J'ai décidé de travailler avec Paloma García Martens notamment parce qu'elle avait été formée aux États-Unis – à ma connaissance, aucune formation n'existe en France.
Il faut comprendre que la préparation de ces scènes avec les comédiennes demande beaucoup de temps, donc d'argent. Or aucune aide supplémentaire n'est versée aux réalisateurs ou aux réalisatrices qui décident de travailler avec une coordinatrice ou un coordinateur d'intimité. La dimension économique est donc cruciale. À titre personnel, j'ai dû, en concertation avec les techniciennes et la première assistante, sacrifier des scènes pour donner sa place à la coordination d'intimité – ce que je ne regrette pas, car j'y vois un enjeu éthique.
J'ai sollicité le CNC – Centre national du cinéma et de l'image animée – pour savoir si un bonus pourrait être créé au titre de la coordination d'intimité. On m'a répondu qu'une telle mesure n'était même pas envisageable dans l'immédiat, puisqu'on est encore à étendre le bonus parité à l'industrie télévisuelle. Pour revenir à une de vos précédentes questions, le bonus pour la parité dans le cinéma fait partie des avancées obtenues par le collectif 50/50 : un film dont les équipes sont majoritairement composées de femmes bénéficie d'un financement plus élevé. Ce mécanisme semble avoir un effet positif, même s'il ne concerne pas encore le milieu sériel.
Toutes ces aides sont le commencement de quelque chose. Certaines fonctionnent, d'autres moins. On a ainsi constaté récemment que le fait de désigner un référent harcèlement pour un tournage ne peut pas marcher si la personne nommée est la productrice du film, qui se trouve aussi être la compagne de la réalisatrice. Il faut donc continuer de penser ces questions.
Je n'ai pas envie de préconiser une généralisation de la coordination d'intimité, même si cette expérience a été très bénéfique pour moi. Sur le tournage de Split, j'ai travaillé avec la comédienne franco-américaine Pauline Chalamet, qui a joué dans de grosses séries produites par HBO, où la présence d'un coordinateur ou d'une coordinatrice d'intimité est obligatoire. Elle m'a expliqué qu'elle pouvait très bien décider de ne pas recourir à la coordinatrice pour toutes les scènes. La présence de la coordinatrice n'est pas automatique : elle doit être considérée comme un outil auquel on peut avoir accès si on en ressent le besoin. En revanche, la production étant censée protéger les personnes qui travaillent pour elle, le recours à ces professionnels devrait être vu comme bénéfique pour tout le monde, puisqu'il empêche des accidents : c'est un outil de prévention.
Cela étant dit, chaque réalisateur ou réalisatrice peut décider de la place qu'il ou elle souhaite accorder à la coordination d'intimité. Tous les projets ne le nécessitent pas. Effectuer ce travail soulève d'ailleurs la question de la définition de l'intimité, qui est vertigineuse. Quand Paloma García Martens a lu mon scénario pour la première fois, elle a estimé qu'il contenait une multitude de scènes d'intimité : au-delà des seules scènes de sexe, la série inclut des scènes de fausse couche, d'avortement ou encore d'agression homophobe qui peuvent réveiller des traumas et résonner intimement chez chacun ou chacune. J'ai décidé de concentrer son périmètre de travail sur les scènes de sexe parce que c'étaient celles qui me semblaient susceptibles d'entraîner une mise en danger, mais elle a envoyé un mail aux comédiennes ainsi qu'aux techniciens et techniciennes pour leur faire savoir qu'ils pouvaient faire appel à elle en cas de problème dans toute autre scène. Les personnes concernées m'ont fait savoir qu'elles s'en étaient senties considérées.
Quand on tourne des séquences qui touchent à nos intimités et qui sont par ailleurs très peu représentées dans les séries et au cinéma, des émotions très fortes peuvent évidemment survenir. Chacun ou chacune doit alors pouvoir décider s'il a besoin d'un cadre spécifique pour travailler.