Intervention de Franck Riester

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger :

Monsieur le président, merci de me donner la possibilité d'échanger avec votre commission.

Vous avez présenté des chiffres tout à fait justes. Même s'il existe toujours de petites différences entre les données des douanes et celles de la Banque de France, le déficit de la balance courante se situe effectivement entre 20 et 30 milliards d'euros en 2023 : une centaine de milliards de déficit pour les biens, un excédent de 37 milliards pour les services et un excédent de 23 milliards pour les revenus. La tendance de 2023 est en amélioration nette pour les biens, de 64 milliards, notamment grâce à la bonne dynamique de nos exportations et à la baisse du coût des importations d'hydrocarbures. Cette tendance positive s'accélère en 2024 : au premier trimestre, le déficit pour les biens est de 17,6 milliards, contre 29 milliards en 2023, et l'excédent pour les services de 10 milliards, contre 7 milliards l'an passé. Hors revenus, le déficit est donc de 7,5 milliards au premier trimestre contre presque 22 milliards en 2023, c'est-à-dire trois fois plus. Pour que cette amélioration continue, notre stratégie repose sur trois piliers.

Le premier, évidemment, est la réindustrialisation. On ne peut pas imaginer exporter si on ne produit pas. La réindustrialisation et plus largement la production, qui inclut l'agriculture, sont au cœur de notre stratégie d'amélioration de la balance commerciale. Nous devons poursuivre la politique de renforcement de notre compétitivité, qui a un impact sur notre attractivité. Elle a un effet sur les investissements étrangers, certes, mais aussi sur le dynamisme de ceux des entreprises françaises dans notre propre pays. Vous connaissez les résultats. Les créations nettes d'usines et d'emplois industriels sont en augmentation. Pour la cinquième année consécutive, la France est le pays européen, Grande-Bretagne incluse, qui non seulement accueille le plus grand nombre de projets d'investissements étrangers sur son sol mais aussi qui a la meilleure image auprès des investisseurs étrangers. Nous avons eu, en 2023, six fois plus d'investissements industriels étrangers que l'Allemagne, trois fois plus que la Grande-Bretagne et dix fois plus que l'Italie. Le nombre de projets industriels d'investisseurs étrangers s'est élevé, en gros, à 530, contre 90 en Allemagne.

Notre stratégie d'amélioration de la compétitivité et de réindustrialisation paie donc et avoir fait le pari de l'avenir avec France 2030, en investissant dans des secteurs très importants pour les exportations de demain, accélérera encore notre déploiement à l'international. Pour améliorer notre compétitivité, il faut aussi jouer au niveau européen : l'attractivité et la compétitivité de la France passent par celles de l'Europe. Nous souhaitons qu'il y ait davantage d'investissements publics en soutien de ceux des entreprises et aussi davantage d'investissements privés. Pour cela, il faut, au niveau européen, aller vers une plus grande union des marchés de capitaux et soutenir encore davantage la recherche et le développement, pour que les innovations d'aujourd'hui conduisent aux productions et aux exportations de demain.

Le deuxième pilier, lui aussi très important, est celui de l'accompagnement des entreprises dans leur déploiement à l'international. Vous avez évoqué nos 146 000 entreprises exportatrices : c'est beaucoup plus qu'il y a sept ans ; nous étions alors à un peu plus de 120 000. Chacun comprend que, mécaniquement, plus les entreprises qui exportent sont nombreuses, plus nous exportons de produits. Les Italiens en ont environ 200 000, les Allemands 300 000. Nous devons atteindre l'objectif de 200 000 entreprises françaises exportatrices à l'horizon 2030 et nous souhaitons que celles qui le font déjà accélèrent leur déploiement à l'international, notamment les grosses PME et les entreprises de taille intermédiaire, car là est souvent la différence avec l'Allemagne et l'Italie.

Dans ce but, nous avons mis en place depuis 2018 ce qu'on appelle la Team France Export, qui regroupe, dans les territoires, sous la houlette des régions, les différents partenaires travaillant aux côtés des entreprises : l'opérateur Business France, BPIFrance, les chambres de commerce et d'industrie, les conseillers du commerce extérieur de la France, les chambres de métiers, les chambres d'agriculture et un certain nombre d'acteurs privés qui accompagnent les entreprises et sont regroupés notamment au sein de la fédération des sociétés privées dédiées au développement – l'OSCI ou Opérateur spécialisé du commerce international. La Team France Export est au service des entreprises pour définir leur stratégie, les financer et les accompagner dans leurs projets de déploiement à l'international.

Dans les pays cibles en matière d'exportations, nous avons des équipes France, placées sous la houlette des postes et des ambassadeurs, qui fonctionnent avec les services économiques de la direction générale du Trésor et, là où elles existent, les chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger ou les équipes de Business France et de BPIFrance. Ces équipes ont pour vocation de faciliter la stratégie des entreprises internationales, de trouver des partenaires et des acheteurs, d'assurer une présence dans des salons, d'aider à mieux comprendre l'organisation administrative et juridique des pays et de donner à nos entreprises les meilleures informations sur les priorités de ces derniers en matière économique, afin qu'elles répondent au mieux à leurs besoins.

À cela s'ajoute le plan Osez l'export ! lancé par mon prédécesseur Olivier Becht, que je pourrai exposer plus largement si vous le souhaitez.

Notre troisième pilier est la politique commerciale, qui n'est pas seulement française, comme vous l'avez souligné, monsieur le président, mais aussi européenne. La France joue un rôle clef, étant l'un des principaux pays de l'Union européenne, pour faire en sorte que cette politique facilite l'ouverture de marchés à l'export pour nos entreprises, lutte mieux contre les pratiques déloyales et exige davantage de réciprocité de la part de nos partenaires, dans le cadre d'une approche moins naïve. Le changement de paradigme a commencé en 2017, à l'arrivée d'Emmanuel Macron qui avait exposé dans son discours de la Sorbonne la nécessité de bâtir une autonomie stratégique qui passe par une politique commerciale moins naïve et qui prenne acte de l'évolution du paysage mondial. L'ordre mondial du commerce n'existe quasiment plus. L'OMC est pour le moins affaiblie et certains acteurs, y compris occidentaux, s'affranchissent de plus en plus des règles du commerce mondial. Nous avons la conviction qu'il faut continuer à défendre l'ordre mondial du commerce et à le promouvoir, notamment en aidant à la réforme et à la redynamisation de l'OMC – je pourrai vous en dire plus si vous le souhaitez.

La MC13, treizième réunion ministérielle de l'OMC, s'est tenue il y a quelques semaines. Hormis quelques petites exceptions, les résultats ont malheureusement été très décevants. Nous prenons acte que l'OMC ne joue plus le même rôle que dans le passé et qu'il faut donc que l'Europe se dote d'outils et d'une stratégie autonomes pour protéger ses entreprises contre les pratiques déloyales ou l'absence de réciprocité. C'est pour cette raison qu'ont été adoptés depuis plusieurs années, notamment pendant la présidence française de l'Union européenne, un certain nombre d'outils à cette fin.

Nous nous sommes par exemple dotés d'un outil de réciprocité en matière d'ouverture des marchés publics. Nous sommes, en effet, dans une situation folle qui voit l'Europe ouvrir ses marchés publics – européens, nationaux, régionaux, départementaux, locaux – aux entreprises du monde entier alors que nos partenaires n'ouvrent pas la totalité de leurs marchés publics, voire aucun, à nos entreprises. Nous avons, en gros, accès à 50 % des marchés publics dans le monde hors Union européenne, 30 % au Japon et aux États-Unis et quasiment zéro en Chine.

Cet instrument nous permet, secteur par secteur, de montrer à nos partenaires, en bilatéral, que s'ils n'ouvrent pas leurs marchés publics aux entreprises européennes ou le font de façon biaisée, nous pourrons bloquer leurs produits ou les pénaliser dans la réponse à nos marchés publics.

Un premier exemple concerne les dispositifs médicaux chinois. Les produits européens ne pouvant répondre aux marchés publics dans ce secteur en Chine, la Commission a ouvert une enquête à la suite de laquelle elle proposera au Conseil de prendre des décisions pouvant aller du blocage des produits chinois dans les marchés publics européens à leur pénalisation en Europe.

Autre exemple : l'outil visant à prendre en compte des subventions abusives dans le marché intérieur européen. Nous avions déjà un instrument permettant de lutter contre les subventions abusives dans les pays tiers, comme pour les véhicules électriques chinois. Là, il peut s'agir de subventions à des entreprises du marché intérieur qui répondent à des appels d'offres européens. Ce nouvel outil permet de mieux lutter contre les pratiques distorsives en matière de subventions.

Nous voulons aussi que notre politique commerciale prenne mieux en compte les grands biens de l'humanité qui relèvent du développement durable. L'idée est que la politique commerciale peut être un moyen de mettre en avant d'autres préoccupations – lutte contre la déforestation ou le réchauffement climatique, droits humains, droits sociaux –, par exemple grâce aux mesures miroirs, par lesquelles on exige une réciprocité des normes de production ayant un effet sur ces différents domaines.

Certaines de ces mesures miroirs sont déjà en vigueur, comme celle sur l'autorisation des hormones comme facteur de croissance, qui empêche le bœuf aux hormones, qu'il soit canadien, néo-zélandais, chilien ou américain, d'entrer sur le marché européen. D'autres mesures, votées, vont entrer en application dans les semaines et les mois à venir : la mesure sur les antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance – déjà appliquée en France grâce à un décret que Julien Denormandie avait pris par anticipation – mais aussi celle sur la déforestation importée, qui concerne l'importation de produits comme le cacao, le café, le soja ou l'huile de palme.

On peut enfin parler – même s'il y a débat sur la question de savoir s'il s'agit vraiment d'une mesure miroir – du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui permet de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre importées.

Un mot sur l'ouverture des marchés. Nous devons d'abord nous assurer que, sur ceux qui sont déjà ouverts, notamment par des accords commerciaux, les engagements de nos partenaires sont respectés. Le président de la République a souhaité la création d'un poste de procureur commercial européen, qui veille à la bonne application des accords. C'est le Français Denis Redonnet qui l'occupe actuellement. Un service spécifique, créé à cet effet au sein de la direction générale (DG) Trade de la Commission européenne, œuvre au quotidien avec les entreprises dans ce domaine.

Nous souhaitons aussi continuer de bâtir des partenariats avec des pays avec lesquels nous avons des liens particuliers. Il peut s'agir d'accords commerciaux mais aussi d'accords de partenariat ou d'accords spécifiques sur un sujet donné, comme les métaux critiques.

Un accord commercial est un outil qui permet de faciliter les échanges, en limitant les droits de douane, les barrières non tarifaires et les quotas, à condition de respecter certains critères négociés entre les partenaires. C'est une façon d'encadrer les échanges ; ils auraient lieu autrement mais ils sont ainsi facilités. Il est donc important de s'assurer que les conditions offertes par les accords sont vraiment meilleures. Il existe de bons accords, bien négociés, et d'autres qui le sont moins bien. Voilà pourquoi la France ne soutient pas l'accord avec la zone du Mercosur mais défend avec beaucoup de force le CETA.

Celui-ci a été négocié avec un partenaire démocratique, grand ami de la France et francophone, qui partage tous nos combats au niveau mondial pour le développement durable : contre le réchauffement climatique, pour la biodiversité, la forêt, les océans, les droits sociaux, les droits humains, l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous entretenons avec lui d'étroites relations et un dialogue permanent, y compris au niveau commercial, et il est très à l'écoute des demandes de l'Union européenne, notamment celles de mes prédécesseurs concernant des préoccupations spécifiquement françaises.

De plus, la mise en œuvre provisoire de l'accord a montré combien il était utile à notre économie, dans tous les secteurs : nous exportons davantage dans le domaine des textiles, de la chimie, des cosmétiques, entre autres, mais aussi de l'agriculture – produits laitiers, vins et spiritueux, fromages. Dans l'accord a été protégé quelque chose à quoi nous sommes très attachés : les indications géographiques, c'est-à-dire le lien entre une production et un terroir, lieu d'un savoir-faire. Cela représentait un effort considérable pour les Canadiens, qui appartiennent plutôt à une tradition anglo-saxonne de protection des marques. Ainsi, l'excédent commercial de notre secteur agricole a triplé depuis la mise en œuvre provisoire du CETA.

Nous avons suivi de très près les filières sensibles, dont le bœuf. Nous avons constaté que les exportations de bœuf canadien vers l'Union européenne, spécialement vers la France, n'avaient pas augmenté. Nous sommes même excédentaires en la matière. Cela s'explique par le fait qu'il y a une mesure miroir qui empêche le bœuf aux hormones d'entrer sur le marché européen ; or le bœuf canadien est dans la plupart des cas élevé aux hormones. Certains ont joué sur les mots en arguant qu'il n'y avait pas de clause miroir dans l'accord, ce qui est exact, mais en oubliant l'existence d'une mesure miroir plus forte, inscrite dans la législation européenne et qui s'applique à tous les pays tiers, dont le Canada.

Quant aux importations depuis le Canada, elles sont aussi en augmentation. Exportations et importations sont à peu près à l'équilibre mais ce sont, si je puis dire, de bonnes importations : matières premières, à commencer par l'uranium – nous préférons l'acheter au Canada qu'à d'autres pays – et les hydrocarbures ; produits manufacturés ; matériel de transport – l'Europe importe ainsi des Airbus A220, fruits de l'acquisition par Airbus de Bombardier, qui bénéficient de savoir-faire européens et résultent ainsi de chaînes de valeur très entrecroisées entre le Canada et l'Union européenne. Nous appelons de nos vœux le développement de telles chaînes de valeur, gage de la qualité des produits, au service des exportations de chacun des deux partenaires.

En ce qui concerne la procédure, le projet de loi de ratification a été voté en 2019, après un long débat. Certains prédisaient alors une catastrophe : nous allions être envahis par le bœuf canadien, ce serait très mauvais pour nos entreprises… Nous avons donc voulu prendre le temps de voir ce que donnait réellement la mise en œuvre provisoire – et nous ne sommes pas les seuls : dix pays ne sont pas allés au bout du processus de ratification. Cela permet de constater très concrètement si l'accord est bon ou mauvais.

Manifestement, le CETA est un bon accord. Nous n'avons pas voulu le soumettre tout de suite au Sénat, pour nous laisser du temps, mais les communistes ont inscrit le sujet à l'ordre du jour de la Chambre haute. Nous avons dit ce que nous en pensions. Il y a eu un vote négatif, que je regrette.

Il nous semblait donc utile de répondre encore à certaines questions des parlementaires, notamment au sujet des mesures miroirs. C'est pourquoi le premier ministre a confié au sénateur Daniel Fargeot et au député Benoit Mournet une mission parlementaire destinée à auditer la mise en œuvre actuelle de ces mesures et à réfléchir à celles qu'il faudrait instaurer à l'avenir au niveau européen, qui pourraient figurer sur la feuille de route de la nouvelle Commission. Cette mission devra rendre ses conclusions d'ici à la fin de l'année. Nous attendons aussi, dans le même délai, un audit mené par la Commission européenne.

Bien évidemment, le Gouvernement saisira de nouveau l'Assemblée nationale pour aller jusqu'au bout de la ratification car c'est la procédure normale.

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