA) nous indique clairement que le soutien santé apparaît sous-dimensionné en cas d'hypothèse d'engagement majeur, tant du point de vue des moyens dont dispose le SSA pour traiter un nombre suffisant de blessés que des difficultés RH que connaît le service.

Le SSA a déployé un dispositif de santé d'une capacité d'accueil de douze blessés en urgence absolue par jour, alors qu'en haute intensité, il faudrait s'attendre à des niveaux de perte nettement plus élevés. Le retour d'expérience du service du commissariat des armées (SCA) a également mis en lumière le caractère déterminant des soutiens en cas de déploiement en haute intensité. Le SCA a été très fortement mobilisé : le poids logistique de la séquence 2 a été équivalent à celui supporté par le SCA pour la mission Aigle en Roumanie. Certaines spécialités techniques, comme les électromécaniciens, les frigoristes les gestionnaires d'approvisionnement sont apparues en nombre insuffisant. Par ailleurs, nous avons été alertés sur le fait que dans le domaine terrestre, la profondeur logistique, à travers notamment la question du dimensionnement et de la modernisation de la flotte de camions tactiques, constitue également un point d'attention important.

S'agissant des enseignements tirés pour la structuration du commandement, il ressort de l'exercice que le niveau opératif est le plus pertinent pour orchestrer la synchronisation des effets militaires en M2MC. C'est pourquoi le développement le commandement et contrôle (C2) opératif, mais surtout son entraînement, constituent un axe de progression important. Or pendant l'exercice Orion, et notamment sa deuxième phase, le C2 opératif a été mobilisé sur d'autres tâches, comme l'animation et la consolidation du scénario, au détriment de son propre entraînement.

Les personnes auditionnées ont également souligné la nécessité de renforcer l'acculturation des forces aux enjeux du combat M2MC, notamment en développant la présence d'officiers de liaison au sein de chaque composante pour renforcer la compréhension des enjeux. En lien direct avec le constat précédent, le véritable enjeu dans le domaine du C2 réside également dans le perfectionnement des communications. Or, Orion nous apprend que la connectivité et l'interopérabilité des systèmes d'information opérationnels et de commandement demeurent un véritable défi, en raison de la limitation des flux de données et de la performance des systèmes d'information eux-mêmes. Lors de son audition devant la commission, le général Métayer estimé qu'il faudrait, en multinational et en haute intensité, vingt fois plus de flux que nous n'en disposons aujourd'hui. Au-delà des améliorations que nous recommandons dans le rapport, nous estimons que les armées doivent continuer à apprendre à opérer en mode dégradé en s'entraînant notamment à jouer la perte d'un système afin d'obliger les participants à s'adapter.

Enfin, le niveau de réalisme de l'exercice s'est avéré satisfaisant dans l'ensemble. Il a varié selon les niveaux entraînés et les phases. En particulier, toutes les phases ne se sont pas réellement déroulées en situation de haute intensité, notamment dans le milieu terrestre, où la force adverse est demeurée asymétrique. Le niveau de réalisme n'était pas non plus suffisant en matière logistique et le déploiement de la manœuvre des soutiens n'a été que partiellement réalisé.

Par ailleurs, je tiens à signaler que des séquences spécifiques ont été organisées. Il convient notamment de saluer la séquence Orionis dédiée au maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique, qui a permis d'associer les industriels du secteur dans une approche partenariale vertueuse et de développer une approche par les risques conduisant les industriels à identifier des solutions innovantes offrant aux autorités d'emploi davantage de souplesse et une plus grande liberté dans l'utilisation des matériels.

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