Cette proposition de loi traite de la façon dont la dette publique française est répartie dans le monde. Désormais supérieure à 3 100 milliards d'euros, elle donne lieu, je le rappelle, à des émissions d'obligations extrêmement importantes – autour de 185 milliards d'euros cette année. Cela conduit, en plus du règlement du capital, au paiement d'intérêts qui seront de l'ordre de 54 milliards en 2024, montant que je vous laisse apprécier. La majorité de cette dette, à peu près 55 %, est détenue par des non-résidents.
Face à cette situation, la France dispose, ce qui est très heureux, d'une épargne également importante. Nos compatriotes ont épargné à peu près 315 milliards d'euros en 2023, et le patrimoine financier brut de la France est estimé à presque 6 200 milliards, dont 715 milliards détenus en numéraire ou sous forme de dépôts à vue, c'est-à-dire d'une façon très faiblement ou pas du tout rémunératrice.
L'idée de cette proposition de loi est d'encourager les Français à mieux diriger leur épargne, vers des obligations d'État. Tout reposera sur une liberté totale d'action de la part des détenteurs d'épargne. Notre raisonnement est que si 54 milliards d'euros d'intérêts sont versés cette année pour 55 % à des non-résidents, cela signifie une hémorragie de 27 ou 28 milliards. Il s'agit d'essayer d'en retenir une partie dans le circuit français, de façon à alimenter la consommation, l'investissement et donc la croissance, et in fine de générer des rentrées fiscales – qui minimiseraient de surcroît le recours à l'endettement les années suivantes.
Le dispositif que nous proposons à cette fin est de confier à la Caisse de la dette publique, un appendice de l'Agence France Trésor aujourd'hui cantonné, pour l'essentiel, au remboursement de la dette covid, une mission consistant à acquérir des titres de la dette publique et à les placer auprès des particuliers et des entreprises résidant en France, dans le cadre d'un service d'investissement spécifique. L'épargne serait bloquée pendant la durée du contrat et donnerait lieu à rémunération à la clôture. Il s'agirait, vous l'aurez compris, de comptes à terme dont les modalités concrètes – montant initial du dépôt, durée, pénalités en cas de retrait anticipé, taux d'intérêt – seront précisées par décret.
Le mode actuel d'adjudication met en relation l'État non avec les acheteurs finaux, mais avec des intermédiaires financiers spécifiques, les spécialistes en valeurs du Trésor. La dette devient ainsi un objet de spéculation : on estime à 20 milliards par jour le montant moyen des titres de dette française qui changent de main. Chacun est libre d'en penser ce qu'il veut, mais je trouve qu'il y a quelque chose de malsain dans le fait que la dette publique devienne une sorte de matière première. Quand on échange de l'argent contre de la farine pour fabriquer du pain, on crée de la richesse, mais quand on échange de l'argent contre de l'argent, c'est de la spéculation.
Cette situation a des aspects positifs. Le premier est que, la dette française étant très demandée, les taux sont relativement faibles. L'autre est que la diversité des investisseurs est une protection contre une éventuelle crise régionale.
À l'inverse, le fait de disposer d'une plus forte proportion de créanciers résidents protégerait contre l'éventuelle irrationalité des marchés et contre des crises comme celle que nous avons pu voir en Grèce. À cela s'ajoutent les effets macroéconomiques que j'ai évoqués tout à l'heure, liés au fait que l'argent des intérêts circulerait sur le marché intérieur.
Nous n'avons pas la prétention de régler le problème de la dette avec cette modeste proposition de loi, ni même de modifier en profondeur les équilibres de gestion ou les procédures afférents. Nous voulons simplement agir à la marge et faire évoluer une situation particulière qui ne nous semble pas être optimale.