Nous sommes très heureux de vous présenter les conclusions de notre mission d'information. Comme vous l'avez rappelé dans votre introduction, Monsieur le président, nous avons l'honneur de clôturer le cycle des missions d'information portant sur la défense globale. Je pense que nous pouvons affirmer que nous avons travaillé sur la thématique disposant de l'angle le plus large ; ce qui a nécessité de réaliser des choix dans le traitement de notre sujet.
Dans un premier temps, nous nous sommes principalement concentrés sur le retour d'expérience de l'exercice Orion 2023 dans sa dimension à la fois militaire et civile. Nous avons ensuite choisi de mener une réflexion plus large sur la manière de préparer nos armées, comme la société dans son ensemble, aux crises de demain. Dans le temps qui nous a été imparti pour mener cette mission d'information, nous avons pu conduire quarante-sept auditions, dont près de trente à Paris.
Nous nous sommes également déplacés auprès des forces, d'abord à la base navale de Toulon, puis au centre d'entraînement aux actions en zone urbaine (Cenzub) à Sissonne, à l'école des drones et au 61e régiment d'artillerie de Chaumont, ainsi qu'au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes situé sur la base 942 de Lyon-Mont Verdun. Nous avons également eu la chance de nous rendre aux États-Unis, à Washington, ce qui nous a permis de réaliser un parangonnage intéressant avec le modèle de garde nationale américaine, d'étudier la manière dont les Américains perçoivent l'armée française et se préparent eux-mêmes à la haute intensité – notamment à travers des grands exercices – mais surtout de constater que les préoccupations relatives à la résilience et au lien armée-nation étaient bien partagées chez nos alliés.
En préambule, je voudrais revenir sur les enjeux de la mission d'information. En réalité, cette mission d'information pose la question de notre degré de préparation et de l'adéquation de notre modèle d'armée aux défis à venir. En somme, elle pourrait être résumée à la question suivante : sommes-nous prêts à faire face aux crises de demain ? Cette question est ardue et demande une réflexion approfondie.
Pour y répondre, j'ai souhaité reprendre les termes de la stratégie nationale de résilience élaborée par le SGDSN, qui constitue, selon moi, une forme d'état final à rechercher, pour reprendre le vocable militaire. L'enjeu consiste à tenir dans la durée, collectivement et en profondeur, face à une crise.
Je souhaite ensuite prendre un moment pour revenir sur les différents aspects de l'exercice. Tout d'abord, s'agissant de la durée et de la profondeur, force est de constater que l'exercice Orion, s'il met en lumière la très grande qualité de nos forces armées et leur très bon degré de préparation, confirme également leur manque d'épaisseur stratégique, déjà identifié par de nombreux travaux.
Ensuite, sur le plan collectif, le retour d'expérience de la séquence civilo-militaire d'Orion a mis en lumière une coordination interministérielle perfectible pour pouvoir soutenir un effort de guerre dans la durée. Toutefois, comme nous nous évertuons à le démontrer dans notre rapport, Orion a créé une véritable dynamique en la matière, qu'il convient maintenant d'étendre au-delà des administrations de l'État, aux entreprises et aux citoyens.
Enfin, l'exercice Orion, qui signifie « Opération de grande envergure pour des armées résilientes interopérables, orientées vers le combat de haute intensité et novatrices », visait à préparer les armées à l'hypothèse d'engagement majeur dans un environnement interarmées et multinational, en y incluant des combats dans tous les milieux et champs de conflictualité, et à mieux appréhender les stratégies hybrides. En effet, la guerre ne se déroule plus uniquement dans les trois milieux traditionnels – terre, air, mer – mais bien dans sept champs et milieux : aux trois précédemment cités, il convient de rajouter le cyber, l'espace, l'informationnel et l'électromagnétique. Nous avons dès lors choisi de conserver cette orientation dans nos travaux, en y ajoutant une dimension plus prospective, afin de tenter d'appréhender les contours des crises de demain.
Si Orion a été planifié dès 2021 L'intervention russe en Ukraine de février 2022 a démontré toute sa pertinence. Tandis qu'il est fort peu probable que la France se retrouve dans la même situation que l'Ukraine en raison de sa situation géographique, de son statut de puissance et de son appartenance à l'Otan, il demeure néanmoins essentiel d'entraîner nos forces conventionnelles à faire face à l'hypothèse d'un engagement majeur. Orion avait ainsi également une dimension de signalement stratégique à destination de nos alliés et de nos compétiteurs.
Le durcissement de nos forces conventionnelles est essentiel à double titre : d'une part, pour contribuer au renforcement de la crédibilité de notre dissuasion dans une logique d'épaulement ; d'autre part, parce que les forces conventionnelles doivent être en mesure de faire face à toutes les menaces conduites volontairement en dessous du seuil de la guerre, qui ne pourraient pas justifier le recours à la dissuasion, mais qui viseraient à restreindre notre liberté d'action.
Cette dimension est d'autant plus importante que notre déplacement à Washington nous a permis de toucher du doigt l'urgence de développer une autonomie stratégique européenne, alors que les intérêts et les incertitudes entourant les résultats de la prochaine élection présidentielle américaine font craindre une potentielle remise en cause de l'article 5 du traité de l'Otan.
Aussi peut-on effectivement considérer, comme nous y invite le titre de la mission, qu'il existera un avant et un après Orion en raison des enseignements tirés de l'exercice pour notre modèle de défense et de la mise en place d'une nouvelle génération d'exercices militaires majeurs qui auront lieu tous les trois ans. Orion marque le retour des grands exercices en terrain libre, sur le terrain national, et vise à démontrer la crédibilité de nos forces ainsi que leur capacité à assurer le rôle de nation-cadre en coalition face à un engagement majeur, c'est-à-dire à pouvoir commander un dispositif allié.