Après la réforme des conditions d'accès et d'indemnisation de l'assurance chômage entrée en vigueur le 1er octobre 2021, et celle qui a instauré un principe de contracyclicité à compter du 1er février 2023, le Gouvernement s'apprête à réduire à nouveau les droits des salariés privés d'emploi, pourtant affectés par une remontée du taux de chômage depuis plusieurs mois.
Le lancement d'une troisième réforme en à peine quatre ans masque, sous couvert d'une volonté d'améliorer le fonctionnement du marché du travail, l'ambition de diminuer la dépense publique au détriment des plus précaires. En effet, les 3,6 milliards d'euros d'économies attendus grâce aux mesures annoncées par le Premier ministre s'ajoutent aux plus de 2 milliards de baisse des dépenses issus de la réforme de 2021 et aux 4,5 milliards devant découler de la réforme de 2023. Au total, le Gouvernement aura privé les demandeurs d'emploi de près de 10 milliards, soit 25 % des dépenses d'assurance chômage, dans un contexte où l'État ponctionne des sommes de plus en plus importantes dans le budget de l'Unédic.
Cet empressement pourrait être justifié par une évaluation des résultats des précédentes réformes. En réalité, la seule étude, encore partielle, tirant des enseignements des changements intervenus en 2021 ne convainc pas. Le comité d'évaluation de la réforme de l'assurance chômage n'est pas en mesure de déterminer si la baisse du rythme d'ouverture des droits à l'assurance chômage est liée à l'amélioration de la conjoncture économique ou aux nouvelles dispositions. En revanche, il a clairement identifié les populations qui ont le plus souffert de cette réforme : si 47 % des demandeurs d'emploi indemnisés ont vu leur allocation diminuer de 16 % en moyenne, ils sont 68 % chez les moins de 25 ans – contre 40 % chez les 35-54 ans –, 50 % chez les non-cadres – contre 19 % chez les cadres – ou encore 64 % chez les personnes en fin de contrat à durée déterminée (CDD) – contre 19 % pour les fins de contrat à durée indéterminée (CDI). Les plus affectés sont les intérimaires, à 87 %.
Précariser les plus précaires, tel est donc le levier employé ; il transforme la nature même de l'assurance chômage. Cette situation, que nous déplorons, n'est pas sans lien avec les règles de gouvernance issues de la loi « avenir professionnel » du 5 septembre 2018. Les économistes que nous avons auditionnés nous ont rappelé l'importance des modalités de définition des règles de l'assurance chômage : si les partenaires sociaux ont intérêt à s'accorder sur un amortisseur efficace des chocs économiques pour préserver le revenu des salariés, l'État peut être tenté de transformer l'assurance chômage en un outil de politique de l'emploi dont les finalités lui appartiennent. Or, depuis 2018, nous assistons à une reprise en main de l'assurance chômage par le Gouvernement. Celui-ci définit dans un document de cadrage les contraintes, notamment financières, qu'il impose à la négociation entre les organisations syndicales et patronales. De l'avis des partenaires sociaux, ce document vise en réalité à faire échouer la négociation en imposant des conditions très difficiles, voire impossibles à remplir. Quand bien même la négociation aboutirait à la conclusion d'un accord, comme ce fut le cas en novembre dernier, le Gouvernement se réserve le droit de ne pas agréer cette convention s'il la juge incompatible avec la trajectoire financière fixée par le document de cadrage. Ce mécanisme contraignant en amont comme en aval a conduit à l'échec des négociations à deux reprises, en 2018 et au début de cette année, ouvrant la voie à la fixation du règlement d'assurance chômage par décret.
Le rôle croissant de l'État dans le fonctionnement de l'assurance chômage, dont il définit les règles et ponctionne les finances, se caractérise, en outre, par l'introduction d'un principe d'ajustement automatique des paramètres d'indemnisation en fonction du cycle économique. Alors qu'il appartient aux partenaires sociaux, depuis la création de l'assurance chômage en 1958, d'adapter le mécanisme d'indemnisation des demandeurs d'emploi au contexte économique, le Gouvernement a décidé de réduire les droits des allocataires sauf en cas d'emballement du taux de chômage. Sous couvert d'améliorer le fonctionnement du marché du travail, cette mesure s'est surtout traduite par un nouvel amoindrissement des droits des demandeurs d'emploi, dans un contexte économique incertain marqué par un recul généralisé du pouvoir d'achat.
Les annonces récentes du Premier ministre font craindre un nouveau recul, alors que le taux de chômage devrait atteindre 7,8 % d'ici à la fin de l'année et 8,2 % en 2025, contre 7,1 % début 2023. Le renforcement de la contracyclicité, entraînant un nouveau recul des conditions d'indemnisation, intervient donc dans un contexte économique défavorable qui impose, au contraire, une plus forte protection des demandeurs d'emploi.
Certes, le Gouvernement invoque des tensions de recrutement, mais elles diminuent – les auditions l'ont confirmé. Elles peuvent s'expliquer par une multitude de facteurs, parmi lesquelles les conditions de travail et le niveau des salaires.
Au total, il n'y a pas de réelle justification à une nouvelle réforme précipitée de l'assurance chômage. Les économistes auditionnés, malgré leurs points de vue divergents, se sont étonnés de ce calendrier et des raisons avancées. D'anciens conseillers économiques de l'exécutif, pourtant à l'origine des règles de 2023, ont même déclaré qu'une nouvelle réforme pourrait conduire à une dégradation des emplois retrouvés, en l'absence d'études et de recul nécessaire, ce qui détériorait le fonctionnement du marché du travail.
D'après les annonces du Premier ministre, le Gouvernement projette pourtant de restreindre à nouveau les conditions d'affiliation à l'assurance chômage, en réduisant la période de référence à vingt mois, contre vingt-quatre actuellement. Il faudra avoir travaillé huit mois pour ouvrir des droits, contre six mois actuellement et quatre mois avant 2021. Cette mesure menace tout particulièrement les travailleurs saisonniers et fait craindre des difficultés majeures pour les secteurs concernés. Enfin, la durée d'indemnisation sera réduite à quinze mois dans la conjoncture actuelle. En cas d'augmentation du taux de chômage de plus de 0,8 point sur un trimestre ou à un niveau égal ou supérieur à 9 %, cette durée sera complétée de cinq mois pour les allocataires en fin de droits. En revanche, si le taux de chômage passe en dessous de 6,5 %, les droits des allocataires seront à nouveau réduits de trois mois, pour atteindre douze mois seulement. En trois ans, la durée d'indemnisation aura donc été réduite de près de 50 %, tandis que la durée d'affiliation aura doublé.
Parmi les demandeurs d'emploi les plus touchés, les seniors subissent l'effet conjugué de la réforme des retraites et des annonces du Gouvernement relatives à l'assurance chômage. Le report annoncé de l'entrée dans la filière senior à 57 ans fera basculer dans les règles de droit commun tous les demandeurs d'emploi âgés de 53 à 57 ans, qui bénéficiaient jusqu'à présent d'une durée d'indemnisation plus avantageuse. Cette violence économique et sociale envers une population déjà fragile doit nous inquiéter.
Face à ces reculs de notre modèle assurantiel et à la fragilisation des plus précaires, il nous semble nécessaire de rétablir un équilibre au sein de la gouvernance de l'assurance chômage, et d'inscrire dans la loi des garde-fous pour préserver les droits des demandeurs d'emploi. Nous sommes soutenus dans cette démarche par l'ensemble des organisations syndicales ; elles y voient l'occasion de rétablir un fonctionnement plus juste de l'assurance chômage, que les organisations patronales appellent d'ailleurs aussi de leurs vœux.
L'article 1er de la proposition de loi vise à inscrire dans le code du travail des garanties minimales d'indemnisation des demandeurs d'emploi. La loi fixe déjà certaines contraintes relatives aux critères d'éligibilité à l'assurance chômage et au montant de l'allocation. Nous proposons de garantir une durée d'indemnisation égale à la durée d'affiliation, tout en fixant une durée plancher de six mois et la faculté, pour le règlement de l'assurance chômage, de déterminer un plafond ne pouvant être inférieur à dix-huit mois, conformément aux règles en vigueur.
Afin de redonner aux partenaires sociaux tout leur rôle dans la détermination des règles de l'assurance chômage, l'article 2 vise à supprimer le principe de contracyclicité. À la place, il est proposé de garantir une durée minimale d'affiliation qui ne peut être supérieure à six mois au cours d'une période de vingt-quatre mois ou, pour les salariés d'au moins 53 ans, de trente-six mois. À rebours des annonces du Gouvernement, la proposition de loi préserve ainsi des garanties plus fortes pour les seniors.
L'article 3 vise à redonner aux partenaires sociaux le rôle qui leur revient dans la gouvernance de l'assurance chômage, en desserrant la contrainte qui pèse sur les négociations. Il est proposé de remplacer le document de cadrage par un simple document d'orientation, et de supprimer la possibilité pour le Gouvernement de ne pas agréer un accord conclu entre les partenaires sociaux.
L'article 4 introduit une négociation obligatoire sur l'emploi des seniors, tous les quatre ans, dans les entreprises de plus de 300 salariés. À défaut d'accord, l'employeur devra établir un plan d'action annuel, sous peine de pénalités financières. Nous renouvelons notre confiance dans le dialogue social pour trouver des solutions ambitieuses et indispensables au maintien dans l'emploi des seniors.
Enfin, l'article 5 vise à assurer la recevabilité financière de la proposition de loi, les dispositions proposées reprenant, pour l'essentiel, les paramètres de la réforme de 2019.