En matière de reconstruction, il n'existe pas de recette. Pour ma part, les faits ont eu lieu alors que je travaillais à la radio, média dans lequel je m'étais spécialisé pendant ma scolarité. J'ai dû quitter ce secteur du jour au lendemain et il a été douloureux de constater que je m'étais spécialisé en vain.
Néanmoins, j'ai rebondi. J'ai travaillé dans la presse écrite. Actuellement, je travaille davantage comme journaliste photographe que comme rédacteur. Je suis également devenu formateur dans des écoles de journalisme. D'autres ne s'en sortent pas aussi bien et quittent le métier.
Juste après les faits, quand j'ai quitté la radio, j'étais convaincu que ce secteur n'était pas pour moi, mais sans saisir pourquoi, à cause d'une d'amnésie qui a duré dix ans – et qui m'a sauvé. Ce type de blocage du cerveau est désormais documenté par la science.
Les attentats de 2015 ont été un choc important pour moi, comme pour beaucoup de Parisiens. Il m'a conduit à entamer une psychothérapie, sans vraiment savoir pourquoi. Les faits ne sont remontés que deux ans plus tard, à l'automne 2017, au moment où le #MeToo américain a éclaté. J'ai alors compris que l'angoisse que j'éprouvais n'était pas liée aux attentats, mais au viol que j'avais subi et occulté. Cette prise de conscience m'a fait chuter dans une profonde dépression. J'ai tenté de me suicider. C'est grâce à la naissance de ma nièce – qui découvrira peut-être un jour cette audition – que je suis là aujourd'hui.
La psychothérapie m'a aidé. En outre, mes proches ont été à l'écoute, attentifs, aimants. C'est aussi grâce à eux que je suis là. Il faut donc parler et bien s'entourer. C'est plus difficile avec certaines familles. Mais si l'on ne peut pas choisir sa famille, du moins peut-on choisir ses amis, ou son association. J'ai également bénéficié de séances d'hypnose, entre autres soins non pris en charge. Heureusement que je dispose de quelques revenus – guère mirobolants – pour les financer.
Enfin, la procédure judiciaire m'a aidé à me reconstruire – ce n'est pas le cas pour tout le monde. J'ai porté plainte en 2019, alors que les faits n'étaient pas prescrits ; je l'aurais fait même s'ils l'avaient été. L'enquête a été classée sans suite, trois ans après le dépôt de la plainte, en 2022. J'ai eu accès au dossier ; il est pauvre.
Surtout, j'ai découvert que l'enquête s'était concentrée sur moi. Les policiers ont auditionné de nombreuses personnes de mon entourage, y compris d'anciens collègues qui ne me connaissent pas ; ils y ont consacré un temps important. Paradoxalement, ils ont très peu enquêté sur mon agresseur, se contentant de l'auditionner à l'issue de l'enquête et de vérifier qu'il n'était pas inscrit sur le fichier des délinquants sexuels. Ni son entourage professionnel, ni ses proches, ni sa famille n'ont été entendus. Pour une victime, c'est insupportable. Pourquoi n'imposerait-on pas un minimum d'enquête sur la personne mise en cause ?
En réalité, je n'attendais rien de cette enquête, sinon de me sentir pris en compte, considéré. Je l'ai été. Les policiers ont été admirables et j'ai eu affaire à des agents extrêmement bien formés, ce qui n'est pas le cas de tout le monde.
Je tenais à être confronté à mon agresseur. Ce fut une situation difficile, que je ne conseille pas à tout le monde. Je ne regrette pourtant pas la confrontation, qui m'a aidé à rebondir, à renoncer à ma colère, à clore le dossier, à faire la paix avec moi-même. Je continue désormais à me reconstruire en militant, car je me sens bien dans cet exercice.