Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Mes chers collègues, nous nous réunissons en présence de fonctionnaires du Parlement de Moldavie, que je salue. La Moldavie, vous le savez, est candidate à l'adhésion à l'Union européenne (UE) et les négociations ont d'ailleurs commencé. C'est un pays qui nous est cher et sur les pas duquel nous veillons avec beaucoup de bienveillance, de sympathie et de solidarité. Nous sommes donc très heureux de vous accueillir, mesdames et messieurs, dans cette commission des affaires étrangères d'un pays qui vous veut du bien.

Notre ordre du jour appelle l'audition de M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger. Vous avez déjà fréquenté notre commission, cher Franck, entre 2020 à 2022, lorsque vous occupiez pour la première fois ces fonctions ; elles ont été élargies depuis, ce qui est une marque de progrès et aussi une garantie d'expérience et de compétence.

Notre commission porte une attention toute particulière aux enjeux commerciaux internationaux, dont nous avons le sentiment qu'ils sont devenus centraux pour la position de la France, son audience et son influence à l'égard de ses partenaires européens et mondiaux. Nous venons de recevoir une assez mauvaise nouvelle sur le plan budgétaire : la dégradation de notre notation. M. Le Maire a dit, non sans raison, que cela ne mettait en aucune façon en cause notre capacité à emprunter mais nous sommes malgré tout attentifs aux équilibres budgétaires et commerciaux dont vous êtes, sinon le responsable unique – c'est l'ensemble des acteurs économiques de la société française qui font le commerce extérieur –, du moins le pilote et le porte-parole.

Vous aviez déjà l'habitude de venir devant cette commission quelques jours autour de la tenue d'un Conseil des affaires étrangères consacrées au commerce, ce qui est une tradition. Le dernier consacré au commerce et aux échanges s'est réuni le 30 mai.

Le 7 février, vous avez présenté le rapport annuel sur le commerce extérieur de la France. Dans un contexte marqué par la poursuite de la guerre en Ukraine, le conflit à Gaza et ses implications sur les routes commerciales maritimes, ainsi que par la recrudescence de la compétition économique et technologique entre les États-Unis et la Chine, il faut convenir que notre pays a tiré, peut-être pas structurellement ou durablement – on verra – mais en tout cas momentanément, son épingle du jeu. Le solde commercial s'est en effet amélioré de 63 milliards d'euros en 2023, notamment grâce à la forte réduction, de 47 milliards, de notre facture énergétique, ce qui est très intéressant compte tenu de la situation extraordinairement tendue que nous connaissons depuis l'invasion de l'Ukraine et l'interruption des livraisons d'hydrocarbures et de gaz en provenance de Russie. Cette évolution est à mettre au crédit des choix que nous avons faits, notamment électronucléaires.

Les exportations, il faut le relever, ont aussi progressé – de 1,5 % –, notamment grâce au dynamisme traditionnel des secteurs de l'aéronautique et du textile. S'agissant de l'aéronautique, on voit bien qu'Airbus a le vent en poupe, dans un contexte où Boeing connaît de relatives déconvenues – que nous regrettons, sur le plan de la sécurité, parce que nous volons souvent à bord de ces avions dont nous voudrions bien qu'ils atterrissent – mais surtout à la veille de l'apparition d'un concurrent chinois qui pourrait nous tailler quelques croupières. Quoi qu'il en soit, nous bénéficions pour l'instant de l'extraordinaire succès de notre aéronautique.

Notre balance des services a affiché, quant à elle, un nouvel excédent, de 31 milliards, grâce aux bonnes performances du tourisme et des services financiers.

Au total, le déficit de la balance courante s'est partiellement résorbé, puisqu'il est passé de 54 milliards en 2022 à 34 milliards l'année dernière. Cela signifie tout de même que nous sommes structurellement à la peine, alors que la balance commerciale européenne, elle, est positive. Même si nous avons marqué des points, il nous reste donc un énorme travail à accomplir.

Autre fait notable, la contribution en volume du commerce extérieur à la croissance est redevenue positive, de l'ordre de 0,6 point, après avoir été négative de 0,6 point également en 2022. Les parts de marché de la France se sont accrues : elles ont atteint 2,7 % du commerce mondial des biens au troisième trimestre 2023. Toute la question est donc de savoir si nous avons intérêt ou non à ouvrir notre commerce à l'extérieur. Les chiffres, en l'occurrence, sont plutôt positifs mais je ne doute pas qu'on entende ici des prises de position qui marquent les limites de ce raisonnement.

Le nombre d'exportateurs français a également continué de progresser au cours des douze derniers mois, pour s'établir à 146 200 entreprises.

Tous ces chiffres montrent que la politique engagée depuis 2017 produit certains effets structurels et que notre pays peut trouver intérêt – mais c'est l'objet de débats – à s'inscrire dans le dynamisme du commerce international.

Monsieur le ministre délégué, votre audition intervient dans un contexte parlementaire particulier. Le 21 mars, le Sénat a examiné, dans le cadre de la niche du groupe communiste républicain citoyen et écologiste-kanaky, le projet de loi visant à autoriser la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada : le fameux CETA. Ce texte avait été adopté en première lecture par notre Assemblée le 23 juillet 2019 mais nos collègues sénateurs ont voté contre. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) de notre Assemblée a déposé par la suite une proposition de résolution qui a recueilli une très large approbation, malgré un certain nombre de prises de position très réservées, dont la vôtre, monsieur le ministre délégué, et la mienne, au nom de mon groupe, car je trouve qu'il y a erreur en la matière.

La question, très importante, se décompose en deux volets : d'une part, celui de l'intérêt pour notre pays de signer des accords de ce type avec un pays comme le Canada et, d'autre part, un point de procédure.

S'agissant du second aspect, mon opinion, qui n'engage que moi, est que l'accord ne représente, contrairement à ce qu'affirme l'estimable président Chassaigne, aucune méconnaissance de la démocratie puisqu'il comporte deux types de dispositions : les unes à caractère commercial, qui relèvent de la compétence de l'Union européenne et dont la ratification a lieu d'être prononcée par le Parlement européen – ce qui a été fait et qui a enclenché leur mise en œuvre – et les autres relevant de compétences partagées entre l'Union européenne et les États membres, et requérant donc l'accord des différentes assemblées nationales ou infranationales de ces derniers – je rappelle que la Belgique en comporte au moins quatre ou cinq. Ce sont ces dispositions qui sont gelées et non celles qui relèvent de l'Union européenne et ont été ratifiées par un Parlement démocratiquement élu, comme nous allons encore le démontrer le 9 juin.

Sur cette procédure, monsieur le ministre délégué, pourquoi, sinon en raison de conditions politiques qui vous sont évidemment reprochées, car le monde est ainsi fait, avez-vous considéré qu'il fallait un peu plus de temps pour soumettre les dispositions du CETA à l'Assemblée nationale ?

Sur le fond, nous voyons bien que le bilan, pour la France, de l'accord entre l'Union européenne et le Canada est extrêmement positif. Les adversaires de ce texte ont néanmoins une objection de fond à l'admission dans notre circuit économique de produits, de biens ou de services qui ne sont pas, par définition, soumis à la réglementation communautaire et ne font pas l'objet de clauses miroirs. Certains estiment, comme moi, que l'ensemble est très positif et que les effets négatifs, notamment en matière d'élevage bovin, sont très limités. D'autres, par exemple dans le groupe GDR, soulignent un manquement à la solidarité.

Il y a donc un problème de fond à résoudre : sommes-nous fondés ou non à signer des accords commerciaux avec des États qui, par définition, n'appliquent pas complètement les mêmes réglementations que nous, même s'ils partagent notre approche démocratique, notre souci d'équité commerciale et notre volonté de respecter l'accord de Paris ? C'est là une affaire assez compliquée.

Une autre question, à mon avis très importante, se pose. Comment nous situons-nous face à la concurrence de grandes puissances étrangères, notamment celle de pays soit très agressifs commercialement, comme la Chine, soit très soucieux de maintenir leurs prérogatives nationales, comme les États-Unis ? Nous ne sommes plus dans un monde fondé sur les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui prévoyaient une régulation commune et partagée. On voit bien que la politique des Chinois, qui sont en difficulté aux États-Unis, sera de se développer très fortement du côté de l'Europe, ce qui pose un problème majeur. Quant aux Américains, nous avons le sentiment que la loi sur la réduction de l'inflation – ou IRA – et ce qui l'accompagne sont assez profondément défavorables à nos intérêts.

Les questions économiques dont vous êtes responsable, Monsieur le ministre délégué, sont difficiles et nous sommes confrontés à une situation délicate. Nous voulons savoir comment vous les abordez dans cette circonstance particulière, et très grave, que nous n'avons manifestement pas la même approche en France qu'en Allemagne. Les Allemands ont envoyé des machines-outils aux Chinois et s'étonnent que ces derniers fabriquent avec des produits concurrentiels. Ils sont par ailleurs conscients que la sécurité n'est plus totalement assurée par les États-Unis mais ils jouent les prolongations : ils voudraient, tout en invoquant une ère nouvelle, que la situation actuelle se maintienne. Pour notre part, nous avons, apparemment, une approche très différente : pour nous, dans le monde de demain, qui sera différent d'aujourd'hui, l'Europe doit être consciente de ses intérêts propres et arrêter d'être une sorte de ville ouverte aux produits chinois et d'être indifférente, malgré une solidarité politique nécessaire, aux conséquences de la politique américaine.

Vous êtes au cœur, Monsieur le ministre délégué, de l'un des grands débats géopolitiques pour notre continent et nous sommes donc heureux de pouvoir vous entendre.

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