De mon côté, j'aimerais commencer en remerciant chaleureusement l'ensemble des personnes auditionnées, mon co-rapporteur, ainsi que l'administratrice qui nous a accompagnés ainsi que ses deux stagiaires. Aujourd'hui, la plupart des dispositifs d'éducation et de culture dans la défense répondent à l'objectif de développer « l'esprit de défense ». Je choisis pour ma part volontairement de m'éloigner de ce terme et préfère parler de « compréhension collective des enjeux de défense ».
Dans un monde idéal, l'éducation et la culture dans la défense devraient servir à quatre objectifs. Premièrement, il s'agit de renforcer la connaissance des citoyens sur leur armée et leur système de défense, en donnant de la transparence, en formant des citoyens éclairés et critiques, capables de réagir et de connaître leur rôle en temps de crise.
Deuxièmement, il importe de démocratiser les enjeux de défense. Aujourd'hui, la défense est le domaine réservé du Président de la République. Lorsque le peuple s'empare de ces questions, il est réprimé ou taxé d'antimilitariste, à l'image de ces jeunes mobilisés à Sciences Po Paris ces dernières semaines contre le génocide à Gaza. La population se mobilise et s'empare de ces enjeux et ne demande qu'à être entendue et prise en compte.
Le troisième objectif concerne la souveraineté. Il faut que le peuple soit souverain sur les questions de défense. La défense de la Nation ne peut passer uniquement par l'armée, aussi compétente soit-elle ; le peuple doit pouvoir se défendre par lui-même pour ses intérêts collectifs propres. Enfin, le quatrième objectif consiste à permettre une montée en compétence des armées, afin d'éviter une fuite des aptitudes et des savoir-faire vers le privé et investir dans la formation qualifiante, permettre à celles et ceux qui le veulent de s'engager pour le compte d'une Nation souveraine et indépendante.
Les politiques mises en place aujourd'hui répondent-elles à ces objectifs ? Certains organismes représentent des modèles de réussite et d'efficacité, comme nous l'avons vu pour la MCIC ou la montée en puissance des podcasts en lien avec le ministère des armées, notamment depuis ces dernières années. Mais aujourd'hui, d'autres dispositifs doivent être améliorés. La plupart des musées de l'armée sont gratuits jusqu'à 25 ans, mais les bénéficiaires de cette gratuité viennent d'Île-de-France, où les musées sont plus nombreux. Partout ailleurs, et notamment dans les déserts militaires, il faut revaloriser la culture et la mémoire territoriale ; doter chaque musée d'un médiateur à temps plein ; valoriser le travail des archivistes et encourager la participation aux cérémonies.
Les écoles ont besoin de financements supplémentaires pour organiser des sorties scolaires directement sur les terrains de mémoire. Il faut œuvrer à la culture du dernier kilomètre, c'est-à-dire au travail de mémoire au plus près du citoyen. Aujourd'hui, les classes de défense font partie de cette culture du dernier kilomètre, lorsqu'elles permettent de développer un projet d'intérêt local. Les escadrilles jeunesse à Nancy en représentent un formidable exemple.
Concernant l'enseignement de défense, il est actuellement majoritairement développé à l'école dans les cours d'histoire-géographie et en éducation morale et civique. Ces programmes ont d'ailleurs été renouvelés et les heures doublées. Je ne vois malheureusement rien de novateur dans ces programmes d'EMC. L'enseignement de défense est actuellement trop prescriptif et descendant, alors que les élèves ont besoin de dialoguer et de développer un esprit critique. Quant aux professeurs, ils ont besoin d'être davantage consultés dans la préparation du programme scolaire sur ces sujets.
De manière générale, il faut donner davantage de moyens à l'éducation nationale pour assurer la formation des professeurs, la présence d'un professeur devant chaque classe, l'accompagnement personnalisé et de bonnes conditions d'études. À ces conditions, l'enseignement de défense éclairée y gagnera. Pour former une génération de citoyens éclairés et critiques qui détient les clés d'une meilleure compréhension du monde, je préconise la mise en place d'un cours de géopolitique obligatoire en seconde pour tous. En effet, actuellement, ce cours est disponible seulement pour les élèves de première.
Enfin, je ne peux pas terminer ce propos sans évoquer la place du service national universel (SNU). Aujourd'hui, le SNU souffre de problèmes de transport, de restauration, d'hébergement, et nous avons appris lors des auditions que des sanctions collectives ont toujours lieu dans certains centres. Le SNU ne peut pas être généralisé, personne n'y croit. Je pense foncièrement qu'il doit être supprimé. Les résultats de la consultation citoyenne que nous avons menée avec mon co-rapporteur vont dans ce sens : 95 % des citoyens qui ne sont ni professeurs, ni étudiants, soit plus de 26 000 personnes, souhaitent supprimer le SNU. Dans les autres catégories, 75 % des personnes interrogées demandent sa suppression.
Le SNU est un caprice du gouvernement. Situé à mi-chemin entre une colonie de vacances et un camp scout, il n'enseigne pas la défense. Ce n'est pas la maigre journée de défense et de mémoire (JDM) qui permet aux citoyens d'intégrer des enjeux de défense. Aujourd'hui, le SNU constitue une perte d'argent considérable. Demain, s'il est généralisé, il sera une perte de temps pour l'ensemble d'une classe d'âge, une perte financière pour l'État et pour l'éducation nationale et une perte d'énergie pour nos armées. Le gouvernement veut se servir de l'armée pour inciter la jeunesse à la cohésion et l'engagement. Mais la jeunesse s'engage déjà très bien toute seule. Aujourd'hui, elle est en demande de souveraineté, d'utilité et de réponses face aux crises.
Alors que les jeunes se mobilisent en nombre pour le climat et que nos armées ont un rôle à jouer dans la bifurcation écologique et dans la protection des populations et des territoires, nous pourrions imaginer créer une garde nationale climatique qui concrétiserait cet engagement. C'est en partie l'objet de mon projet de conscription citoyenne, effectuée entre 18 et 25 ans par l'ensemble d'une classe d'âge, avec formation au maintien des armes, en respectant bien sûr l'objection de conscience, mais aussi une formation dans d'autres secteurs de la société, parmi les pompiers ou dans la gendarmerie nationale et la protection civile.
Cette conscription rémunérée au Smic constituerait le socle d'une garde nationale renouvelée, mobilisable en cas de crise sanitaire ou écologique. Elle aurait pour objectif de permettre à la jeunesse de retrouver de la souveraineté sur sa défense, c'est-à-dire un peuple qui puisse se défendre et trouver son utilité en cas de crise, mettant fin à une défense qui se trouve aujourd'hui être le domaine réservé du Président de la République.
Vous l'aurez compris, les propositions sont nombreuses. La culture et l'éducation doivent servir à vulgariser des enjeux parfois trop opaques. Il faut démocratiser, rendre de la souveraineté et encourager l'engagement de la jeunesse sur ces questions. Lors de l'une de nos auditions, un jeune syndicaliste étudiant nous disait que les citoyens n'iront pas défendre un pays dans lequel ils n'ont pas le pouvoir de prendre des décisions. De fait, la défense du pays ne passe pas seulement par le respect de l'autorité et de l'uniforme, ou la levée des couleurs. Elle passe davantage par la connaissance de ses droits, par la question sociale, par l'égalité, par la solidarité. Il est grand temps de prendre cela en compte.