Mon expérience de la coordination d'intimité a été très positive, puisqu'elle a eu lieu à mon initiative. Ce métier est apparu aux États-Unis après la naissance du mouvement #MeToo. J'avais commencé un travail de recherche en vue d'y consacrer un documentaire mais, ce projet ne s'étant pas concrétisé du fait du covid, j'ai proposé à une autre réalisatrice, Édith Chapin, de le reprendre à son compte. Elle m'a ainsi suivie pendant la préparation de la série et en a tiré le documentaire Sex Is Comedy, disponible sur France TV Slash.
Les scènes de cascade de Split ont été préparées avec un régleur cascades. Parce qu'une comédienne peut, alors qu'elle s'estimait capable de réaliser une cascade à un moment donné, ne pas être en assez bonne forme physique lors du tournage, elle travaille avec une cascadeuse. Le régleur cascades est alors présent pour indiquer si une scène peut être réalisée comme prévu ou si elle est trop dangereuse. J'ai par exemple le souvenir d'une journée pendant laquelle, parce qu'il pleuvait, il m'a expliqué qu'on ne pouvait pas faire la cascade : le corps de la cascadeuse était en danger parce qu'elle aurait pu glisser. Je n'ai pas remis en cause sa parole.
Le même raisonnement vaut pour la coordination d'intimité : sachant que mon scénario prévoyait des scènes de sexe entre deux femmes, je voulais m'assurer que les comédiennes avaient envie de les jouer et que nous étions toutes d'accord sur la manière de les cadrer. Paloma García Martens a réalisé des entretiens préliminaires avec moi ainsi qu'avec les comédiennes seules, pour établir leurs limites – qu'il s'agisse de nudité, d'actes qu'elles souhaitaient ou non effectuer ou de tout autre aspect susceptible d'affecter la manière dont nous pourrions créer ces scènes. J'ai ensuite travaillé avec la cheffe opératrice, la première assistante, les comédiennes et la coordinatrice d'intimité pour définir la chorégraphie des scènes, que les comédiennes ont répétées habillées, pour savoir comment se positionneraient les corps et la caméra et pour qu'elles puissent me dire si le point de vue et les angles retenus leur convenaient ou si elles souhaitaient les rectifier. Le jour J, je redemandais ensuite aux comédiennes si elles étaient toujours d'accord avec la chorégraphie ainsi définie.
Un jour, une des comédiennes m'a indiqué ne plus vouloir faire un geste qui était prévu pendant un plan-séquence. Dans un tel moment, si je n'avais pas travaillé la scène en amont, toute ma vision se serait effondrée. Mais, parce que j'avais fait appel à une coordinatrice d'intimité, que j'y avais réfléchi par avance et que toute l'équipe savait où nous allions, nous avons pu nous asseoir autour d'une table et trouver comment découper la scène autrement pour que la comédienne n'ait plus à faire ce geste.
Les comédiennes participent au film et leur ressenti est celui d'un être humain : ce ne sont pas des objets dont je peux faire ce que je veux. Je dois donc évidemment les écouter si elles m'expliquent ne plus se sentir capables de tourner une scène ou à l'aise pour le faire. La coordinatrice d'intimité est là pour s'assurer que je respecte ce que les comédiennes me disent et pour leur permettre d'évoluer dans un cadre qui facilite la parole. Je ne mesurais pas, avant d'en faire l'expérience, à quel point il est difficile d'arrêter un tournage et de faire savoir à une équipe qu'on n'a plus envie de jouer une scène. Sur un projet à petit budget – ce qui était le cas du mien, puisque je n'avais que seize jours pour réaliser cent minutes de série –, une heure de tournage représente un enjeu important. De ce fait, dès que quelque chose déraille, tout le monde se tend. Le fait de travailler en amont permet alors de rebondir.
Les comédiennes avaient en outre un droit de regard sur le montage – ce qui est très rare –, car je ne souhaitais pas qu'elles découvrent les scènes de sexe sur un grand écran, dans un festival, devant des centaines de personnes. Je voulais qu'elles m'aient confirmé, en amont, être à l'aise avec l'ensemble de ces scènes.
À aucun moment de cette démarche artistique, je n'ai eu le sentiment que la coordination d'intimité constituait une censure. En revanche, elle demande du travail. Je sais que les réalisateurs ou les réalisatrices qui veulent pouvoir improviser craignent que la coordination d'intimité enlève de la vie et de la spontanéité aux scènes de sexe. Peut-être. Mais pourquoi attendrait-on des scènes de sexe qu'elles soient spontanées ? Exactement comme une cascade, elles doivent être chorégraphiées. Le sexe au cinéma n'est pas la vraie vie : c'est une mise en scène, qui demande donc du travail. Ce travail devrait passionner tous les metteurs en scène. La coordination d'intimité ne limite en rien notre capacité créative. Elle garantit simplement que chacun est consentant sur un plateau.