L'absence de productrices est culturelle : les comédiennes ne sont pas invitées à mettre les mains dans l'argent, à comprendre d'où vient l'argent. C'est la même chose pour les réalisateurs et réalisatrices : dans notre culture, être artiste, ça ne va pas avec la compréhension d'un budget. C'est la France ! Je ne sais pas pourquoi on en est encore là, mais c'est un fait : très peu de comédiennes et très peu de réalisatrices ont des boîtes de production, alors qu'aux États-Unis, les femmes sont nombreuses à être productrices, et donc à mettre de l'argent pour défendre des projets. On peut citer Reese Witherspoon, qui a créé une boîte de production pour qu'on voie plus de récits du point de vue des femmes, ou Jessica Chastain.
Quant à la question du viol au cinéma, je pense qu'il ne faut rien interdire. L'exemple d' Irréversible est intéressant : dans la scène à laquelle vous faites référence, la caméra ne décide pas où elle a envie d'être ; elle reste dans le tunnel et ne nous montre jamais le point de vue de la femme. Il existe à l'inverse des séries qui montrent le point de vue de la personne victime : I May Destroy You, de Michaela Coel ou le film allemand Comme si de rien n'était nous permettent d'accéder à l'expérience du viol non pas comme à une agression très violente un soir dans un tunnel, mais comme à ce qui se passe quand un collègue de travail un peu bourré vous force la main ou quand votre petit ami vous pénètre tout à coup alors que vous êtes endormie. Ce sont ces scènes-là qui manquent, alors qu'elles constituent le quotidien de très nombreuses femmes – une sur trois en France, on peut le rappeler, comme on peut rappeler qu'une personne sur dix est victime d'inceste. Ce sont des expériences que beaucoup d'hommes et de femmes connaissent dans leur chair et qui ne sont pas représentées comme ce qui se passe dans la vraie vie.
Dans Irréversible, il y a un côté sensationnel : on n'arrive pas à regarder la scène. Ce qui serait important, ce serait au contraire d'arriver à la regarder, et à la regarder du point de vue de la victime, pour comprendre ce que ça fait d'être violée.
C'est pourquoi il ne me semble pas qu'il faille interdire certaines œuvres. En revanche, il faut comprendre que le point de vue majoritaire est celui de l'agresseur qui regarde la femme comme un bout de viande. Il est temps que d'autres points de vue sur ces récits émergent.