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Intervention de Séphora Haymann

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 15h30
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Séphora Haymann, membre du collectif #MeTooThéâtre :

On constate beaucoup de relativisme, donc une grande tolérance envers les actes violents commis par des responsables dans le milieu du théâtre. Malheureusement, c'est vrai dans toute la société : la hiérarchie implique la violence. Le relativisme mène à mettre en doute la caractérisation, ce qui soulève la question de la zone grise. Il est essentiel de définir les choses, de nommer précisément, et de dissiper le flou qui entoure la nature de la violence et le lieu où elle s'exerce. La responsabilité en est collective : nous sommes tous conscients et conscientes de ce qui est tolérable ou non. On minore la conscience des agresseurs, on les défausse de leur responsabilité, avec la figure du créateur qui travaille à partir de son désir – on floute les choses. Or rien n'est flou : je suis une actrice, je travaille avec mon corps, ma limite est claire. Quand on est très jeune et qu'on ne sait pas encore ce qu'on est en mesure d'accepter, on doit être accompagné par les enseignants pour déterminer ses limites et pour savoir où on peut travailler en sécurité – pour que soient en sécurité ceux qui sont sur le plateau comme les spectateurs dans la salle. Ce milieu suscite beaucoup de fantasmes ; le métier de comédien étant public, on imagine que pour en arriver aux paillettes, il faut passer par la souffrance, l'humiliation et la douleur. C'est faux, il est important de le dire.

Oui, les violences sont systémiques. Le corps des femmes et des personnes appartenant à des minorités est à disposition d'individus qui jouent aux marionnettes. L'histoire du théâtre montre comment le metteur en scène est devenu tout-puissant. Il est aussi le chargé de projet, celui qui va chercher l'argent, le destinataire des financements, ce qui ajoute un rapport de hiérarchie et de précarité propre à permettre l'exercice de violences. Évidemment, les violences sont structurelles. C'est aussi lié aux modes de financement. Il faut assainir – même si le mot ne me plaît pas – la conception des métiers du théâtre, en les objectivant et en les débarrassant des fantasmes qu'ils font naître, car ceux-ci peuvent mener à tolérer des faits inacceptables ou à relativiser leur gravité. Nous sommes tous et toutes en mesure de distinguer ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas – ce n'est pas flou.

L'omerta existe. Le problème, c'est qu'on parle de libération de la parole alors que les victimes ont toujours parlé. Pendant des années, le credo des féministes était « on te croit », parce que même si les victimes ne parlaient pas toujours publiquement, la vraie question était de savoir qui voulait bien les entendre, et surtout quelles actions s'ensuivaient. Dans les faits, leur parole n'est pas suivie d'actions. Vous disiez, monsieur le président, que nous ne sommes pas là pour juger la justice, mais qu'en est-il ? Moins de 1 % des violeurs sont condamnés, selon le ministère lui-même. Peut-on décemment conseiller à des femmes de porter plainte, alors qu'on sait comment la suite se déroulera, combien cela leur coûtera, en argent et en santé physique et mentale, et quelle sera la conclusion – la plupart du temps, il ne se passe rien ? Quand des condamnations sont prononcées, les personnes concernées reviennent sur les plateaux. Dans quel cas se passe-t-il quelque chose ?

La question de la liberté d'expression est essentielle, et ce n'est pas à moi d'y répondre. En revanche, je constate que si je veux exercer mon travail dans un cadre sécurisé, je suis toujours confrontée à des bémols, à de bonnes raisons d'admettre qu'il est normal de se faire un peu agresser. Mais ce problème n'est pas seulement le mien, c'est un problème collectif, global. Donc, il faut cesser de parler de libération de la parole : il faut faire en sorte que les femmes n'aient plus rien à dire.

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